Standard & Poor’s et Fitch ont envoyé, au premier trimestre de cette année, à une France surendettée et à faible croissance économique, un ultime avertissement avant la dégradation de sa note de crédit.
Tout juste cinq ans après le Covid, force est de constater que nos hôpitaux n’ont jamais été aussi fragiles, la désertification médicale à son plus haut et notre secteur pharmaceutique en plein trouble. Aucune réorganisation de la gouvernance de la santé publique n’a été effectuée, malgré les multiples défaillances repérées dans la période Covid.
La loi de financement de la sécurité sociale 2025, votée en février, prévoit un déficit record en 2025 et une trajectoire budgétaire hors de contrôle d’ici à 2028, menaçant la pérennité de la sécurité sociale.
Sans déclinisme inutile, une vision lucide de la situation politique, économique et sociale de la France conduit à engager des réformes structurelles au niveau de l’État, du modèle social et des collectivités territoriales. D’autant plus que les tensions géopolitiques impliquent un réarmement coûteux de la France et de l’Europe, sans oublier les investissements indispensables dans la transition écologique.
« Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée », écrivait Descartes, pour qui bon sens est synonyme de raison.
Le gouvernement fait face à un dilemme décisionnel pour hiérarchiser le bon ordre des réformes à mener.
La santé devrait être considérée comme un choix prioritaire raisonnable du fait de nos atouts historiques, de la maitrise de la réforme à mener et de ses bénéfices multiples.
Les 4 raisons de prioriser la réforme de la santé
La première raison de prioriser la santé est que le système est proche du point de rupture.
L’hôpital ne parvient plus à assurer ses missions les plus fondamentales, dont les urgences vitales. La désertification médicale et paramédicale s’étend un peu partout en France. Un tiers des Français ne trouvent pas les médicaments dont ils ont besoin.
La branche santé représente 80% des 100 milliards d’euros de dettes sociales supplémentaires prévues entre 2024 et 2028. Le record mondial détenu par la France pour les dépenses sociales (32% PIB dont 12% pour la santé) et le record de hausse de financement public de la santé (Ségur) depuis 5 ans démontrent que l’origine de la crise n’est pas un manque de moyens financiers.
La deuxième raison tient à une réflexion aboutie sur le contenu de la réforme, notamment par le centre de recherche de l’Institut Santé. Elle a été conçue sur une base consensuelle et est prête à être appliquée à court terme. Les trois piliers de la réforme et les trois axes de leur déclinaison sont connus et n’attendent qu’une décision politique. La raison impose de commencer par ce que l’on maitrise.
La troisième raison est la capacité de rebond rapide du système de santé du fait de l’existence de ressources humaines qualitatives, d’innovations technologiques exceptionnelles (numérique, IA, robot, biothérapies…), de ressources financières élevées (mais mal allouées) et d’une histoire médicale autorisant à viser de nouveau l’excellence à court terme.
La quatrième raison vient des externalités très fortes pour la société d’une population en bonne santé. La santé est la source principale du bien-être individuel, un facteur de développement économique, un levier de cohésion sociale et une composante clé du soft power. En cela, la santé est un fer de lance d’une civilisation avancée et humaniste.
La santé a un véritable impact civilisationnel qui peut permettre à la France de dominer l’Europe et à l’Europe de dominer le monde, sur ce plan civilisationnel. La Chine, la Russie, l’Inde ou l’Iran ne joueront pas dans la même division si nous redressons notre système de santé.
Quant aux Etats-Unis, avec leur espérance de vie de 4 ans inférieure à la nôtre, plus de 40% de taux d’obésité de la population, une épidémie non maîtrisée d’overdoses d’opioïdes (1 million de décès depuis 2000), 40 000 décès annuels pour cause de non-accès au traitement … et ceci malgré une dépense deux fois plus élevée en part de PIB qu’en Europe.
Et la politique antiscience promut par le nouveau Président en la matière ne pourra qu’aggraver la situation, et donc creuser l’écart avec l’Europe en notre faveur, si nous réformons.
Les trois piliers de la réforme
On parle de réforme systémique car il s’agit bien de repenser la structure de notre système de santé. Cette nature systémique est imposée par la triple transition démographique, épidémiologique et technologique en cours depuis la fin du siècle précédent.
Le changement de millénaire s’est accompagné d’une transformation radicale de l’environnement des modèles sociaux et économiques et impose une restructuration de ces derniers.
Ainsi, le cœur de la réforme en santé ne concerne pas un ajustement des missions des professionnels de santé, encore moins un renforcement de l’administration du système, comme ne cessent de le faire les Pouvoirs Publics depuis trente ans, sans impact systémique.
La refonte est de nature stratégique, économique et politique.
Schéma 1 : Les trois piliers de la réforme systémique de la santé en France
Source : Institut Santé
D’abord, la stratégie de gestion du risque maladie a été depuis 1945 de garantir l’accès aux soins aux citoyens, i.e. une prise en charge du risque une fois la maladie advenue (ex-post). Avec une population qui vieillit à un rythme inédit – de 23% à 33% pour la part des plus de 60 ans et un doublement des plus de 75 ans entre 2010 et 2040 – la stratégie en santé doit devenir ex-ante, i.e. avant l’expression du risque.
