L’ Assurance Maladie se réjouit des chiffres records en 2024, en indiquant sur son site:
« En 2024, grâce à une stratégie toujours plus efficace, l’Assurance Maladie a détecté et stoppé un montant total de 628 millions d’euros de fraudes. Il s’agit d’un niveau record, en hausse de près de 35 % par rapport à 2023. Depuis 2021, les résultats de la lutte contre la fraude de la branche maladie ont presque triplé ».
Nous avions déjà droit à ce lyrisme en 2023 avec un chiffre « record » de 466 M€.
Certes, le renforcement de 10% de l’équipe d’enquêteurs (1600) et le déploiement de cyber-enquêteurs ont permis d’améliorer la détection de la fraude. L’inverse aurait été inquiétant.
Cependant, la principale source de cette hausse depuis deux ans n’a rien de rassurant : elle est due à l’arrivée de nouveaux acteurs dans le secteur des soins, attirés par les opportunités créées par la réforme du reste à charge zéro, effective depuis le 1er janvier 2020. Leur objectif ? Siphonner l’argent public avant de disparaître.
L’audioprothèse en question
La fraude dans le secteur des audioprothèses a cru de 450%, passant de 21 millions à 115 millions d’euros en un an, soit l’équivalent de 25 % du financement de la Sécurité sociale dans ce domaine. Depuis 2019, année de mise en place du reste à charge zéro, les dépenses du secteur ont progressé de 15 % par an, passant de 1 257 millions d’euros à 1 995 millions d’euros, soit une hausse de 738 millions d’euros en quatre ans.
L’élément de langage officiel consiste à affirmer : « C’est une bonne réforme car cela montre que ceux qui n’avait pas accès à des prothèses auditives y ont désormais accès. »
Ils peuvent tellement y avoir accès que certaines enseignes leur proposent deux paires, avec la deuxième pour un euro de plus, un bon usage de l’argent public !
Dépense des audioprothèses et et des prothèses dentaires concernées par le 100% santé de 2019 à 2023
RAC 0 | ||||||||
Mrds € / % | 2019 | 2020 | 2021 | 2022 | 2023 | Ecart 2023 vs 2029 | TCAM | |
Mrds € | % | |||||||
Audioprothèse | 1257 | 1263 | 2027 | 1977 | 1995 | 738 | 59% | 15% |
Prothèses dentaires | 5677 | 5849 | 7024 | 7072 | 7173 | 1496 | 26% | 7% |
Total | 6934 | 7112 | 9051 | 9049 | 9168 | 2234 | 32% | 8% |
Source: Drees |
Par ailleurs, le nombre d’audioprothésistes a progressé d’une centaine par an entre 2012 et 2019.
Mais depuis 2022, cette croissance s’est accélérée, dépassant les 300 nouveaux professionnels par an en 2022 et 2023. Sans doute un rattrapage justifié par des besoins de santé publique.
Une tendance à l’industrialisation de la fraude à l’assurance maladie
Si la fraude atteint 25 % des dépenses publiques du secteur de l’audioprothèse, on peut parler d’une véritable industrialisation du phénomène.
Le mode opératoire est d’une simplicité hallucinante, révélant ce qu’un expert de l’Assurance Maladie qualifie de « naïveté incroyable » de l’organisme.
Un exemple frappant illustre bien cette faille : une fraude à 7 millions d’euros orchestrée par un individu installé aux Émirats arabes unis.
« Scénario type : un patient vient dans un centre de santé pour un simple problème d’audition. Muni d’une ordonnance de son médecin, il présente sa carte Vitale. Autant de données qui vont servir au fraudeur pour facturer une prothèse auditive à plusieurs milliers d’euros, du matériel qui n’a en fait jamais été commandé. Cette équipe chevronnée de fraudeurs a pu détourner à son profit un dispositif mis en place par l’Etat le 1er janvier 2020 : la Sécurité sociale rembourse, en effet, à 100% les dispositifs de prothèses auditives.«
On peut rappeler que cette loi a été appelée le 100% santé.
Soit on revient sur ce dispositif du zéro reste à charge, qui est une aberration économique notamment du fait de système de financement à deux étages, soit on trouve un moyen efficace de rendre impossible ce type d’escroquerie. Rappelons que ce secteur à 2 Mrds € est financé à 50% par les mutuelles. Si les fraudes sont à hauteur de 25% pour les mutuelles, on est un montant de fraudes proche de 250 M€ pour ces mutuelles !
Cette situation est d’autant plus préoccupante qu’elle jette le discrédit sur un secteur majoritairement composé de professionnels compétents et honnêtes.
Des centres de santé « associatifs » new look depuis le 100% santé dans la tourmente
Le deuxième poste qui fait l’objet d’une industrialisation de la fraude concerne les centres de santé dentaires et Ophtalmo, dits associatifs, supportés par des montages financiers complexes avec un siège à l’étranger, un turn over régulier de salariés dominés par des professionnels étrangers, et un statut associatif qui les protège de tout contrôle de leurs comptes par l’administration.
Voici ce que disait la Cnam dans son bilan 2023 des fraudes (p4):
» 200 centres de santé ont été contrôlés depuis 2021 (contrôle exhaustif de la facturation, contrôles in situ des centres…) et 21 centres ont été déconventionnés depuis 2023 : 12 centres avec une activité ophtalmologique, 2 centres avec une activité dentaire et 7 centres au titre des deux activités. Grâce à ces contrôles sur les centres de santé, l’Assurance Maladie a arrêté plus de 58 millions d’euros de fraudes sur l’année, soit plus de +1 000% par rapport à 2022. »
Sur 200 centres contrôlés depuis 2021, plus de 10% ont été déconventionnés suite à des fraudes et autres dérives !
Il existe aujourd’hui plus de 2 500 centres de santé en France. Que fait-on?
On embauche plus d’enquêteurs ou on attaque le mal à la racine en rendant impossible la détention de ces centres par des montages financiers opaques, et bien d’autres mesures de bon sens !
Ceci éclabousse aussi les nombreux centres de santé à vocation sociale qui sont de grande valeur pour notre système de santé.
Là aussi, le risque de nuire à l’image de tout un secteur, entre autres le dentaire, constitué de 42 000 chirurgiens -dentistes, dotés d’une exercice libéral pour 90%, est réel.
Quand on regarde la fraude par profession, on voit qu’elle a été de 9 M€ chez les chirurgiens-dentistes en 2023, contre 58 M€ pour les centres de santé.
Lorsque l’Assurance Maladie annonce un renforcement de la lutte contre la fraude, le professionnel de santé exerçant légalement et honnêtement perçoit souvent cette évolution comme un risque de contrôle administratif excessivement pointilleux, disproportionné par rapport au risque qu’il représente.
Ainsi, ce discours administratif qui se félicite de records en records dans la détection des fraudes traduit en réalité une situation inquiétante : notre système de santé est gangrené par une « nouvelle offre de soins financiarisée », sans aucune vocation de santé publique, qui s’est récemment implantée en profitant du tiers payant et du zéro reste à charge dans les secteurs concernés par la réforme de 2020.
Faut-il vraiment se réjouir que la fraude à l’Assurance Maladie ait atteint un niveau industriel dans ces domaines, avec une explosion du montant des fraudes détectées ? Ou devons-nous plutôt y voir le symptôme d’un système défaillant qui facilite ces abus au détriment des finances publiques et des véritables professionnels de santé ?