Une triple transition démographique, épidémiologique et technologique caractérise le changement de monde auquel nous assistons et dont la radicalité est unique dans l’histoire récente de l’humanité. Le système de santé est au cœur de ce phénomène qui transforme toutes ses composantes.
Sur le plan démographique, alors que l’humanité a mis des milliers d’années pour faire vivre l’homme plus de 80 ans, 5% de la population a aujourd’hui atteint cette performance. D’ici à 2050, cette proportion va plus que doubler (11%). Ce vieillissement sans précédent sur le plan démographique de la population est en réalité marqué par un rajeunissement sur le plan biologique, qui un des enjeux de la performance future de notre système de santé. Sachant qu’une personne sur deux âgée de plus de 80 ans présente une ou plusieurs affections de longue durée (système ALD remboursée à 100% par l’Assurance maladie), les enjeux financiers et sociaux sont colossaux.
Le XXème siècle a signé la victoire sur les maladies infectieuses, le XXIème siècle devra marquer celle sur les maladies chroniques responsables de 88% des décès en Europe. C’est la résultante durable des innovations thérapeutiques qui ont chronicisé certaines pathologies aiguës (affections cardiaques, cancer) et des modifications des modes de vie qui ont favorisé l’émergence d’affections chroniques (asthme, diabète).
Cette évolution transforme la gestion du risque en santé (et sur l’ensemble de la protection sociale) puisque l’on passe d’un risque court à un risque long, ce qui nécessite une approche totalement différente.
La troisième transformation est d’ordre technologique avec « l’hyper révolution NBIC » (Nanotechnologies, Biotechnologies, Internet et sciences cognitives). En trente ans, le séquençage génomique est passé d’un coût de deux milliards d’euros et d’une durée de quinze ans à quelques centaines d’euros et à quelques minutes. Parmi ces révolutions, la plus retentissante à court terme sur le modèle de santé et sur la société en général est la révolution numérique. Réussir la transition numérique est un enjeu industriel, sanitaire, social, économique et de souveraineté nationale.
Une inadaptation systémique qui se traduit par une crise profonde
Face à un système dont les principales modalités d’organisation, de financement et de gouvernance n’ont pas changé depuis le milieu du XXème siècle, notre société se retrouve dans une situation de complète inadaptation systémique par rapport au monde d’aujourd’hui et de demain. Le processus en cours est de nature darwinienne: s’adapter ou disparaître. Chaque acteur du système de santé doit se réformer pour s’adapter au nouveau monde. Nous ne sommes plus dans une logique de colmatage, de correction mais de transformation, de refondation. L’enjeu de la refondation est de nature adaptative, de mise en cohérence d’un système avec son environnement.
Cette inadaptation au monde d’aujourd’hui est la cause majeure de la crise profonde dans laquelle se situe notre système de santé. Cette crise multiforme – financière, d’efficacité et de gouvernance – se traduit par une crise de confiance généralisée où les acteurs n’ont plus confiance dans le système, voire entre eux. Notre modèle étant basé sur le contrat, donc la confiance, il est dans une impasse. Ce n’est pas un manque de ressources puisque notre pays n’en a jamais disposé d’autant pour soigner les individus. Nous n’avons jamais dépensé autant en santé (12% de PIB contre 3% en 1960), jamais eu autant de professionnels de santé et d’innovations technologiques et médicales. Continuer à faire la même chose avec plus de moyens est une impasse dans laquelle nous ont conduit les réformes proposées depuis 20 ans.
Une refondation sans révolution ignorée par le politique
Dans notre dernier ouvrage*, nous démontrons que cette refondation doit se faire à partir des fondamentaux de 1945 et de notre pacte républicain. Les valeurs de liberté, d’égalité et de solidarité sont le socle de valeurs à partir duquel le modèle est à repenser. Le nouveau paradigme proposé part d’une conception nouvelle du patient, de ses besoins, de son rapport à la santé, au système de santé et à la médecine. Le nouveau système est centré sur les personnes et sur la longue durée. Il vise à renforcer la capacité d’action des individus sur leur santé, à les rendre capables, y compris les plus défavorisés, d’être plus autonomes dans leur gestion du risque santé.
Le succès de la réforme tient donc à la démocratisation du monde médical et de la relation patient-soignant, à la participation active du patient à son parcours santé. Contrairement aux apparences, le rôle du professionnel de santé, grâce au panel élargi du champ des possibles pour soigner, sera renforcé mais profondément transformé.
En matière de politique de santé, la stratégie globale doit évoluer en conséquence. En 1945, l’objectif premier était l’accès aux soins. Cet objectif a été atteint depuis la fin du XXème siècle mais notre pays est resté sur ce même objectif ces 20 dernières années. Le nouvel objectif à viser est « l’accès pour tous à la santé », qui se décompose en deux axes : « le maintien en bonne santé de la population » et « l’accès aux meilleurs soins aux meilleurs coûts pour tous ».
La stratégie, les moyens et les énergies sont concentrés sur le même objectif depuis 1945. C’est encore le cas de la loi santé de 2015 qui est pensée pour l’ancien monde et qui affaiblit le modèle existant sans proposer d’alternative crédible.
Le déclin de notre système de santé n’est pas une fatalité. La refondation d’un système adapté à la société française et qui soit de nouveau une référence dans le monde est possible. Cela devrait être l’objectif du pays. Le débat politique montre que la classe politique ne semble avoir pris ni la mesure de la situation ni la voie de la réflexion pour mener cette refondation. Même si cette dernière ne repose pas entièrement sur l’Etat, chaque acteur devant prendre ses responsabilités pour s’adapter au nouveau monde, il doit initier et en fixer le cadre général.
Face à un Etat sans vision et sans projet, la participation citoyenne à la vie de la cité, indispensable au bon fonctionnement de la démocratie selon Tocqueville, devient la clé principale pour débloquer le système. Périclès considérait qu’il « n’est point de bonheur sans liberté, ni de liberté sans courage ». L’Etat des libertés en France permet incontestablement d’agir, ayons tous le courage de le faire ! L’intendance suivra…
Frédéric Bizard
*« Politique de santé : réussir le changement » – de Frédéric Bizard – Editions Dunod – Sortie le 9 Septembre 2015 – Disponible ici