La sécurité sociale aura 70 ans en 2015! Si on l’évalue sur ses résultats comptables, elle semble condamnée dans un environnement marqué par la réduction des déficits publics. Si on en juge par les discours des politiques et leurs rituelles révérences à l’institution, elle devrait rester durablement un pilier de notre pacte républicain. En fait, c’est le pouvoir politique lui-même qui l’enterre comme le démontre très bien la situation de l’Assurance Maladie.
Déficits récurrents et retrait des soins courants ont marqué ces dernières années l’Assurance Maladie
L’Assurance Maladie représente 41% des dépenses de la sécurité sociale et 56% de son déficit cumulé sur la dernière décennie. C’est la branche la plus dégradée financièrement de la sécurité sociale. Les remèdes apportés ces dix dernières années ont principalement porté sur la régulation des dépenses à court terme sans gain d’efficience sur le long terme. Les plans de rigueur successifs on été largement ressenti par les Français comme un retrait de l’Assurance Maladie dans son rôle de protection de leur risque de santé. Pour plus de 80% des Français, l’Assurance Maladie ne rembourse plus qu’un euro sur deux de leurs dépenses de soins courants. Même si l’Assurance maladie continue à jouer avec efficacité son rôle solidaire pour les dépenses les plus onéreuses, notamment celles des maladies chroniques, l’actif en bonne santé, cotisant lourdement chaque mois et faiblement remboursé n’y trouve plus son compte. Les remboursements se concentrent sur une part de plus en plus faible de la population (50% sur 5% de la population), ce qui laisse penser que l’ambition originelle défendue par son fondateur Laroque de protéger toute la société du risque santé n’est plus réalité pour beaucoup.
Pourtant, une autre évolution marque encore plus clairement la mort lente de l’Assurance Maladie (et de la sécurité sociale), et il est orchestré par notre système politique depuis plusieurs années.
L’étatisation de notre système de santé est le signe de la mort annoncée de l’Assurance maladie
Notre modèle de protection sociale de 1945 a institué la sécurité sociale comme une institution démocratique, gérée de façon paritaire par les partenaires sociaux et non par le système politique représentatif traditionnel. Pensant mieux pouvoir résoudre les problèmes sus-cités, l’Etat s’efforce de reprendre en main la gouvernance de notre protection sociale. C’est une erreur historique, tant l’Etat se montre incapable de dominer les multiples intérêts corporatistes et tant le niveau d’impuissance politique de nos dirigeants est élevé. En laissant mourir ce fonctionnement démocratique autonome au sein de la gouvernance de notre protection sociale, l’Etat français du XXIème siècle décide la mort de notre sécurité sociale comme institution remplissant une fonction politique majeure. Il la réduit de fait à son rôle subsidiaire de financeur de moins en moins universel.
La loi de santé publique de cet automne en est un bon exemple puisqu’elle va confier aux agences régionales de santé, émanations de l’Etat, l’essentiel des pouvoirs détenus par l’Assurance Maladie en matière de gouvernance. Le tiers payant généralisé prévu dans cette loi va dans le même sens. Décidé sans aucune concertation démocratique, il est contraire aux fondamentaux qui sous-tendent l’Assurance Maladie et dégradera ses comptes. La solidarité entre bien-portants et malades est une solidarité visant à ce que les dépenses ne soient pas un obstacle aux soins, elle ne signifie pas que les soins soient gratuits. Les centaines de millions d’euros de dépenses supplémentaires dues à la gestion technique de sa mise en place et ses conséquences inflationnistes sur le volume de soins vont condamner inutilement l’Assurance maladie à rester chroniquement déficitaire. Ainsi, les deux piliers de cette loi sont un enterrement de première classe de notre Assurance maladie.
D’ailleurs, nous voyons déjà les dérives de cette étatisation avec un pouvoir politique qui fait porter par l’Assurance Maladie des mesures politiciennes contraires à ses intérêts. Ces dernières sont négociées et appliquées sans vergogne par son directeur général, transformé en commis dévoué de l’Etat, y compris lorsque celui-ci n’agit pas pour le bien commun des assurés.
Dans notre rapport sur la refondation de notre système de santé de Juillet dernier, nous préconisons une refonte de l’Assurance Maladie à partir des fondamentaux de 1945 en repensant sa gouvernance, son fonctionnement et ses sources de financement. Celle-ci devra être complétée d’une réforme du secteur des organismes d’assurance privés.
Refonder le rôle politique et économique de notre Assurance Maladie à partir des fondamentaux de 1945
Réfléchir sur la protection sociale conduit inévitablement à interroger les modes d’expression politique dont une société démocratique a besoin pour protéger les droits de l’homme, sources de sa propre légitimité. Notre protection sociale a été pensée comme une institution par laquelle se matérialise, dans l’indépendance, l’appartenance de chaque citoyen à une collectivité d’individus libres. En cela, elle est consubstantielle de la démocratie et ses dysfonctionnements, la « crise » de notre sécurité sociale, sont en grande partie une crise de la démocratie elle-même.
