Publié dans Les Échos le 8 juillet 2022
Après une visite à l’hôpital de Cherbourg le 31 mai 2022, le Président de la République a confié une mission flash au Dr François Braun, son référent santé pendant les Présidentielles et Président de Samu-Urgences de France. La mission consistait à trouver des solutions immédiates aux problèmes rencontrés dans les services d’urgences de France, dont 127 sur 697 (plus d’un sur six) ont déjà arrêté toute activité la nuit.
Rappelons que le nombre de passages aux urgences a plus que doublé en 20 ans (de 10,1 millions en 1996 à 22 millions en 2019). Une dizaine de rapports officiels ont été commandités depuis 2010 et une grève massive début 2019 alertait sur l’état dégradé des services. Si les gouvernements successifs ne sont pas restés inactifs, force est de constater qu’aucun n’a apporté de réponse efficace.
Si le rapport de 41 mesures remis à la Première Ministre le 30 juin risque fort de faire perdurer cette impuissance politique, les déclarations de son auteur lors de sa prise de fonction du Ministre de la Santé et de la Prévention le 4 juillet laissent entrevoir un espoir.
Inventaire à la Prévert
Sachant que la crise des urgences est le miroir de la crise des autres composantes du système de santé, la cohérence d’ensemble et l’approche globale du plan de sortie de crise sont indispensables. A cette recherche de sens et de projet de refondation, il a été préféré, à ce stade, un inventaire de 41 mesures sans stratégie ni vision d’ensemble (1).
Outre cette carence, certaines mesures apparaissent inapplicables, d’autres proposent un mode dégradé de prise en charge des patients dangereux pour leur santé et certaines ont déjà montré leur inefficacité. Prenons trois exemples illustrant cela.
Le rapport suggère de « réguler les admissions soit par un triage paramédical à l’entrée des urgences soit par une régulation médicale préalable systématique ». Si elle était appliquée, cette mesure conduirait à des manifestations à l’entrée des hôpitaux potentiellement violentes d’usagers exigeant d’être pris en charge immédiatement.
Si on veut faire reposer la pertinence du lieu de soins sur la responsabilité de l’usager, il faut donner à chacun la capacité d’accéder au lieu souhaité (souvent le médecin généraliste), ce qui est loin d’être le cas. Responsabiliser l’usager sans lui donner les capacités d’assumer cette responsabilité est pour le coup peu responsable.
De plus, le rapport suggère aussi d’envoyer sur le lieu de l’urgence « des équipes réduites, seulement un ambulancier et un infirmier… Une fois sur place, ces équipes entreraient en communication en visio avec un médecin, voire dans certaines situations, se passeraient tout court d’un médecin ».
De la même façon que le rapport accepte le principe de fermeture de 120 services d’urgences la nuit, on peut quand même s’étonner que des missions menées par le SAMU ne puissent se mener sans avis médical. Là aussi, ce mode de fonctionnement dégradé pourrait légitimement générer une contestation sociale forte, sans compter les risques juridiques que l’Etat prendrait.
Enfin, des gestionnaires de lits sont proposés pour faciliter la recherche de lits d’aval nécessaires à l’hospitalisation des patients des urgences. Cela fait plus de dix ans que cette mesure est censée être en application mais le problème étant l’absence de lits disponibles ou au moins en fonctionnement, cette mesure est sans effet.
Des conséquences dont l’acceptation sociale atteint ses limites
Ce droit à l’accès aux soins, qui doit devenir un droit à l’accès la santé globale, s’est détérioré pour les soins courants ces dernières années et concerne maintenant les soins critiques, le risque vital. De plus en plus de professionnels de santé relatent des décès évitables dans des services hospitaliers, y compris des décès d’enfants comme il dans l’excellent documentaire « la fabrique du soin » (2), tourné au CHU de Clermont-Ferrand.
Ce qui change donc est la gravité des conséquences de cette impuissance politique. D’une désorganisation des services générant un épuisement et une colère du personnel, nous sommes maintenant à l’ère des décès évitables. En cela, les conséquences politiques risquent de diverger nettement aujourd’hui par rapport à hier !
