Le gouvernement a saisi en 2020 le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (Hcaam) pour repenser le financement de la santé en France. A ce jour, l’agence a articulé quatre scénarios, tous déjà rejetés par les assureurs. Ce travail s’intègre dans une multitude de chantiers lancés successivement dans le quinquennat en santé. Il illustre très bien l’impasse d’une réflexion segmentée du système, qui plus est menée sans débat démocratique.
Une réflexion dans le vide
Le financement est un des cinq leviers qu’il faut activer pour refondre notre système de santé. Cependant, cette action doit être précédée d’une réflexion sur le nouveau modèle de santé et est à mener en parallèle des autres leviers que sont l’organisation des soins, la gouvernance, les comportements individuels et les modes de paiement, d’autre part.
La réflexion menée par l’Hcaam est ainsi purement technique et déconnectée des autres composantes du système de santé. Toute réforme d’un système de santé doit s’appuyer sur une philosophie, une conception de la société et de l’individu, comme ce fut le cas chez les fondateurs de la sécurité sociale. C’est un préalable politique indispensable, qui est absent de tous les chantiers lancés en santé.
On met la même énergie à parler de nouveau monde et à faire survivre les modèles de l’ancien monde.
Notre système de santé exprime l’idéal républicain qui fait de la liberté des acteurs, de l’égalité des chances et de la solidarité des valeurs cardinales. Ces dernières sont remises en cause par le déclin d’un système inventé il y a 70 ans et inadapté à un environnement transformé par la triple transition démographique, épidémiologique et technologique. Sans redéfinition du modèle et sans vision globale, l’Hcaam réfléchit dans le vide, d’où la multiplication des scénarios théoriques.
Le seul scénario à proposer est celui qui répond efficacement aux défis à relever et qui fait largement consensus. Le reste est bavardage inutile.
Une approche pusillanime d’un système indéfendable
Notre système de financement à deux étages quasi généralisés sur l’ensemble des services est une ineptie économique et une singularité française à laquelle il faut en effet mettre fin. La Cour des comptes vient encore de le démontrer. Le système est le plus coûteux d’Europe en dépenses administratives (5,6% de la dépense totale vs 2,8% en moyenne), de faible efficacité dans la qualité de la couverture du risque malgré une couverture assurantielle très large, et très inégalitaire pour sa partie complémentaire privée.
En réalité, seul l’assureur public supporte le vrai risque, celui qui peut durablement paupériser les ménages. La crise Covid est venue le rappeler à ceux qui en doutaient. Les assureurs privés gèrent une rente de 40 milliards qu’ils font croître de près de 4% par an, dont ils redistribuent à peine les deux tiers. Les Pouvoirs Publics – qui ont pris l’habitude de parler haut dans les médias à ces assureurs tout en suivant scrupuleusement leurs consignes dans les textes de lois -, en ont fait un prélèvement obligatoire pour quasiment tous les Français.
Quand 15 milliards d’euros de ce prélèvement sert à rembourser des tickets modérateurs, par définition sans risque pour ceux qui doivent les payer (de nombreux cas d’exonérations existent), et près de 8 milliards d’euros à payer de frais de gestion en hausse de plus de 5% par an, on prend conscience du potentiel d’économies existants.
Un autre exemple pour illustrer la stupidité du système. Les pouvoirs publics ont créé deux familles de contrats, démutualisant la couverture du risque entre les actifs (à faible risque) et les inactifs (à haut risque). Les premiers sont dans un système de contrats collectifs payés à moitié par les employeurs (coût de 10Mrds€), subventionnés à hauteur de 10Mrds€ par le budget de l’Etat, avec une redistribution de l’ordre de 80% de leurs cotisations. Les seconds (retraités, chômeurs…) ont des contrats individuels qu’ils paient intégralement, avec une redistribution souvent proche de 60%, avec une piètre qualité de la couverture du risque. En rendant obligatoire les contrats collectifs plutôt que de les supprimer, les Pouvoirs Publics ont sanctuarisé des milliards d’euros de coûts évitables et condamné les inactifs à être mal protégés.
Un seul scénario de financement dans un nouveau modèle
Le seul scénario sur lequel réfléchir est l’évolution vers un modèle présent partout dans le monde de financeur unique par prestation de santé. Les assureurs privés deviennent des assureurs supplémentaires à l’assurance maladie. Si on veut garder les fondamentaux du modèle français, il faut réinventer un projet politique de démocratie sanitaire et sociale autour de la branche santé de la sécurité sociale.
L’Institut Santé vient de sortir le nouveau modèle social appliqué à la santé qui s’appuie sur le concept d’autonomie solidaire. Il a fallu trois ans de travaux d’intelligence collective pour construire ce nouveau modèle dans toutes ses composantes et s’assurer qu’il faisait consensus.
La mission confiée à l’Hcaam est donc mission impossible et se soldera par un échec. C’est inhérent à la structuration d’un système de santé. On peut prendre d’autres exemples dans ce quinquennat qui ont été des échecs pour les mêmes raisons. En 2018, Mme Buzyn a lancé son grand plan santé 2022, qui devait refondre entre autres les modalités de paiement des professionnels et des établissements. Trois ans après, rien n’a bougé.
En Juillet 2020, M. Véran signe le Ségur de la santé, quasi exclusivement centré sur l’hôpital. Un an après, la crise hospitalière est à son paroxysme, avec une pénurie de soignants record et une attractivité des établissements au plus bas. Toujours cette pensée cloisonnée du système, qui appose une à une des rustines sur chaque composante d’un modèle en fin de vie, en fonction des urgences.
Comme il ne faut pas s’arrêter en si bon chemin, M.Véran a missionné en juin dernier une autre agence, le haut Conseil de Santé Publique (Hcsp), pour réfléchir à la refonte de la santé publique en France. Nous avons donc une agence qui réfléchit à l’avenir du financement de la santé sans se préoccuper des questions de santé publique et une autre agence qui pense à l’avenir de la santé publique sans se préoccuper de son financement. Il faut préciser que ce délire institutionnel existe depuis une vingtaine d’années.
En 2022, la France disposera d’un modèle social perclus de dettes, avec des hôpitaux au ralenti par manque de personnel soignant, d’un système de santé inadapté à la gestion des crises comme à celle des pathologies chroniques, sans prise en compte de la santé globale, seule à même de réduire les inégalités sociales et d’aborder le volet environnemental si important.
Peut-on se permettre de transmettre un tel fardeau à nos enfants et ignorer le sujet dans une campagne présidentielle, comme c’est le cas jusqu’à maintenant. La société civile, par l’intermédiaire de l’Institut Santé, a pris ses responsabilités en produisant un programme clé en main pour bâtir un nouveau modèle social appliqué à la santé. Elle apporte la preuve que ce nouveau modèle est à portée de main.
Comme le disait Max Weber, « la politique c’est ce qui est faisable ». A bon entendeur…
Frédéric Bizard