Retraites – Pourquoi les médecins libéraux doivent conserver leur caisse CARMF !

La réforme emblématique au programme du quinquennat Macron est sans nulle doute la transformation systémique de notre système de retraite. Il est devenu illisible pour les citoyens, moins protecteur pour les futures générations et son avenir financier n’est pas garanti. Cette réforme est nécessaire pour répondre aux évolutions du monde du travail impacté par les révolutions technologiques, au vieillissement démographique et à la nécessité de mieux répondre à la diversité des aspirations individuelles.

Cependant, les choix dévoilés au compte-gouttes par le gouvernement ces derniers mois font état de l’instauration d’un régime unique étatique de retraite, qui supprimera toute notion de solidarité professionnelle et risque d’être une protection universelle tirée vers le bas. Défavorable pour les bas revenus et les carrières spécifiques comme celles des médecins, cette réforme se présente inacceptable en l’état pour les médecins libéraux, entre autres.

Le coûteux sauvetage du système de retraite par les médecins libéraux

Rappelons que les 123 500 médecins libéraux (ML) cotisants financent trois régimes obligatoires de retraites par répartition. Un régime de base commun aux professionnels libéraux (la CNAVPL), un régime complémentaire obligatoire gérée par une caisse dédiée (CARMF) et un régime supplémentaire (ASV) gérée par cette même caisse. Ces trois régimes représentent respectivement 21%, 44% et 35% de la pension moyenne du médecin libéral qui était de 31 700 euros, pour un revenu moyen d’activité de 90 000 euros à fin 2017.

Les représentants élus des libéraux, sous la pression de l’Etat, ont mis en place une cure d’austérité radicale ces 10 dernières années après plusieurs années d’errance de la gestion de la CARMF (en particulier de l’ASV). Hausse drastique des cotisations (de 0,25% des revenus en 2012 à 3,80% en 2018 pour la part proportionnelle pour l’ASV ) et baisse des prestations de près de 10% depuis 2012 ont été au menu de l’ASV par exemple. Médecins libéraux actifs et retraités ont ainsi été largement mis à contribution pour redresser les comptes de la CARMF.

La chute de la rentabilité des cotisations des régimes CARMF a fait perdre environ 15% de pouvoir d’achat aux ML retraités depuis 2000. En tenant compte de la hausse de la pression fiscale, la perte avoisine les 20%. Ajoutés à une gestion interne plus rigoureuse de la CARMF ces dernières années, dont les frais de gestion ont baissé de 30% en 20 ans à 1,15% des cotisations, les lourds sacrifices des ML ont permis de constituer des réserves de l’ordre de 7 milliards d’euros qui devraient permettre de passer le choc démographique d’ici à 2035 dans des conditions satisfaisantes.

 

Approuver le principe d’un système universel de retraite de base                         

La mise en place d’un régime universel de retraites à points visant à uniformiser les modes de calcul des pensions de retraites des Français, à rendre le système plus équitable et plus facile à piloter par les citoyens eux-mêmes devrait être approuvé par les médecins libéraux. Cette réforme va dans le sens de l’histoire d’une protection sociale plus individualisable tout en restant solidaire, d’une protection sociale qui donne plus de pouvoir d’autonomie aux individus dans leur choix de vie.

Cette évolution est d’autant plus acceptable pour les médecins libéraux que leur système de retraite a déjà pris les devants face à cette nécessaire transformation. Leurs trois régimes fonctionnent déjà à partir d’un système à points, dont le pilotage est facilité pour les assurés. La CARMF a voté en janvier 2016 la réforme dite de « retraite en temps choisi »qui permet aux ML de prendre leur retraite dès 62 ans sans décote, ou plus tard jusqu’à 70 ans avec une surcote (de 5% par an jusqu’à 65 ans puis de 3% entre 66 ans et 70 ans).

Les ML ont déjà pleinement intégré le besoin de flexibilité de gestion des fins de carrière. En 2018, plus de 12 000 ML actifs sont en cumul emploi/retraite, soit le double qu’en 2012. Ils représentent plus de 10% de l’ensemble des ML en exercice et près d’un quart des ML en retraite. Ils seront plus de 35 000 en 2025. Cette évolution, favorisée par le statut de libéral, est un levier majeur de soutenabilité des retraites des ML et permettra d’améliorer le sort des ML retraités dans les prochaines années.

La position du gouvernement de prétendre concilier un départ à 62 ans tout en maintenant le pouvoir d’achat des retraités et à terme l’équilibre financier du système est une supercherie qui montre, entre autres, tous les risques de donner les pleins pouvoirs à l’Etat sur l’ensemble du système de retraites.

