La structuration des risques n’étant plus la même qu’en 1945, notre protection sociale doit être repensée dans ses fondamentaux et ses principes. Tout en conservant les valeurs essentielles qui ont assuré son succès et auxquelles les Français sont attachés, il convient de les faire évoluer vers plus de liberté et de responsabilité pour chacun. Les nouvelles formes de solidarité à inventer doivent mettre le jeune adulte au cœur du modèle.
| Des droits sociaux universels, attachés à la personne
En transférant l’assise des droits sociaux sur la personne, nous prenons acte de l’universalité des droits sociaux à laquelle le modèle de 1945 est presque arrivé, sans reprendre les écueils du corporatisme et en intégrant les grandes évolutions de la société. Nous passons d’un modèle corporatiste à un modèle universaliste, ce qui remet les institutions en phase avec la réalité d’aujourd’hui. Les droits sociaux deviennent des droits attachés à la personne, non liés à sa situation familiale ou professionnelle. On prend acte, d’une part, d’une protection sociale devenue un bien partagé par tous les individus et pas seulement par les travailleurs et, d’autre part, de l’évolution des équilibres démographiques comprenant une forte hausse des inactifs. Le modèle universaliste incite à la transparence, ce qui ne peut être le cas du modèle corporatiste où la connaissance des acquis des autres est difficile. L’universalité sociale prend en compte l’égalité des statuts de tous, dotés des mêmes droits, indépendamment de la classe ou de la position sur le marché. Cependant, l’égalité des droits (sociaux) ne signifie pas l’uniformisation des droits et doit s’accompagner d’une politique sociale incitative à développer l’activité économique.
| Une protection sociale fondée sur une vision active de la société civile
L’universalité sociale devient une condition nécessaire pour créer un cercle vertueux de confiance partagée, permettant de justifier la nécessité de justice sociale et de solidarité. On prend en compte la pluralité sociale de la société civile qui permet la participation de tous, en tant qu’égaux, à l’organisation de la vie commune. Cette vision active de la société civile est celle des associations volontaires et du développement du milieu associatif, liée au sens de la responsabilité des personnes envers les autres (les dettes sociales), de la solidarité au niveau local et du civisme plutôt que de l’engagement politique habituel. La vitalité de la société civile est un témoin essentiel de la stabilité et de la solidité de notre démocratie ainsi que de l’intérêt que tout le monde y porte.
Cette protection sociale active vise à davantage cibler les actions sociales sur les personnes les plus à risques. Contrairement à la gestion centralisée de 1945, le nouveau modèle doit privilégier une gestion décentralisée, la plus proche des personnes qui en ont le plus besoin et des acteurs de la société civile. Elle joue aussi un rôle facilitateur pour retisser des liens sociaux dans la société civile afin de rétablir la confiance mutuelle.
Dans le cas de la politique familiale par exemple, toutes les personnes doivent disposer du même droit à la protection familiale permettant à tous les membres de la famille de vivre dignement, évitant le risque de déclassement social tout en incitant les parents à augmenter leurs revenus. Dans le nouveau modèle social proposé, il serait logique et judicieux de substituer des politiques actives d’incitation fiscale (de type quotient familial) aux politiques passives de subvention (de type allocations familiales identiques).
| Faire du jeune adulte le nouveau centre de gravité du modèle social ou l’expression de nouvelles formes de solidarité
Les grands perdants de la dégradation économique et sociale de ces dernières décennies sont les jeunes adultes. L’« âge » de la fragilité sociale n’est aujourd’hui plus le même que celui qui était envisagé dans le préambule de la Constitution de 1946 : alors qu’ils n’ont encore acquis ni expérience, ni patrimoine, ni capital familial autonome, les jeunes adultes sont les laissés pour compte de notre organisation sociale.
Victimes de la crise économique, avec un chômage de masse de plus de 25%, les jeunes adultes bénéficient très peu des principaux transferts sociaux qui sont dédiés avant tout aux séniors (retraite, chômage, maladie). Leurs allocations chômage sont faibles du fait de leur faible durée de cotisation et de la précarité de leurs emplois. Le remboursement de leurs frais de santé est faible car leurs dépenses concernent des soins courants. Leur espoir d’une retraite décente s’évapore peu à peu à chaque réforme. Le taux d’emploi de 28% des 18-25 ans – loin derrière l’Allemagne (47%), l’Autriche et le Danemark (55%) ou les Pays-Bas (63%) – est la cause d’une désinsertion sociale d’une partie de notre jeunesse, qui se traduira inévitablement par une désadhésion progressive à notre modèle social de sa part. C’est donc une inversion du centre de gravité du sénior vers le jeune adulte qui doit marquer la refondation de notre modèle social. La solidarité intergénérationnelle publique du modèle de 1945 était à dominante ascendante ; celle du modèle social refondé devra être justement répartie entre les générations mais à dominante descendante, du plus âgé vers le plus jeune.
| Passer de l’assistance à l’autonomie
La solidarité doit privilégier l’autonomie et le développement des capacités (les capabilities d’Amartya Sen) de chacun plutôt que l’assistance. La protection sociale active apporte à chacun la capacité à terme d’assurer sa propre sécurité économique et sociale. La solidarité ne doit plus être motivée par la compassion, la recherche de paix sociale ou la poursuite de la croissance du niveau de vie et de la consommation. Elle se justifie non par les différences entre les personnes mais par leurs ressemblances, parce qu’ils ont en commun en tant que personnes. Elle doit être le moteur de la mobilité sociale pour faire redémarrer l’ascenseur social à l’arrêt dans notre pays depuis 30 ans.
| Rendre les personnes plus autonomes économiquement et socialement
La meilleure sécurité est celle qui maximise les chances pour une personne de construire son avenir, d’exploiter pleinement ses capacités de développement. L’allocation sociale devrait être un besoin transitoire pour le plus grand nombre des bénéficiaires. La protection sociale active doit donc être une source de mobilité sociale qui donne à tous la capacité de mener à bien son projet de vie. La vraie sécurité est celle dans laquelle on est acteur et pas simplement receveur. Le nouveau modèle social français devra transformer nos politiques sociales passives en politiques actives afin de donner à chacun le pouvoir d’agir (notion d’empowerment).
Des exemples ? Préférer le temps choisi à la réduction du temps de travail ; demander aux chômeurs d’assurer des services pour la collectivité et de se former en contrepartie des allocations chômage ; instaurer l’autonomie des établissements scolaires et hospitaliers.
Frédéric Bizard