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L’IGAS met en exergue l’incompatibilité des réseaux avec les fondamentaux de notre modèle de santé basé sur la solidarité, la liberté et l’égalité dans la qualité de prise en charge. Ils institutionnalisent une médecine à deux vitesses : la médecine des réseaux – low-cost, de moins bonne qualité et de moins bonne accessibilité – et la médecine hors réseau, innovante et plus facile d’accès.
L’Inspection Générale des Affaires sociales (IGAS) vient de publier un rapport éclairant sur l’impact réel des réseaux de soins sur notre système de santé (1). Deux cents auditions de toutes les parties prenantes, une enquête auprès des organismes complémentaires d’assurance maladie (OCAM), une analyse juridique des conventions, des investigations sur le terrain… c’est un an de travail très approfondi qui a conduit à ce diagnostic complet. Prévu dans la loi Le Roux de Janvier 2014 qui a généralisé les réseaux de soins aux Mutuelles, ce bilan à trois ans doit éclairer les décideurs publics sur l’avenir des réseaux.
Des plateformes de gestion sans contrôle
Les réseaux sont des plateformes de gestion, constituées en sociétés anonymes, qui contractualisent avec les professionnels de santé, sur la base d’accords prix-volume-qualité. Les OCAM financent ces plateformes de gestion destinées à devenir des « acheteurs de soins » en leur nom. Le levier principal pour rediriger les usagers au sein des réseaux est le remboursement différencié, qui a obligé la loi Le Roux à casser le verrou solidaire du code de la mutualité. Leur présence est aujourd’hui uniquement en optique, dentaire et audioprothèse, même si les OCAM sont fermement décidés à les étendre dans les autres secteurs médicaux et paramédicaux.
L’IGAS révèle d’abord que ces réseaux évoluent dans « un cadre juridique très sommaire ». A défaut de textes d’application, la Loi Le Roux « constitue le cadre légal des réseaux de soins du point de vue sanitaire mais comporte des dispositions trop générales pour avoir une réelle portée ». Les réseaux s’excluent de tout cadre déontologique ce qui les « prémunit contre le recours pour publicité abusive ou détournement de clientèle ». L’IGAS précise « qu’à défaut de cadre juridique mais aussi de réclamations ou d’alertes, les réseaux de soins échappent à tout contrôle de la part des autorités sanitaires, au plan national et local ». Alors que ces réseaux opèrent une vraie régulation des parcours de soins des usagers, ils sont ainsi sous aucun contrôle sanitaire et juridique permettant de protéger l’usager et le professionnel de santé.
Le rapport révèle que le conventionnement est une relation contractuelle « très déséquilibrée ». « En plus d’être conclues sans aucune négociation (contrats d’adhésion), ces conventions comportent une très forte asymétrie des droits et obligations réciproques ». Le professionnel de santé perd son indépendance, son autonomie dans l’établissement du protocole de soins tout en restant pleinement responsable éthiquement et pénalement de ses actes.
Aux uns les contraintes, les obligations et la responsabilité des prestations, aux autres la liberté, l’irresponsabilité et le bénéfice financier.
Ce laxisme dans la régulation des réseaux, qui s’ajoute à celui des OCAM eux-mêmes, est une sérieuse menace pour la protection des données individuelles de santé des usagers. Les plateformes de gestion collectent sur plusieurs années une grande quantité de données personnelles « de nature administrative, financière et médicale ». Les pratiques constatées par l’IGAS et son analyse des conventions font apparaître « une très grande variabilité voire des écarts avec le droit », pour le recueil du consentement, la conservation des données et des responsabilités qui en incombent. Ainsi, les réseaux collectent chaque jour gratuitement, via les professionnels de santé, des données sensibles qui feront les profits futurs de leurs actionnaires.
Là encore, le droit et le labeur pour les uns, le non-droit et la rente pour les autres.