Pour régler la crise actuelle, d’essence systémique, seul un travail d’intelligence collective réunissant toutes les expertises, toutes les sensibilités professionnelles et politiques n’a de chance d’aboutir à un plan sérieux de sortie de crise. Ce plan s’appelle « la refondation de notre système de santé ». Ce ne sont pas que des mots mais une méthode politique.
Quand les défis relevés par les modèles sociaux et économiques créés il y a 70 ans dans un contexte précis changent radicalement, il faut réinventer ces modèles pour répondre au nouvel environnement. Il est curieux de théoriser l’avènement d’un nouveau monde et de faire de la politique comme si l’environnement ne changeait pas et que le rafistolage des modèles suffisait.
L’Institut Santé a mené ce travail de recherche de consensus, de débats entre toutes les expertises et sensibilités depuis 2018. Il en est sorti le seul programme aujourd’hui accompli sur la refondation de notre système de santé, intitulé « l’autonomie solidaire en santé ». La mise en place d’un service public territorial de santé est un des mesures phares de ce programme.
Le modèle actuel a considéré que seul l’hôpital était un service public, ce qui a remarquablement fonctionné à une époque où un modèle hospitalo-curativo centré était adapté. Au XXIème siècle, la base géographique de ce service public devient le territoire de santé, le champ d’expression est la santé globale et non plus seulement le soin, et les acteurs sont l’ensemble des professionnels de santé.
Une fois nommé Ministre de la Santé, le Dr Braun a déclaré que « c’est tout le système de santé qui est à bout de souffle ». Avec la Ministre déléguée à l’organisation territoriale et aux professions de santé, Agnès Firmin-Le Bodo, il souhaite organiser une conférence de toutes les parties prenantes du système de santé.
Si l’objectif politique est vraiment de tout refondre en santé, l’espoir demeure !
Frédéric Bizard
(1) Voir Intervention sur BFM Business du 1er juillet 2022- 41 pistes pour surmonter l’été
(2) Le documentaire « La fabrique du soin », réalisé par Marion Angelosanto, diffusé samedi 2 juillet à 21h sur la chaine parlementaire Public Sénat, suivi d’un débat.
#FrédéricBizard, L’intervention d’infirmiers sans la présence d’un médecin fait partie des trois exemples de mesures que vous qualifiez d’inapplicables « On peut quand même s’étonner que des missions menées par le #SAMU ne puissent se mener sans avis médical. Là aussi, ce mode de fonctionnement dégradé pourrait légitimement générer une contestation sociale forte, sans compter les risques juridiques que l’Etat prendrait. »
Cette analyse est à mon sens contestable, d’autant plus que ces interventions protocolisées existent déjà et depuis longtemps pour les infirmiers sapeurs-pompiers et qu’avec le recul nécessaire il est possible d’affirmer qu’elles n’ont entrainé ni contestation sociale, ni procédures juridiques.
L’autonomie professionnelle des infirmiers au sein des #sapeurspompiers se fonde sur le concept des protocoles infirmiers de soins d’urgence, les fameux «PISU». Historiquement prévus à l’article R4311-14 du Code de la Santé Publique pour l’exercice professionnel isolé (infirmier en entreprise…) et sans médecin disponible immédiatement, les Infirmiers de Sapeurs-Pompiers ( #ISP) en sont devenus les principaux utilisateurs en France. Les ISP disposent ainsi de prescriptions médicales permanentes du médecin-chef de leur SSSM. Elles sont à mettre en œuvre en fonction de situations cliniques prédéterminées durant leurs missions au sein du #SDIS.
L‘initiation d’un #PISU peut être réalisé d’emblée par l’infirmier sapeur-pompier étant donné le bénéfice attendu pour le patient d’une réponse urgente et formalisée. La mise en œuvre d’un PISU impose l’information immédiate du médecin régulateur du SAMU. En effet, dès l’initiation d’un PISU, l’ISP doit prendre directement contact avec le médecin régulateur du SAMU afin que ce dernier décide de sa poursuite, de son arrêt ou de son adaptation à la situation dans l’attente de l’arrivée éventuelle d’un #SMUR.