L’Etat et sa technostructure ont progressivement envahi ces vingt dernières années toutes les sphères de la santé. Après avoir asphyxié l’hôpital public de procédures et de dirigisme technocratique, après l’instauration d’agences étatiques en région (les ARS) qui ont gelé les installations de nouveaux médecins entrainant une désertification médicale dans un pays qui a connu le meilleur système de soins au XXème siècle, le plan présenté ce jour par le Président de la république termine la planification étatique dans les territoires.
Si ce plan ne contient aucun des éléments clés de transformation, d’adaptation de notre système de santé au nouvel environnement démographique, épidémiologique et technologique, c’est un formidable exemple d’autisme étatique et d’incapacité à tirer les leçons des échecs des dernières lois de santé.
Une mise sous tutelle étatique de la médecine de ville
La médecine de ville, à dominance libérale, représente un des derniers ilots d’autonomie des professionnels de santé, en contrepartie d’une pleine responsabilisation de leurs actes. La médecine de ville française est la plus coût-efficace au monde avec une part de 28% des dépenses de santé totales contre 33% en moyenne dans l’OCDE, avec un médecin généraliste et un dentiste à moins de 15 mn de chaque citoyen pour 90% des Français. Le gosplan proposé sonne la mort de la médecine libérale, honnie de la haute fonction publique sanitaire française, inamovible depuis plus de 30 ans. Reconnaissons que ce plan est leur victoire.
Le plan propose la généralisation d’une mesure de la loi Touraine (dont l’admiration pour les professionnels de santé libéraux était bien connue) de 2015, les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Si la décentralisation de la gouvernance des soins à l’échelle territoriale est une nécessité, elle ne fonctionnera que si elle confère une véritable responsabilisation (droits et devoirs), autonomie et confiance aux acteurs territoriaux. En rattachant ces CPTS au système hospitalier, qui n’a rien à faire dans une organisation ambulatoire de premier recours, l’Etat met la médecine de ville sous la tutelle des groupements hospitaliers territoriaux (GHT), ovni technocratique dans les mains des ARS. Comme pour les ARS, nous sommes en pleine déconcentration de l’Etat dans les territoires, bien loin de la décentralisation et de la démocratie sanitaire exultées.
Le thème des assistants médicaux est un formidable piège à syndicat en mal de reconnaissance. L’idée est de subventionner du personnel mi-administratif mi-infirmier en contrepartie d’une exigence d’augmenter le nombre d’actes, d’accepter plus de contraintes administratives, une valorisation misérable durable de l’activité médicale et une forme d’exercice imposée par l’Etat. Que l’Etat fige des gains de productivité à l’embauche de personnel administratif est une hérésie économique à l’heure de la vague sans précédent d’innovations technologiques que nous connaissons. Que les syndicats préfèrent une subvention plutôt qu’une juste valorisation de leurs actes pour améliorer leur productivité par l’innovation est une forme de reniement de l’exercice libéral, qui condamne ce dernier pour les nouvelles générations. L’économie de l’innovation en santé comme ailleurs ne fonctionne pas avec l’étatisme, encore moins avec le jacobinisme.
Last but not least sur les idées du gosplan pour la ville, installer 400 médecins généralistes salariés à exercice partagé ville/hôpital dans des centres de santé. C’est bien l’illustration de la substitution progressive de l’exercice libéral par le salariat et de la mise sous tutelle hospitalière de la ville. Prétendre que la fonctionnarisation de la médecine de ville va résoudre les déserts médicaux et améliorer le service à la population est un mensonge, il suffit de voir l’état de la médecine scolaire et celle du travail.
Les principaux piliers de la transformation ne sont pas traités
Le premier pilier d’un plan de transformation est de bâtir de nouvelles institutions de gouvernance dans un double objectif de disposer d’une véritable politique de santé publique et d’une démocratie sanitaire vivante à l’échelle nationale, régionale et locale. Il faut réarmer l’Etat en santé publique et procéder à une vraie décentralisation de la gouvernance des soins confiée à la démocratie sanitaire. Les ARS sont à relier aux régions, qui est le bon acteur pour agir sur les déterminants de santé. Pour l’hôpital, mettre fin à la toute puissance administrative en rééquilibrant le pouvoir avec une communauté médicale mieux formée au management et mieux reconnue dans ses missions est une urgence absolue.
Le deuxième pilier concerne la réorganisation des missions cardinales du CHU instituées dans les ordonnances Debré de 1958. C’est à partir du partage de ces missions – soins d’excellence, recherche et enseignement – que la médecine de premier recours doit être revalorisée. Cela ne risque pas d’être les employés du ministère qui vont construire ce maillage, qui nécessite une connaissance très fine des activités et des enjeux du terrain.
Le troisième pilier concerne la refondation de l’architecture de financement pour renforcer le pilier solidaire qu’est l’Assurance maladie (la sécurité sociale), pour valoriser au juste prix l’activité médicale et garantir un financement pérenne de l’innovation. Avec 78% du financement des dépenses de santé, l’assurance maladie reste le pivot du financement mais est affaiblie par un système assurantiel privé dont le rôle et le fonctionnement sont à redéfinir pour bénéficier aux assurés et pas seulement aux opérateurs.
Aucun de ces trois piliers de la refondation n’est même abordé dans ce plan qui se caractérise en réalité par une grande continuité avec les lois santé votées depuis 20 ans. Pour rendre son plan attractif, le gouvernement desserre le budget à 2,5% en 2019, malheureusement ce ne sera que pour financer des dépenses supplémentaires administratives et improductives.
Conçu en vase clos au Ministère, ce gosplan finit d’achever le modèle de santé à la française, fondé sur les principes républicains. Ce n’est pas le seul risque social que le gouvernement veut remettre sous le joug de l’Etat, mais ce sera assurément celui dont les conséquences seront les plus dommageables pour le bien-être individuel et la prospérité du pays.
Frédéric Bizard
Publié dans Les Echos le 18/08/2018
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