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Quand la crise Covid renforce certaines rentes !

La crise Covid a déjà eu un impact massif sur l’assurance maladie avec un surplus de dépenses évalué à 9Mrds€ et un déficit prévisionnel de 31Mrds€ en 2020, du jamais vu dans l’histoire de la sécurité sociale. En même temps, les deuxièmes financeurs assurantiels en santé, les organismes complémentaires d’assurance maladie, dits OCAM (mutuelles, assureurs à but lucratif et institut de prévoyance), ont vu leurs dépenses baisser officiellement de 2,2Mrds€ sans baisse de revenus, soit un gain net.

Une telle discordance d’impact sur les deux financeurs aurait mérité réflexion et action sur l’architecture du financement de la santé en France, dont la crise Covid n’a fait que révéler les failles pour les assurés et la situation de rente pour les assureurs privés.

La taxe Covid sur les contrats d’assurance, décidée par le Ministère de la santé, est une double peine pour les assurés et un signe d’absence de volonté politique de mener à bien la réforme du financement de la santé, pourtant urgente, simple à réaliser et à fort impact sur le bien commun.

 

Un financement complémentaire inefficace, coûteux et qui creuse les inégalités

Outre l’impact financier de la crise sur les assureurs privés, il est remarquable de constater leur inaction dans la gestion du risque Covid. Le secteur est quasiment absent de toute prise en charge sur le plan préventif et curatif. En tant que financeur de deuxième niveau de presque tous les soins, l’assureur privé complémentaire ne gère que des flux financiers et n’a aucun intérêt ni aucune incitation à s’immiscer dans la gestion du risque.

Le vrai risque sanitaire est pris en charge et géré par l’assurance maladie, la crise Covid l’a bien confirmé.

La part des OCAM dans le financement de la santé a baissé depuis 2011 de 13,7% à 13,4% pendant que celle de l’assurance maladie augmentait de 76,2% à 78,1%. La hausse des dépenses de santé est en effet tirée par les affections de longue durée et les innovations coûteuses, remboursées à 100% par la seule assurance maladie. Que ce soit pour le risque chronique comme l’aiguë, la fonction assurantielle solidaire n’est en réalité portée que par l’assurance maladie. Les faits sont têtus.

Ceci n’a pas empêché le marché de l’assurance santé privée d’augmenter chaque année de plus de 3% depuis 20 ans pour atteindre plus de 40Mrds€ en 2020. Les assureurs diront que c’est lié à la hausse des dépenses de santé.  Pourtant, le taux de croissance annuel de leur remboursement est bien plus faible que celle des dépenses de santé depuis 2013. En revanche, la forte hausse des frais de gestion (administration et communication surtout), avec plus de 5% de hausse par an, dynamise les dépenses des OCAM. Avec un montant de 7,5 Mrds€ en 2018, ces frais dépassent ceux de l’assurance maladie !

La faible efficacité assurantielle se mesure notamment au ratio prestations sur cotisations, qui ne cesse de s’éroder pour descendre à moins 80% en moyenne aujourd’hui. Le haut niveau de renoncement à certains soins courants malgré un reste à charge global le plus faible au monde en est une autre preuve.

Un bilan terrifiant dont les conséquences sanitaires et financières pour les assurés ne peuvent que s’aggraver, ce qui n’est pas tenable et exige une action rapide.

Avec un taux de couverture de la population française de 95% par les OCAM, la question du caractère régressif socialement du financement complémentaire est un autre sujet important. Le taux d’effort des plus aisés est trois fois plus faible que les plus défavorisés pour le financement des OCAM et leur niveau de remboursement est plus élevé. La distinction de deux familles de contrats, collectifs pour les actifs (à faible risque) et individuels pour les inactifs (à hauts risques) ne fait qu’accentuer l’inefficacité assurantielle et son caractère inégalitaire. Le système incite au consumérisme médical de prestations courantes qui bénéficient avant tout aux cadres supérieurs des grandes entreprises. Quelle en est l’utilité collective ?

La crise Covid est à la fois une opportunité et une exigence pour réformer ce système ubuesque de financement. Quelle autre crise attend-on pour le faire ?

 

Taxe Covid : une double peine pour l’assuré et un maintien de la rente pour les OCAM

 Face à un telle défaillance du financement de la santé, reconnue et dénoncée depuis des années (1), seule une réforme structurelle peut apporter un véritable gain pour les citoyens. Cette asymétrie complète d’impact financier et de comportement entre l’assurance maladie et les OCAM dans la Covid confirme l’ineptie et la nuisance de ce système.  C’est bien la conception du système qui est en cause et non tel ou tel opérateur.

La solution de la taxe Covid sur les contrats est une double peine pour les assurés. En plus de la non consommation de soins nécessaires et pour lesquels ils se sont assurés en 2020, ils vont supporter un prélèvement obligatoire supplémentaire en 2021, à travers une répercussion proportionnée de la taxe sur les primes, comme l’ont déjà annoncé les instances représentatives des OCAM. Face à l’inertie étonnante des OCAM depuis le confinement (espéraient-ils que ce pactole passe inaperçu ?), le gouvernement, à défaut de réformer, a dû se résoudre à agir.

Parmi les options, la moins mauvaise eut été de taxer les réserves financières surnuméraires (en surplus des réserves prudentielles) des OCAM qui sont de l’ordre de 15 milliards d’euros, rien que pour les mutuelles et les instituts de prévoyance. L’impact sur les comptes d’exploitation 2020 et donc sur les primes d’assurance 2021 serait nul. Outre la compensation des gains, cette contribution fait sens en période de crise.

Le montant de 2,2 milliards d’euros estimé par le ministère de la santé sur les économies réalisées pendant le confinement par les OCAM va certainement sensiblement augmenter du fait de la persistance de la pandémie et de ses conséquences sur l’activité médicale. A titre d’exemple, l’activité des dentistes, financé à 42% par les OCAM (soit des remboursements de 4,8Mrds€), est sérieusement ralentie par les gestes barrière et cela risque de durer pendant toute la période de pandémie. Les arguments des OCAM pour tenter de justifier un effet rebond de leurs dépenses à venir sont farfelus.

 

La réforme structurelle est simple, urgente et à fort impact

Cette occasion manquée est d’autant plus regrettable que la refonte du financement est simple, rapide et à fort impact. Entre autres, il faut supprimer le système actuel à deux étages et instaurer un financement à payeur unique, l’assurance maladie, pour la grande majorité des prestations de soins. Les assureurs privés deviennent des financeurs supplémentaires pour certaines prestations bien définis, selon un modèle mutualiste d’affiliation exclusivement individuelle.

La défaillance du système de financement actuel l’empêche de remplir ses trois fonctions majeures de couverture du risque santé, maitrise efficace des dépenses et de redistribution au sein de la population.  Les assurés ont le sentiment fondé de payer toujours plus cher leur protection santé pour moins de retour au cours du temps.

Sachant que l’Etat peut rapidement et facilement remettre sur pied ce système défaillant en générant des milliards d’euros tout en améliorant le service rendu aux citoyens, l’inaction en la matière ne sera pas tenable durablement. La défiance croissante du peuple envers les Pouvoirs Publics et les élites, exprimée de multiples façons dont celle des gilets jaunes, se nourrit de telles rentes injustifiables.

Comme pour la transition climatique, l’action en santé coûte bien moins cher que l’inaction et il y a urgence !

 

Frédéric Bizard

 

(1) Complémentaires santé, le scandale; Editions Dunod, 2016

 

Article publié dans Les Echos du 14/09/2020

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