L’objectif ne peut plus être uniquement centré sur les malades mais sur l’ensemble de la population, pas seulement sur le soin, sur l’espérance de vie des malades, mais sur l’espérance de vie des bien-portants sans incapacité.
C’est la capacité du système à maintenir en bonne santé le plus longtemps possible une population au moindre coût qui déterminera la qualité d’un système de santé au XXIème siècle.
On parle de compression de la morbidité. Aujourd’hui, l’espérance de vie en bonne santé des femmes est de 64,2 ans, soit 75% de son espérance de vie à la naissance. Le système réformé viserait à dépasser 80% de cette espérance de vie en bonne santé.
Ensuite, la gestion des ressources humaines et financières est gérée depuis 1945 en concordance avec une stratégie d’accès aux soins. Elle évalue, à partir de critères à dominance comptable, les besoins en matière d’offres de soins. La maitrise des dépenses conduit avant tout à rationner cette offre, en diminuant par deux le nombre de médecins formés dans les années 1990, ou en baissant la valeur réelle des rémunération et des prix des médicaments dans les années 2010.
Le nouveau modèle exige une gestion des ressources à partir de la demande de santé et non plus à partir de l’offre, pour garantir que les priorités de santé publique (prévention, soins) soient bien satisfaites. Cela exige une évaluation et un suivi performants de ces besoins à l’échelle des territoires, et une stratégie nationale fixant des objectifs prioritaires de santé publique.
Enfin le troisième pilier est de nature politique et vise à démocratiser la santé, rendant accessible la santé au plus grand nombre. C’est un choix politique car cela revient à faire des choix en matière d’éducation à la santé, de responsabilisation des citoyens et de participation active de tous les acteurs au bon fonctionnement de notre système de santé.
C’est un nouveau pacte social en santé qu’il faut reconstruire.
Les trois axes de déclinaison de la réforme
Ce triptyque sur lequel repose le nouveau modèle se décline à partir d’un autre triptyque de nature organisationnel, de gouvernance et de financement.
Schéma 2 : Les trois axes de déclinaison du nouveau modèle
Source : Institut Santé
L’exigence de maintien en bonne santé de la population et la dominance des pathologies chroniques imposent de rendre accessible pas simplement le soin mais la (bonne) santé d’une part, et de décloisonner les secteurs du soin pour instaurer une médecine de parcours, d’autre part.
Sur le plan organisationnel, le nouveau modèle devra instaurer un service public territorial de santé, remplissant les deux objectifs suscités. Ce dispositif exige de définir des territoires de santé uniques et communs à tous les professionnels de santé, représentant l’unité géographique dans laquelle chaque citoyen peut disposer des produits et services essentiels pour sa santé.
Le concept de service public (accès pour tous, continuité, mutabilité) est étendu à tous les services et produits essentiels et est porté par chaque professionnel et établissement de santé public et privé financé par la sécurité sociale. On instaure une égalité de droits et devoirs entre le public et privé, impliquant une équité de traitement par les Pouvoirs Publics.
Le territoire de santé constitue le nouvel espace dans lequel chaque professionnel de santé va pouvoir réaliser son projet professionnel, au-delà de la sectorisation historique ville-hôpital-médico-sociale. Par l’incitation, les professionnels du privé comme du public seront enclins à assumer une responsabilité populationnelle de santé publique à l’échelle du territoire de santé.
Pour structurer cette médecine de parcours, un contrat thérapeutique pour les patients chroniques (reconnus comme patients avec affections de longue durée) permettra de garantir à chacun de disposer des ressources humaines, technologiques et financières adéquates, tout en optimisant le bon usage de ces ressources.
Sur le plan de la gouvernance, le nouveau modèle dit de santé publique exigera une vision stratégique et une gestion des ressources pluriannuelles. Il est ainsi proposé d’instaurer une loi d’orientation et de programmation sanitaire sur 5 ans, comprenant des objectifs de santé publique, une stratégie nationale de santé et un plan de financement.
Cette loi pluriannuelle ne sera concevable que si l’État sanitaire se restructure pour disposer de deux pôles forts : l’un en matière de santé publique et l’autre d’évaluation des produits, services et performance du système. La multitude d’agences actuelles devra laisser la place à un État sanitaire reposant sur ces deux jambes. Sur le plan local également, les agences régionales seront remplacées par des services de santé publique intégrés dans les Préfectures.
La branche santé de la sécurité sociale retrouvera, dans l’esprit du modèle originel de 1945, une certaine autonomie vis-à-vis de l’État et un fonctionnement rénové avec une démocratie sanitaire et sociale élargi dans les conseils des caisses nationales, régionales et locales. Cette assurance santé publique rénovée assurera la gouvernance opérationnelle de l’ensemble du système de santé (acteurs publics et privés).
