French interior minister and powerful head of the ruling UMP party Nicolas Sarkozy pronounces a statement in the high chamber of French Parliament focused on his general policy 08 June 2005 in Paris, few days after his return to government office. AFP PHOTO DAMIEN MEYER

Sécurité Sociale : Le risque du chant du cygne !

Le moment est historique : après 18 ans dans le rouge, le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) 2019 prévoit un retour à l’équilibre des comptes. Sur le plan économique, la sécurité sociale serait donc sortie de sa longue convalescence. Il n’en demeure pas moins que ce rétablissement est fragile, et les fonctions sociales et politiques originelles de la sécurité sociale sont considérablement affaiblies.

Ce PLFSS 2019, qui va être présenté à l’Assemblée Nationale le 22 octobre 2018, devrait être ainsi l’occasion d’un débat de fond sur « le nouvel Etat providence du XXIème siècle » que le Président de la république a annoncé vouloir construire.

Un plan de rigueur social pour les classes moyennes âgées et avec enfant

Le rétablissement économique de la sécurité sociale est avant tout le fait du dynamisme ces des recettes avec une forte hausse de la masse salariale de 3,5% en 2018 et 2019. Rappelons que le déficit récurrent de la sécu provient avant tout de la « préférence française pour le chômage ».  L’Allemagne engrange des milliards d’excédents dans ses caisses sociales avec un chômage deux fois plus faible que le nôtre, des prestations sociales proches et des prélèvements obligatoires plus faibles.

Le transfert par le gouvernement actuel d’une partie du financement de la sécu vers l’impôt (la CSG) était nécessaire du fait de l’évolution démographique (un ratio actif/inactif en baisse) mais ne changera pas cette donne que la qualité de notre protection sociale dépendra encore longtemps de notre taux d’activité et de notre taux d’emploi.

Cette évolution du financement ne justifie pas d’enterrer la sécurité sociale, sachant que le payeur ultime reste toujours le citoyen. Lui substituer un modèle anglo-saxon étatique limité à un filet de sécurité minimum est un choix politique, pris sans débat démocratique. Rien ne l’impose.

Suite à la hausse de la CSG, les retraités, pénalisés par cette mesure, pouvaient s’attendre à ce que leurs pensions soient au moins revalorisées au niveau de l’inflation. Le gouvernement a fait le choix de limiter la hausse des pensions à 0,3% en 2019 et 2020, soit une perte du pouvoir d’achat de plus d’1% par an pour les retraités. Cette mesure, qui générera des économies de plus de 3 milliards d’euros sur deux ans est une erreur politique et économique.

Ils pouvaient d’autant plus l’espérer que la conjoncture économique le justifiait. Cette politique de rigueur ne peut s’expliquer par la conjoncture économique, avec une croissance du PIB de 2,2% en 2017 et supérieur à 1,5% les deux prochaines années. Il en est de même pour les allocations familiales, déjà mise sous conditions de ressources par Hollande, qui perdront en valeur réelle près de 500 millions d’euros en 2018 et 2019.

Le gouvernement se défend en mettant l’accent sur le volet « social » de son budget. Pour argumenter sa position, il évoque la hausse des minima sociaux, réduisant la sécurité sociale à un plan de lutte contre la pauvreté (le minimum vieillesse est perçu par 3,5% des retraités). Cet argumentaire est en ligne avec une volonté d’évoluer vers un nouveau modèle social de type anglo-saxon.

Un volet santé « généreux » mais sans espoir de redressement de notre système de santé

L’objectif national de dépenses de l’assurance maladie est relevé de 0,2 point à 2,5% en 2019 (soit 400 millions d’euros supplémentaires et uniquement cette année) pour accompagner la transformation du système, selon le gouvernement. Aucun effort particulier n’est pourtant porté ni sur la prévention ni sur l’innovation, les deux leviers les plus puissants de refondation. Les dépenses actuelles de prévention sont de 2% des dépenses de santé en France contre 3% en Europe. Elles ont diminué en valeur réelle depuis dix ans. Une baisse des prix de 1,2 milliards d’euros des produits de santé aura un impact négatif inévitable sur l’innovation.

Le gouvernement privilégie son plan de reste à charge zéro en optique, dentaire et prothèses auditives. Cette promesse présidentielle va coûter pas moins de 700 millions d’euros sur trois ans à l’assurance maladie pour rendre gratuit l’accès à un panier de soins dit « 100% santé » de produits et services de faible qualité, puisque sans innovation. C’est ainsi que la couronne métallique sera gratuite mais pas les prothèses plus innovantes.

Le résultat ne peut être autre qu’une tendance à la surconsommation de produits et services de faible qualité par la classe moyenne et un accès à la qualité limité à la classe supérieure qui paiera en direct ou par une sur-complémentaire santé. Les assureurs privés vont renforcer leur rente en finançant 100% de prestations de faible qualité, en démutualisant la qualité tout en augmentant significativement leurs primes.

Là aussi, le gouvernement défend sur une vision du social bien éloignée des fondements de la sécurité sociale, ces derniers garantissent une égalité des droits à la qualité en santé et pas seulement un accès aux soins pour tous. 

« Un nouvel Etat Providence » qui prive la sécurité sociale de ses ressources

Malgré un retour à l’équilibre fragile dans les dépenses comme dans les recettes (causes conjoncturelles et non structurelles), le gouvernement annonce la fin d’une règle d’or, la compensation intégrale des allègements de charges par l’Etat. Ainsi les 3,5 milliards d’euros en année pleine que coûtent la suppression du forfait social pour l’intéressement des PME et les exonérations de charges sociales pour les heures supplémentaires ne seront pas compensés par l’Etat à partir de 2019.

Sauf à considérer que la paupérisation des retraités et des familles s’inscrit dans la durée du « nouvel Etat providence »,ce choix de non compensation condamne un équilibre financier durable pour la sécurité sociale et même son autonomie du giron de l’Etat.

Ce PLFSS 2019 sera peut-être historique non pas du fait du retour à l’équilibre financier mais par la fin assumée des missions sociales et politiques de la sécurité sociale. En évoluant vers un modèle anglo-saxon qui limite la protection sociale publique à un filet de sécurité pour les plus démunis, le Gouvernement enterre la sécurité sociale de 1945 sans proposer d’alternative pour solidariser l’ensemble de la société.

En attendant, l’Etat pourra fusionner dès 2020 le PLFSS avec le projet de loi de finance (PLF) !

 

Frédéric Bizard

 

  • Article Publié le 22 Octobre 2018 sur Les Echos (https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-187951-opinion-securite-sociale-le-risque-du-chant-du-cygne-2215676.php)

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard, est un économiste spécialiste des questions de protection sociale et de santé. Il est professeur d'économie affilié à l'ESCP Europe et enseigne aussi à Paris Dauphine. Il est Président fondateur de l'Institut Santé.

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