Une remise en cause des droits fondamentaux des soignants et des usagers
Le bénéfice défendu par les réseaux est de faire baisser les prix et d’améliorer la couverture du risque. L’IGAS est très circonspect sur ce bénéfice. La baisse des prix serait de 10% à 20% en optique, très faible en audioprothèse et nulle en dentaire. En optique, la principale raison de cette baisse de prix est la vente d’équipements bas et milieu de gamme plutôt que du haut de gamme. Ainsi, l’assuré peut voir son reste à charge diminuer s’il choisit de la moins bonne qualité. Quel progrès ! Ajoutons que le reste à charge en optique n’est lié qu’à la recherche de produits griffés, haut de gamme par les assurés. Tous les citoyens sont aujourd’hui couverts, y compris les assurés CMU, pour l’achat d’une lunette répondant à leur besoin médical. Être dans un réseau n’a aucune valeur ajoutée ni pour l’opticien ni pour l’assuré.
L’IGAS confirme aussi que le soi-disant contrôle de la qualité des produits et prestations de santé par les réseaux est une grande supercherie. Le rapport relève que des réseaux reconnaissent promouvoir des centres low-cost, à « risque potentiel » selon une autre mission réalisée par l’IGAS. Rappelons que les centres Dentexia ont mutilé des centaines de personnes, un tiers de leurs patients déclarant avoir dû être admis aux urgences pour soins. Le coût de la reprise des soins des victimes a été de l’ordre de 10 millions d’euros.
Ainsi, les réseaux creusent les inégalités en matière de qualité de soins. Ils institutionnalisent une médecine à deux vitesses : la médecine des réseaux – low-cost, de moins bonne qualité et de moins bonne accessibilité – et la médecine hors réseau, innovante et plus facile d’accès. L’accessibilité géographique est plus compliquée car la probabilité d’avoir un professionnel de santé du réseau proche de chez soi est faible.
L’évolution inévitable du réseau en acheteur de soins est un frein majeur à l’innovation. La théorie économique a démontré l’effet positif de la concurrence sur l’innovation dans les secteurs situés à la frontière technologique comme la santé. Ces plateformes commerciales imposent progressivement aux professionnels de santé leur référencement aux dépens de l’innovation. Les fabricants innovants se retrouvent sur des marchés trop limités pour rentabiliser leur recherche, ce qui casse les cycles de l’innovation.
L’IGAS souligne que les réseaux « opèrent une forte restriction sur la liberté de choix et de prescription ». Le remboursement différencié prive l’usager aux revenus modestes de choisir son professionnel de santé. Pour ce dernier, l’IGAS parle d’une « contrainte très forte… les réseaux encadrent très fortement les pratiques et les choix des produits à travers des conventions dont l’économie générale pose question ». Un modèle qui vise à maximiser les volumes de prestations par professionnel en contrepartie de tarifs ne fait pas que poser des questions, c’est une ineptie. La santé n’est pas une marchandise. La baisse de prix conjuguée à une hausse des volumes dégrade inévitablement la qualité des soins et est in fine inflationniste. Les États-Unis, berceaux des réseaux, ont parfaitement démontré cette réalité. Ces réseaux constituent bien une régression sans précédent pour notre système de santé que nous avions déjà dénoncé.
Ce rapport met en exergue l’incompatibilité des réseaux avec les fondamentaux de notre modèle de santé basé sur la solidarité, la liberté et l’égalité dans la qualité de prise en charge. Transmis aux législateurs, qui ont été largement trompés dans la présentation biaisée du projet de loi Le Roux, ces derniers prendront leur responsabilité de laisser ce poison inégalitaire et liberticide se diffuser dans notre système de santé ou le supprimer. Quant aux professionnels de santé, rappelons la phrase de Malraux « la liberté appartient à ceux qui l’ont conquise ». Dans ce cas, il suffit d’une lettre recommandée à sa plateforme de gestion pour la reconquérir !
Frédéric Bizard
(1)Rapport IGAS 2016-107R intitulé « Les réseaux de soins » établi par Nicolas Durand et le Dr Julien, Emmanuelli – Juin 2017- Publié en Septembre 2017
En savoir plus sur les réseaux:
https://www.fredericbizard.com/?s=réseaux+de+soins
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