Le 8 septembre dernier, lors de son premier discours de quasi-candidat à sa réélection salle Wagram, François Hollande s’est posé en gardien de notre modèle social, « patrimoine commun des Français ». Quinze jours plus tard, sa Ministre des Affaires sociales annonce que la gauche « a sauvé la sécurité sociale… et que le trou de la sécurité sociale aura disparu en 2017 ».
C’est donc entendu, le candidat Hollande axera sa campagne sur la défense de notre modèle social, face à une droite qui menacerait de le liquider. L’égérie de cette campagne sera Marisol Touraine. D’apparence habile, cette stratégie de campagne est en réalité risquée tant ses fondations sont fragiles.
Des prévisions arrangées et des annonces irresponsables
Sur 2016, la Ministre a annoncé une réduction de moitié du déficit du régime général à 3,4 milliards d’euros soit un déficit global incluant le fonds de solidarité vieillesse (FSV) de 7,1 milliards d’euros. Ce résultat serait atteint grâce à un artifice comptable de 700 millions d’euros sur des recettes de CSG qui sont en réalité sur 2017 et le maintien de prévision de hausse de la masse salariale – +2,6% sur 2016 soit +0,6% pour les deux prochains trimestres – très optimistes au vue des dernières orientations de l’activité dans le secteur privé. Le déficit réel de la sécu de 2016 sera probablement plus proche des 10 milliards que des 7 annoncés. On pourrait d’ailleurs ajouter à ce maquillage ponctuel des comptes un maquillage récurrent de 6 milliards d’euros de déficit des retraites du secteur public, indument compensé par l’Etat.
Pour 2017, ce ne sont plus des prévisions mais une construction d’hypothèses saugrenues pour présenter des comptes à l’équilibre et faire de la communication politique. Les prévisions de croissance du PIB de 1,5% et de la masse salariale privée de 2,7% contiennent un surplus de 15% de ce que prévoient les principaux instituts nationaux et internationaux. Pour la branche maladie, la Ministre prévoit 4 milliards d’euros d’économies improbables et de toute façon insuffisantes pour atteindre les 2,1 milliards de déficit annoncé. Concernant la nature des économies envisagées, le plan de la Ministre entraine inévitablement un report du financement des innovations technologiques et médicales, induisant une moindre efficacité de notre système de santé. Le retard saisissant de la numérisation de notre système de santé perdurera, ce qui plombera le virage ambulatoire et l’optimisation de la pertinence des actes.
Quant à la mise à l’écart du déficit du FSV (4 milliards d’euros) pour affirmer la fin du trou de la sécu en 2017, il est particulièrement osé de la part de ce gouvernement quand on sait que le FSV finance les cotisations retraites des chômeurs et le minimum vieillesse. Le déficit de la sécu sera en réalité supérieur à 5 milliards d’euros en 2017. Sans compter que la réforme des retraites de 2010, à laquelle la Ministre actuelle s’est vivement opposée, permet d’économiser 5,9 milliards d’euros en 2017 alors que la réforme Touraine augmente les dépenses de 3,2 milliards cette même année.
« Le trou de la sécu n’aura donc pas disparu en 2017 », le déficit structurel sera bien toujours bien présent. Faire croire l’inverse est irresponsable car laisse penser aux Français que les réformes ne sont plus nécessaires. Pour ceux qui pensent que ces déficits sont minimes, qu’ils se réfèrent aux 260 milliards de dettes sociales cumulées depuis 1995.
La protection sociale adaptée au XXIème siècle reste à construire en France
La politique menée ces dix dernières années n’a fait que colmater le passé en matière de protection sociale. Notre pays dépense 34% de son PIB en dépenses sociales contre 28% en moyenne en Europe. Même si un tel niveau de dépenses se traduit par un coût du travail qui freine compétitivité et croissance, c’est surtout la faible efficience du modèle qui est en cause. Le système exclut le jeune adulte et en a fait le maillon faible de notre société, ce que nous payons au prix fort aujourd’hui. La France comprend un million de plus de pauvres depuis 2008 et un chômage de masse depuis les années 80. Dans une société vieillissante où le ratio actifs sur inactifs est passé de 4 en 1960 à 2,2 en 2010 et sera de 1,2 en 2050, le financement de la sécu repose encore à plus de 75% sur les revenus du travail, ce qui n’est pas soutenable.
L’assurance maladie est décriée comme la branche malade du système mais elle est la face criante de l’absence de réformes structurelles. Elle finance un système de santé que nos dirigeants ont réussi à faire décliner du statut de référence mondiale à un système sorti du top 10 dans toutes les études récentes. Ni le virage vers le maintien en bonne santé, ni celui de l’ambulatoire (qui passe par une réorganisation de l’offre des soins et le virage numérique) n’ont été pris. Le financement et la gouvernance sont assis sur une bureaucratie coûteuse, qui asphyxie la démocratie sanitaire, décourage les acteurs locaux et renforce le rôle d’un Etat sans vision. Les Groupements hospitaliers de territoire (GHT) de la loi Touraine centralisent davantage la gestion des hôpitaux publics alors qu’il y a une impérieuse nécessité à décentraliser et à rendre ces établissements le plus autonome possible. Quand Mme Touraine annonce 845 millions d’euros d’économie sur les achats grâce à ces GHT qui sont inflationnistes, c’est une injonction contradictoire qui aggrave les tensions sociales.
Notre système de retraites, qui coûte 13,7% du PIB contre 7,8% en moyenne dans l’OCDE, est illisible pour les citoyens, inadapté au nouveau monde du travail et basé sur un corporatisme qui divise la société. Les réformes de 2003, 2010 et 2013 sont des réformes paramétriques qui font survivre un système pensé dans le monde des emplois stables et des carrières continues de l’économie industrielle. Ce système à deux étages (base et complémentaires) assis sur 36 régimes différents doit évoluer vers un régime unique de retraites dont le mode de calcul sera un système à points qui permet à tout moment de sa carrière de piloter sa retraite et de traiter chaque citoyen avec équité. L’âge de départ sera laissé à l’appréciation de chacun en fonction de ses capacités et souhaits personnels. Un âge pivot (autour de 65 ans) servira de référence pour une retraite à taux plein, que l’on pourra augmenter en travaillant plus longtemps ou diminuer en partant plus tôt.
Mme Touraine devrait méditer l’expérience Jospin de 2002. Alors que le régime général avait dégagé 2,4 milliards d’excédent entre 1999 et 2001, le Premier Ministre de l’époque n’avait pas passé le premier tour de la Présidentielle 2002. Les Français avaient bien compris que le gouvernement avait bénéficié de circonstances économiques exceptionnelles, dont il n’était pas pour grand chose et n’avait pas préparé l’avenir. Ils avaient raison : plus de dix milliards de déficit sont apparus dès 2003 et près de 180 milliards d’euros de dette sociale ont été accumulés depuis 2002.
Si l’art du mensonge en politique a toujours existé et si pour Machiavel « gouverner c’est faire croire », les Français ne croient plus les artistes qui les gouvernent !
Frédéric Bizard
(1) La dernière a été publiée dans le Lancet le 21 Septembre 2016 et place le système de santé français en 24ème position – « Measuring the health-related Sustainable Development Goals in 188 countries: a baseline analysis from the Global Burden of Disease Study 2015 » – Etude de l’Institut américain des mesures et évaluations de la santé (IHME).
Sur le comptes de la sécurité sociale, voir