Les territoires de santé seront pilotés par des représentants des acteurs locaux de santé (4 collèges), dans une structure non administrative mais dédiée au dialogue et à la résolution de sujets opérationnels. Cette gouvernance territoriale fonctionnera grâce à des dispositifs de pilotage comme le diagnostic territorial de santé, le projet territorial de santé et le contrat territorial de santé.
Sur le plan du financement, les objectifs de la réforme sont de faire de la présence de deux financeurs publics (sécurité sociale) et privés (les mutuelles) une force pour : conforter la nature solidaire et universel du nouveau modèle, maximiser l’efficience de la couverture du risque, et favoriser la diffusion des innovations pour optimiser la productivité.
Pour cela, les missions et fonctions des deux assureurs publics et privés seront dissociées.
L’assureur public remboursera seul l’essentiel des dépenses de soins, même s’il n’interviendra pas sur un champ aussi large qu’aujourd’hui.
Un ticket modérateur non assurable, composante clé de la responsabilisation des usagers du modèle de 1945, sera appliqué, dans une valeur revue par rapport à l’existant, autour de 10-15% des tarifs sécu.
Toutes les conditions existantes d’exonération de ce ticket modérateur (ALD, grossesse, AT/MP, bas revenus) seront conservées, avec une extension de cette exonération à quelques cibles comme les étudiants.
Les assureurs privés seront concentrés sur les soins non remboursés par la sécurité sociale (dont ceux sur lesquels ils sont majoritaires aujourd’hui), et l’investissement dans le capital humain en santé (prévention).
L’affiliation à ces assureurs sera uniquement individuelle, avec 3 conditions nécessaires pour gérer les imperfections du marché assurantiel :
- Interdiction de toute discrimination sur des critères médicaux ou socio-économiques (mutualisation des risques) ;
- Affiliation individuelle obligatoire pour toute la population (éviter la sélection adverse) ;
- Subventionnement des plus défavorisés pour la souscription (système solidaire).
Le changement de paradigme dans la gestion du risque en santé de l’aval vers l’amont se traduira par un plan d’investissement dans le capital humain, qui devra être universel et personnalisé, sous la forme d’un compte personnel de prévention.
Comme le compte personnel de formation a renforcé le capital humain sur les compétences au travail, le compte personnel de prévention renforcera le capital humain en santé. Il participera à la baisse des inégalités sociales en santé et de la demande globale de soins.
Sur le modèle du compte personnel de formation, ce compte sera pilotable directement par chaque assuré. Grâce à ce forfait prévention annuel individualisé, chaque citoyen aura accès à une série de biens et services reconnus scientifiquement et labélisés par le pôle d’évaluation de la santé de l’État.
Ce compte personnel de prévention pourrait évoluer vers un compte personnel dépendance pour les personnes concernées.
Des bénéfices à court et moyen terme pour toutes les parties
Ce nouveau système de santé produira des bénéfices à court et moyen termes pour les citoyens, pour les professionnels de santé, pour les industriels et pour la collectivité.
Pour les citoyens, il améliorera un meilleur état de santé quel que soit son niveau socio-économique, en renforçant sa liberté de choix, tout en responsabilisant davantage le citoyen sur le bon usage des services de santé. Il offrira un meilleur accès aux services de santé dans chaque territoire et aux innovations technologiques.
Pour les professionnels de santé, le nouveau système piloté à partir des besoins redonnera du sens aux métiers des soignants, une reconnaissance professionnelle de leur expertise, notamment grâce à une autonomie effective dans l’organisation de la santé des territoires.
Le libre choix de leur mode d’exercice dans le cadre du service public et la quête de l’excellence médicale grâce à un accès large aux innovations, accompagnée d’une rémunération juste, seront des bénéfices clés.
Pour les industriels, le cap stratégique à 5 ans donnera de la visibilité pour investir. La nouvelle gouvernance assurera un accès rapide au marché. Le nouveau financement garantira un accès universel aux innovations et des incitations fortes pour intégrer la R & D, la production et la distribution en France et en Europe.
Renforcer le soft power de la France
Pour la collectivité, le système renforcera le pacte social, grâce à une réduction des inégalités sociales et territoriales, tout en maitrisant les dépenses publiques de santé à travers un modèle économique vertueux.
Des externalités positives sur le développement économique, le bien-être social et l’influence de la France dans le monde seront des bénéfices du nouveau modèle.
La santé contient une dimension civilisationnelle qui permet de mesurer l’état d’avancement des sociétés les unes par rapport aux autres. La bonne santé accessible à tous est le fer de lance d’une civilisation humaniste et avancée, qui porte la dignité humaine au plus haut, à l’échelle collective et individuelle.
La réforme proposée est réalisable en l’espace de dix-huit mois. Si la décision politique de la lancer était prise au deuxième trimestre 2025, elle pourrait être effective avant la fin du mandat présidentiel actuel.
Elle positionnera la France dans l’Europe et l’Europe dans le monde comme une force inégalée sur le plan du développement civilisationnel et humain, en plus de notre patrimoine culturel.