Cent jours après sa nomination au Ministère des Solidarités et de la Santé, Madame Buzyn a manifesté beaucoup de bons sentiments et annoncé quelques mesures (vaccination obligatoire, paquet à 10 euros). La politique, même la plus généreuse, n’étant pas affaire de bons sentiments et aucun projet de réforme structurant n’ayant été évoqué, la lisibilité de son projet politique en santé fait, pour le moment, défaut. Peut-on espérer autre chose que la continuité de la politique de santé du précédent quinquennat ?
Un diagnostic erroné est toujours la garantie d’une mauvaise politique
La nouvelle Ministre s’est soumise au rituel de ses prédécesseurs depuis 20 ans en exaltant la renommée de notre système de santé : « le monde entier nous envie notre système de santé » (1). Peu importe si les classements internationaux démontrent le contraire (2), peu importe si plusieurs indicateurs sanitaires restent mauvais (inégalités sociales de santé, mortalité prématurée), peu importe si les professionnels de santé (du public et du privé) vivent une détresse sociale croissante, peu importe si la satisfaction des usagers pour le système décline, l’important est d’entretenir une illusion, qui fut une réalité mais dans un autre monde. Le message politique est clair, ne comptez-pas sur moi pour faire des réformes structurelles, je gère le meilleur système de santé du monde.
Que nous envie le monde entier exactement ? Nos instances sanitaires, nos résultats de santé publique (tabac, alcool), nos infrastructures hospitalières, nos agences régionales de santé, notre diffusion de la e-santé… ou la qualité de nos professionnels de santé et leur accès sans limite quel que soit son revenu et sa condition sociale ? Toute personne qui voyage un peu répond aisément à cette question. L’absence de réforme structurelle de notre système de santé condamne à court terme ce qui fait encore en effet l’envie des autres pays développés. Taux de suicide deux fois plus élevé chez les médecins que le reste de la population, 25% des étudiants en médecine qui ne font pas de soins en fin d’étude, des taux d’installation au plus bas qui accélèrent la désertification médicale, le financement solidaire des innovations qui n’est plus assuré… Le délitement de ce qui reste comme atout de notre système de santé est pourtant criant.
Malgré la responsabilité lourde de l’impéritie des Pouvoirs publics en santé, ces derniers se sont évertués dernièrement à faire des Professionnels de santé les boucs-émissaires de ce délitement.
La France a en effet disposé du meilleur système de santé du monde au XXème siècle mais le XXIème siècle a fait émerger un nouveau monde. La triple transition démographique, épidémiologique et technologique change radicalement l’environnement en santé. Elle apporte de formidables opportunités puisqu‘il s’agit de vivre plus longtemps et de mieux soigner mais nécessite de changer de stratégie et d’adapter le logiciel d’organisation, de financement et de gouvernance à ce nouveau monde. Faire vivre les citoyens en bonne santé plus longtemps, gérer sur le long terme le parcours des malades chroniques et diffuser massivement aux soignants et usagers les nouvelles technologies de santé, voici trois défis majeurs de notre temps qui nécessitent une réforme systémique. La seule politique responsable est de reconstruire un système de santé adapté au monde du XXIème siècle et à la culture française (3). Encenser le modèle de 1945 est soit un aveu d’impuissance politique (le sujet est jugé trop sensible et complexe par tous les leaders politiques) soit une incompréhension profonde des enjeux (cas d’une grande partie de la technostructure en santé).
La continuité de la politique santé de Touraine serait une (autre) garantie d’échec
Après cette absence de projet politique adéquat en santé, la deuxième inquiétude est la volonté de continuité de la politique menée en santé sous le quinquennat Hollande, reconnue pourtant quasi unanimement comme désastreuse. L’épisode laborieux du tiers payant généralisé semble montrer que Mme Buzyn continue de donner raison au Conseil Constitutionnel qui avait estimé (en janvier 2016) « que le législateur avait (sur ce point) méconnu l’étendue de ses compétences ». Le dogme anti-médecine libérale de son administration et la pression des assureurs privés l’ont emporté sur les tentatives de suspension de la Ministre.
Une politique de santé doit d’abord être construite et évaluée sur ses bases éthiques et philosophiques. Ces dernières peuvent être d’inspiration utilitariste (la plus fréquente en santé, le modèle étant le NHS), d’inspiration ultra-libérale (rare, cas des États-Unis) ou libéral social (rare, cas de la France). Dans le premier modèle, seule la somme totale des utilités (mesure du bien-être) compte, quitte à sacrifier une partie de la population. Pour le second, c’est la marchandisation du soin et le principe du citoyen auto-suffisant. Pour le troisième, c’est le principe des droits individuels (égaux pour tous) qui prime auquel la France à appliquer son triptyque républicain.
A la fin du XXème siècle, les pouvoirs publics – guidés par la technostructure qui a l’objectif de reprendre le contrôle direct, sur le modèle de l’éducation nationale, de notre système de santé – ont fait le choix (l’erreur historique), sans aucune base démocratique, de modifier les bases éthiques de notre modèle de santé pour dériver vers le modèle anglais. Depuis cette période, toutes les réformes ont une à une apporter leur pierre à l’étatisation de la gouvernance et à la construction d’un système national de santé géré par l’État. L’apport de Mme Touraine à cette forme de coup d’État a été d’accélérer la nationalisation de l’offre de soins en sortant les cliniques privées du service public hospitalier et en condamnant financièrement et moralement la médecine libérale.
Comme cela ne suffisait pas, des inspirations ultralibérales soufflées par le secteur assurantiel (dont le cabinet Ministériel actuel apparaît aussi largement inféodé) ont garni le projet politique Touraine en confiant la responsabilité de certains soins courants aux assureurs privés (réseaux de soins, loi Le Roux). Même avec la cocarde socialiste et les sauts de cabri sur les vertus solidaires, les mesures prises conduisent inévitablement à la destruction du modèle solidaire français des droits égaux pour tous.
Ce risque d’une politique de la continuité dans le déclin est palpable par une absence de suppression des mesures les plus aberrantes prises dans le quinquennat précédent, ce qu’a fait M. Blanquer pour l’éducation. A titre d’exemple, le décret d’octobre 2014 sur le plafonnement du remboursement des consultations médicales, dont sa responsabilité dans la dégradation de l’accès aux soins médicaux (avec son corollaire de la hausse des profits pour les assureurs privés) est démontrée, serait simple à supprimer. Silence radio sur le sujet. De même, la mainmise sans précédent de la haute administration sur l’organisation régionale des soins, et la bureaucratisation qui l’accompagne, semble être approuvée si l’on en juge par le maintien en poste ou même la promotion de la technostructure santé du quinquennat Hollande. Les faits sont têtus, mêmes causes mêmes effets, mêmes personnes même politique.
Simone Veil disait souvent qu’en politique « son premier réflexe est toujours de dire non ». Reste l’espoir que cette grande dame, inspiratrice de la Ministre, la conduira très vite à dire NON à la continuité dans le déclin de notre système de santé !
Frédéric Bizard
(1) Interview par Isabelle Gérard – « Je n’ai pas choisie la médecine, je suis tombée dedans » -Le Figaro.fr- 7/08/17
(2) Dont le dernier de Mai 2017 paru dans la célèbre revue Le Lancet qui nous classe 15ème sur 195 pays.
(3) Tout est ici : « Protection sociale : pour un nouveau modèle » -Dunod- Mars 2017- Frédéric Bizard