Ainsi, la première réforme à appliquer pour sauver l’Assurance Maladie est politique et non économique. C’est la réinvention d’un système démocratique au sein de sa gouvernance afin de lui confier le pilotage opérationnel unifié de notre système de soins (ville et hôpital). Cette démocratie sociale moderne inclurait, au sein d’un Comité national de gouvernance du système de santé (le CNOGOSS), le patient citoyen sous une forme représentative rénovée, les partenaires sociaux ainsi que l’ensemble des autres acteurs clés du système et des personnalités qualifiées. Comme pour la démocratie représentative, cette forme de démocratie sociale participative devrait s’appuyer sur un socle de principes forts tels que des mandats non renouvelables et l’absence de conflits d’intérêts. Ce système démocratique serait certes souverain dans ses décisions mais soumis à un cahier des charges répondant à la stratégie nationale de santé et aux objectifs de dépenses votés par le Parlement.
Sur le plan économique, l’organisation du financement de nos dépenses de santé est d’abord à repenser autour d’une redéfinition du contenu du panier de soins solidaires (Assurance Maladie) et du panier de soins individuels (organismes d’assurance privés). Ensuite, une gestion dynamique de l’ensemble du panier de soins solidaires est à instaurer, afin d’actualiser régulièrement les prestations prises en charge par la collectivité et de financer les innovations médicales. A ceci s’ajoute le besoin d’assurer un transfert d’une partie des dépenses solidaires dédiées à la réparation du risque santé (le curatif) vers l’amont de ce risque santé (le préventif et le prédictif), afin de réduire les inégalités sociales de santé et les dépenses de soins à terme. Ce transfert correspond à la nécessité, existante pour tous les risques sociaux, de passer de la notion de dépenses sociales vers celle d’investissement social. On ne dépense plus uniquement pour réparer, guérir, assister mais pour prévenir, accompagner et former à la gestion du risque. Avec le passage de risques courts (maladies aiguës) à des risques longs (maladies chroniques), on passe d’une protection sociale passive à une protection sociale active, investissant sur le développement des capacités personnelles (les capabilities d’Amartya Sen) des individus pour mieux gérer leur risque et avec plus d’autonomie .
Le déséquilibre financier de l’Assurance maladie trouve aussi une partie de son origine dans ses sources de financement qui reposent trop sur les revenus d’activités (73%). Les réductions continues du ratio actifs/inactifs (passé de quatre en 1960 à moins de deux aujourd’hui) et du niveau de notre croissance économique maintiennent le système structurellement en déséquilibre, même lorsque les dépenses de santé sont contenues comme depuis 2010. Une montée en puissance de la CSG, compensée par une baisse des cotisations santé, à un niveau limitant la part de financement par les revenus d’activités à 50% renforcerait l’équilibre financier de l’Assurance maladie et serait favorable à l’emploi. Elle serait socialement juste en mettant davantage à contribution les séniors aisés qui sont plus gros consommateurs de soins et plus faibles contributeurs que les actifs.
La refondation de l’Assurance maladie conduit à une refonte du secteur des organismes d’assurance privés (OAP) de santé
Le nouveau système de financement proposé se traduit par un seul payeur institutionnel par acte ce qui signifie la fin de notre système d’assurance complémentaire existant. L’enjeu est de mutualiser efficacement un panier de soins individuel indispensable à chaque Français pour éviter les renoncements aux soins de plus en plus nombreux. Nous préconisons l’instauration d’une assurance supplémentaire privée de base obligatoire et identique pour tous, sous forme d’un contrat homogène standard dont le contenu et le libellé des contrats seront fixés par la loi. Les assurés pourront pleinement faire jouer la concurrence puisque seul le prix différenciera les offres pour ce contrat. Une concurrence entre les OAP se créera autour d’autres contrats plus personnalisés que les assurés seront enclins à souscrire pour affiner leur couverture de risques.
Une autorité de régulation indépendante et spécialisée des OAP de santé est indispensable à créer pour sortir de la jungle actuelle qui nuit fortement aux assurés et conduit à l’autodestruction du secteur (les faibles consommateurs de soins n’ont plus d’intérêt à souscrire et les gros consommateurs n’en n’ont plus les moyens du fait de primes trop élevées). Cette autorité de régulation, indispensable aussi dans le système actuel, est donc de l’intérêt général des assurés mais aussi de celui des OAP de santé.
Ce plan de réformes de notre système de financement est une adaptation du modèle de 1945 à l’environnement du XXIème siècle dans le respect des valeurs fondamentales originelles. Il sort du regard purement gestionnaire des comptes sociaux et redonne une légitimité et un sens à l’Assurance maladie, et au-delà à notre protection sociale. Ce n’est pas la voie suivie ces dernières années par les pouvoirs publics et encore moins par la loi de santé à venir qui nous ramènent un siècle en arrière aux assurances sociales.
Pourtant, tous les représentants de l’Etat nous assurent, la main sur le cœur, qu’ils s’opposeront fermement à tout affaiblissement de la sécurité sociale. Ils sont juste en train de la tuer et d’anéantir le rôle de notre protection sociale de permettre aux individus, dans une société juste et solidaire, de posséder « les moyens d’exercer leur capacité d’individus », selon les mots de Marcel Gauchet!
Frédéric Bizard