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Santé Publique : La France mérite beaucoup mieux !

Article publié le 16 décembre 2018 dans Les Echos.fr

 

« Depuis des années, les implants médicaux, c’est l’angoisse des Ministres de la santé ». Quand la Ministre Agnès Buzyn s’exprime sur l’enquête des « implant files » le 26 novembre dernier, elle résume l’état de la santé publique en France mais aussi l’étonnant sentiment de résignation des dirigeants politiques français dans ce secteur.

Ex-champion du monde du soin individuel, la France n’a jamais construit une véritable politique de santé publique, i.e. une politique qui se préoccupe de la santé des bien-portants et qui a une approche populationnelle et pas seulement individuelle. On en paie aujourd’hui le prix fort par des résultats sanitaires moyens et une maitrise de la dépense à l’encontre de la qualité des prestations de santé.  Les évolutions démographiques et épidémiologiques rendent intenables cette spécificité française parmi les pays développés.

L’évolution stratégique indispensable de notre système du soin vers la santé, du curatif vers la santé globale, est pourtant le vrai changement de paradigme que l’État devrait entreprendre pour reconstruire un système de santé efficient et équitable en France.

La faiblesse de la France en santé publique n’a rien d’une fatalité

Malgré l’héritage pasteurien, la santé publique en France est une histoire institutionnelle récente qui s’est réellement construite par réaction au moment de la crise du sang contaminé dans les années 80. Depuis 40 ans, l’État français a conduit une « stratégie » d’agencification, multipliant les agences pour répondre soit à un risque épidémique, soit à un scandale sanitaire. Il en résulte un bric-à-brac d’une vingtaine d’agences et de hauts-conseils, souvent dotés de missions qui se recoupent et de luttes de pouvoir qui les affaiblissent.

Il s’ensuit aussi un État dont ses représentants en santé sont pétris d’angoisse, comme l’exprime la Ministre Buzyn, sans capacité d’anticipation réelle des crises et sans vision d’avenir sur les besoins réels sanitaires pour piloter les 270 milliards d’euros de dépenses annuelles.

Outre ces fondations fragiles, l’État français, uniquement focalisé sur le curatif, a dilapidé des secteurs stratégiques de santé publique. A titre exemple, la loi El Khomri de 2016 a remplacé la visite médicale obligatoire en entreprise tous les deux ans par une visite d’information tous les 5 ans. L’État gère la pénurie de médecins du travail plutôt qu’y remédier. La médecine scolaire est dans le même état de déshérence, conduisant à un usage du tabac qui démarre de plus en plus jeune et une résurgence des maladies sexuellement transmissibles inquiétantes en France.

La santé publique est aussi victime du manque de transparence et de régulation dans les relations entre les acteurs du système. L’affaire des implants médicaux révèlent la faiblesse du contrôle des marquages CE, mais aussi l’opacité des relations entre les industriels et les fournisseurs de soins et l’absence de registre national de matériovigilance. C’est pourtant bien la responsabilité de l’État de créer un cadre législatif qui évite ces déviances.

Si l’État est défaillant depuis des années pour changer le paradigme en santé, la responsabilité de cette situation est collective. Les organisations de défense des patients et des professionnels de santé se mobilisent facilement pour dénoncer un médicament curatif non pris en charge par l’Assurance maladie, la suppression de postes à l’hôpital ou la saturation des urgences mais bien peu pour dénoncer l’effondrement de l’éducation sanitaire ou la baisse des dépenses réelles en prévention depuis 5 ans.

Un big bang institutionnel et culturel est nécessaire

L’Institut Santé, organisme de recherche indépendant en santé, a constitué un plan d’actions pour faire de la santé publique un pivot du système et réussir ce changement de paradigme de l’accès aux soins vers l’accès à la santé (1).

Face à l’émiettement mortifère des institutions, cet organisme suggère d’instaurer une gouvernance politique unifiée et dédiée à la santé publique.  Le regroupement de ces multiples agences au sein d’un pôle principal, l’Institut pour la Qualité et l’Équité en Santé (IQES), serait un gage d’efficacité, de capacité d’actions et de lisibilité de notre politique de santé publique. Un Secrétaire d’Etat à la santé Publique piloterait l’ensemble de ce pôle institutionnel, sous l’autorité du Ministre de la santé.

Sur le plan régional, une nouvelle attribution serait confiée au Conseil régional pour mener à bien des actions de santé publique. La Région pilote déjà des politiques publiques dans l’éducation, le sport, le développement économique, l’aménagement du territoire qui sont des leviers importants sur les déterminantes de santé.

De la même façon que le gouvernement a lancé en 2017 un plan d’investissement à 5 ans de 15 milliards d’euros dans la formation professionnelle, il faut lancer un plan d’investissement à moyen terme dans le capital humain en santé (actions sur les déterminants de santé, médecines scolaires et du travail…) pour retarder l’âge d’entrée dans la maladie et allonger l’espérance de vie sans incapacité. Alors que 40% des cancers sont évitables en France, il est facile de comprendre la rentabilité de cet investissement. C’est la solution pour réduire les inégalités sociales de santé et pour compenser l’impact du vieillissement démographique.

Cet investissement devrait inclure la création d’un pôle international d’excellence académique de recherche et d’enseignement en santé publique, doté d’une approche interdisciplinaire pour faire bénéficier des progrès technologiques considérables à notre santé. Ce pôle d’excellence sera aussi un levier pour développer une culture de santé publique au sein des professionnels de santé, dont la formation initiale comprendrait un programme complet sur « la santé publique et l’environnement ».

La France a tous les atouts pour construire une politique de santé publique ambitieuse et référente dans le monde. Il ne manque que la volonté politique et donc probablement une prise de conscience collective du caractère stratégique de cette politique pour le bien commun.

C’est cette volonté qu’il faut d’abord construire, car comme le disait Machiavel « là où la volonté est grande, les difficultés diminuent » !

 

Frédéric Bizard

 

(1) Voir l’intégralité du programme de refondation du système de santé proposé par l’Institut Santé ici

 

Article publié le 16 décembre 2018 dans Les Echos.fr

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