 

Lutter pour défendre une solidarité professionnelle à travers la CARMF dans l’intérêt général

Lesouhait du gouvernement d’asseoir les cotisations du régime universel jusqu’à 120 000 euros de revenus condamne l’ensemble des régimes complémentaires de type CARMF. Ce régime universel à « niveau élevé de revenus » capterait 96% de la masse salariale des salariés, près de 100% de celle de la fonction publique et plus de 80% de celle des professions libérales. Le reste de la masse assurable est trop faible pour tout régime complémentaire.

Au moins cinq raisons majeures justifient que les médecins libéraux combattent le projet  en l’état :

  • La mise en place d’un système universel de retraites à points est tout à fait compatible avec le maintien d’une caisse de type CARMF, en plafonnant les cotisations autour de 40 000 à 50 000 euros. Ce système couvrira 100% des citoyens et englobera 80% des revenus, tout en facilitant le pilotage des pensions par les assurés du fait de modes de calculs identiques dans tous les cas. Rappelons que le système universel suédois est plafonné à près de 50 000 euros.
  • Les spécificités de la carrière médicale en général et de l’exercice libéral en particulier exigent qu’une part du système des retraites soit adaptable aux contraintes du secteur. Carrières plus courtes, effort contributif plus faible, lien financier entre le conventionnement et la gestion des retraites (l’ASV), gestion d’un système d’aides sociales important… sont des facteurs parmi d’autres à prendre en compte.
  • La défense de la confraternité, indispensable à une bonne médecine, qui puise dans les racines de l’humanité pour des soignants, décrite par Hippocrate – « j’apporte mon aide à mes confrères, à leur famille, dans l’adversité» -, justifie la défense d’une solidarité professionnelle. Après des années d’efforts financiers des ML pour sauver leur caisse et garantir sa viabilité financière à long terme, au nom de cet esprit confraternel, l’Etat voudrait retirer aux ML les dividendes de leurs efforts au nom d’une solidarité nationale à laquelle les ML participent déjà largement.
  • Le projet gouvernemental actuel va générer une classe d’assistés chez les retraités, en dégradant le sort des bas revenus. Avec le même régime et le même rendement des cotisations pour tous, le taux de remplacement d’équilibre devra être identique pour tous. Or, le taux de remplacement des bas salaires est nettement supérieur à celui des hauts salaires pour améliorer le sort des classes populaires à la retraite. En supprimant cela, le gouvernement devra mettre en place une usine à gaz d’aides sociales qui sortira les moins aisés du modèle contributif et tuera l’universalité de la sécurité sociale.
  • Enfin, le modèle social sera d’autant plus affaibli que le régime unique étatique que prépare le gouvernement supprime de fait toute gouvernance démocratique gérée par les forces sociales du pays. Plutôt que de définir la stratégie et la vision long terme, de réguler la politique d’assurance sociale, l’Etat se transforme en opérateur unique et seul décideur de la gestion opérationnelle. A l’ère du numérique, de l’aspiration démocratique des peuples et de la perte de crédibilité du personnel politique, cette orientation est juste à contre-courant de l’histoire et vouée à l’échec.

C’est donc bien pour la défense de l’intérêt général que les médecins libéraux doivent se battre pour modifier le projet gouvernemental pour une assise des cotisations du régime universel qui laisse la place à la prise en compte de leurs spécificités à travers la CARMF et permettent à la démocratie sociale de s’exprimer.

En cas d’étatisation du système des retraites, c’est la médecine libérale qui se verra à son tour mis définitivement sous tutelle de l’Etat et disparaître.

« Je crois qu’il y a des résistances honnêtes et des rébellions légitimes » disait Tocqueville.

Agir vite tant qu’il est encore temps !

 

Frédéric Bizard

 

Article publié dans Les Echos ici

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard, est un économiste spécialiste des questions de protection sociale et de santé. Il est professeur d'économie affilié à l'ESCP Europe et enseigne aussi à Paris Dauphine. Il est Président fondateur de l'Institut Santé.

1 Comments

  1. Un point manque à votre remarquable analyse :

    Il est crucial que les médecins exerçant en libéral préservent leur autonomie. En l’absence d’indépendance, ils risquent de subir des représailles de la part d’organismes de retraite tels que la CNAV ou l’AGIRC-ARRCO, en conséquence directe de décisions antérieures qui n’auraient pas été bien accueillies. Cette situation, je la vis personnellement à l’heure actuelle… Je vous invite à consulter mon profil LinkedIn pour saisir l’ampleur que peut prendre une telle vendetta.

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