La philosophie des Lumières fut marquée avant tout par un désir de liberté. «Liberté, j’écris ton nom», répétait Eluard dans son célèbre poème de 1945. Les millions de personnes qui ont participé le 11 janvier 2015 à la marche républicaine ont tenu à réaffirmer la primauté de la liberté sur toutes les autres valeurs dans notre société. La liberté, sous réserve qu’elle soit la même pour tous, est au-dessus de toutes les autres valeurs, car les autres en dépendent. La spécificité du modèle de santé français est profondément liée au rapport de notre pays à la liberté.
Notre modèle de santé est un miroir de la société française
Comme pour les autres pays développés, le modèle de santé français est le reflet de notre histoire et de l’organisation politique et sociale de notre société. C’est à partir de nos valeurs que notre système s’est construit. Ce socle est incontestablement dominé par la liberté, de laquelle dépend l’égalité. C’est ainsi que chaque citoyen est libre de son comportement, y compris les plus destructeurs pour sa santé, à lui d’en assumer les conséquences. C’est ainsi que chaque citoyen est libre de se soigner ou de ne pas se soigner, sous réserve qu’il n’altère pas la liberté des autres (sécurité sanitaire). C’est ainsi que chaque citoyen est libre du choix de son médecin et de son établissement de santé, à lui de s’assurer qu’il soit de qualité. Cette liberté s’est même étendue aux professionnels de santé dont plus de 400 000 exercent en libéral. Aucun autre pays développé n’offre ce degré de liberté en rapport avec sa santé.
Cependant, la liberté de chacun s’arrête là où commence celle des autres, comme indiqué dans la déclaration des droits de l’homme : « pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». C’est la raison pour laquelle cette liberté n’est pas infinie, et ne s’applique pas intégralement à l’assurance santé entre autres. Seule une assurance publique obligatoire permet à chacun de supporter financièrement le coût des cotisations; sans quoi une partie de la population n’aurait pas la liberté de s’assurer. La liberté ne se négocie pas, elle ne peut pas être un fardeau pour l’un et un accessoire pour l’autre. C’est là où commence la notion de droits, d’égalité des droits pour tous. Ficelée à cette liberté se trouve la responsabilité de chacun. « Tout ce qui augmente la liberté augmente la responsabilité » disait Victor Hugo. Notre modèle de santé repose sur un équilibre entre la liberté, la responsabilité et l’égalité des droits.
Voici le défi à relever pour réformer notre système de santé: redonner une forme à notre modèle tout en conservant chaque citoyen libre, responsable et égal (face au risque).
L’instauration d’un modèle santé étatisé à l’anglaise est contraire à notre culture
Les ordonnances Juppé de 1996 ont représenté le virage étatiste de notre système de santé, qui n’a cessé de s’accentuer depuis et dont le projet de loi de santé actuel marque une accélération en ligne avec ce changement de modèle. Les politiques se rassurent en ne voyant pas le démantèlement du modèle français de santé provoqué une marche républicaine de plusieurs millions de personnes. Seuls les premières victimes du changement de modèle, les médecins libéraux, se rebellent. Ils vont en effet les premiers à perdre leur liberté (installation, prescription). Quant aux patients, leurs associations représentatives sont malheureusement manipulées à foison par l’Etat qui les financent et détournées de leurs missions par des individus qui ont vendu à bas prix leur propre liberté. Depuis 1996, l’absence de débat démocratique d’ampleur sur les sujets de santé empêche le citoyen de toute prise de conscience sur les conséquences futures des choix politiques.
Le projet de loi actuel est une véritable boite à outil pour passer du modèle français au modèle anglais (NHS). D’abord, le tiers payant généralisé (TPG) existe dans le NHS depuis sa création. Il est consubstantiel du choix imposé de son médecin, du médecin salarié et du rationnement par les files d’attente. Vouloir tirer profit de l’avantage politique à court terme du TPG sans en annoncer les conséquences inévitables à moyen terme est dangereux pour la démocratie tant les citoyens se sentiront trahis. Ensuite, transférer les pouvoirs d’organisation de l’offre de soins à des agences d’Etat, composée d’agents sanitaires et sociaux et dirigés par la haute administration publique, est une autre marque d’abandon de notre modèle dont la gouvernance s’appuie sur la démocratie sociale.
Ce modèle anglais est compatible avec une approche utilitariste de la société, qui substitue l’utilité à la justice. Or le droit est un principe, l’utilité est un résultat. Les anglais acceptent qu’une partie de la population n’ait pas accès à certains traitements parce qu’elle est trop âgée, ou qu’elle soit victime de lourdes pertes de chance dans le cancer du fait des files d’attente parce qu’elle n’a pas les moyens de sortir du NHS. Les Français l’accepteront-ils ? Probablement pas au regard de notre vision de l’humanité. Ne faudrait-il pas au minimum leur poser la question? Il n’en demeure pas moins que collectivement (utilitairement) le modèle anglais fonctionne correctement. C’est donc bien la dimension culturelle et morale qui domine.
Une étatisation sans souffle et sans vision
En réalité, la politique de santé de ces vingt dernières années n’enthousiasme personne, ne tire aucun attelage. Elle est menée à petit pas par la haute administration publique qui pense agir pour le bien commun en supprimant certaines libertés, dans le pur esprit utilitariste. La motivation principale des technocrates n’est pas philosophique mais comptable. L’abandon de notre modèle de santé serait rendu inévitable par la dérive des dépenses et des comptes de la sécurité sociale. Cela revient à soumettre le droit à l’utilité, à faire dépendre la liberté de chacun à la variabilité des opinions et des situations. Même les plus fervents partisans de cette évolution n’y trouvent pas leurs compte car cet étatisme est sans souffle, sans stratégie et donc sans avenir. En regard des valeurs de la société française, c’est une régression.
La solution n’est pas dans une simple réécriture précipitée du projet de loi actuel. Elle passe par une grande concertation nationale visant à adapter notre modèle de santé aux nouveaux enjeux du XXIème siècle, dans le respect de notre modèle de société issu des Lumières.
Il faut refonder notre modèle social en général et de santé en particulier, dans le respect de l’équilibre précédemment évoqué. C’est probablement le meilleur usage que les politiques pourraient faire de l’unité nationale de ce moment de notre histoire et le meilleur hommage aux personnes mortes pour que la France reste la France!
Frédéric Bizard