Tribune publiée dans Les Échos le 12/10/2022
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale en cours d’examen à l’Assemblée a l’apparence comptable d’un retour à une situation normalisée après les soubresauts du Covid. La réalité est tout autre tant la fiabilité des comptes pose question et tant plusieurs mesures présentes vont créer des tensions fortes dans la société, sans régler la soutenabilité de notre modèle social.
Sans douter des efforts et de la bonne foi des concepteurs de ce projet, il est le signe d’une impuissance politique à reconstruire un modèle social inadapté aux enjeux démographiques économiques et sociaux du XXIème siècle. On est clairement face à la fin d’un cycle , dont le cas de la santé est emblématique.
Une apparence trompeuse d’un retour au calme
La présentation officielle des comptes de la sécurité sociale pour 2023 fait état d’une nette amélioration de la situation avec un déficit de 6,8Mrds€ contre près de 18 Mrds€ en 2022. Comme le Haut Conseil des finances publiques l’a exprimé dans son avis sur le budget 2023, le PLFSS 2023 s’appuie sur des prévisions macroéconomiques excessivement optimistes (+1% du PIB en volume, +5% de la masse salariale du secteur privé en 2023) entrainant une surestimation des recettes pour l’année prochaine. Même si une grande incertitude persiste, le consensus sur la croissance 2023 du PIB est compris entre 0% et 0,5%, sachant que l’Allemagne est prévue en récession par exemple.
En même temps, les dépenses de santé (40% de l’ensemble des dépenses de la sécu) sont sensiblement sous-estimées sur la plupart des postes majeurs. Le premier poste de l’ONDAM, (les soins de ville) est prévu en 2023 avec une croissance de 2,9%, soit seulement 0,5 point de plus que le rythme d’avant Covid, dans un monde à faible inflation. Ce taux de croissance ne permettra certainement pas de compenser une inflation de 4,3% en 2023 (10% sur 2022-2023 contre 0,9% en 2021) et de financer la hausse tendancielle des soins en ville.
Considérant que le virage ambulatoire est plutôt devant nous que derrière nous, considérant que le Ségur de la santé a essentiellement revalorisé les établissements hospitaliers et de personnes âgées, cette sous-évaluation de la croissance des dépenses de ville est majeure et probablement intenable. Elle conduira à des mesures d’économies sur les services comme sur les produits de santé délivrés en ville qui vont inévitablement détériorées les soins et l’attractivité des métiers, déjà très fragilisée. Le taux de croissance devrait probablement être le double de celui proposé, soit une sous-évaluation de plus de 3 Mrds €.
Quant au secteur hospitalier, la hausse plus forte de 4,1% est moins sous-estimée mais un minimum de 1 à 2 points supplémentaire de dépenses sera nécessaire pour couvrir l’inflation, la hausse inévitable des rémunérations et les investissements. Dans le climat de tension actuelle de la vie hospitalière, ce sous-financement des dépenses prévisionnelles est de nature également à aggraver le manque d’attractivité et la pénurie des soignants.
On peut ajouter à cette sous-évaluation les dépenses Covid qui passent de façon irréaliste dans le budget de 11,5 Mrds€ en 2022 à 1 Mrd€ en 2023. Ainsi, le déficit de l’assurance maladie en 2023 sera probablement supérieur à 15 Mrd€ et non de 6,5Mrds€.
Outre ces errements comptables, le PLFSS 2023 tente de poser quelques rustines pour amoindrir les maux d’un système de santé qui traverse la crise la plus grave de son histoire.
Une politique de gribouille récurrente
La plus grosse rustine proposée dans ce PLFSS est de vouloir apporter une solution aux déserts médicaux à l’aide des internes de médecine générale dont l’année supplémentaire d’internat serait dédiée aux territoires sous-dotés en médecins. Le processus serait d’abord incitatif mais son échec garanti ne laisse aucun doute aux étudiants qu’il deviendra vite coercitif. Ils ne sont pas dupes et sont, à raison, vent debout contre cette mesure inique, inefficace, à effets de bord multiples et à haut risque de tension sociale incontrôlée.
D’abord, voici un potentiel « cavalier social », i.e. une mesure ne relevant pas du champ des lois de financement de la sécurité sociale. Ne pas prendre le temps de la consultation avec les principaux concernés sur une mesure qui change les règles en cours d’étude, qui génère des sacrifices importants au nom de l’échec des politiques passées est, en effet, une façon bien cavalière de gouverner !
Mais la réalité est que c’est la façon de gouverner la santé depuis l’existence de ce PLFSS (le Conseil Constitutionnel a , par exemple, censuré 27 cavaliers sociaux dans la loi de financement de la sécu de 2022). On prend au dépourvu les acteurs par des mesures toujours plus contraignantes, donnant l’impression d’aborder un problème mais conduisant en réalité à son aggravation tant ladite solution ne s’attaque pas aux racines du mal et possède de multiples effets de bord.
Dans le même genre, on peut citer l’instauration de 3 consultations, dites de prévention, à 25 ans, 45 ans et 65 ans, dont la pertinence en santé publique repose sur du sable et dont l’objet dépend de la relation conventionnelle entre l’assurance maladie et les syndicats médecins de ville. Quelle étrange mesure de payer à l’acte une mission dont seule la capitation ajustée a fait ses preuves comme mode de paiement et en même temps égrener dans les discours politiques la volonté de réduire voire supprimer le paiement à l’acte. Quant à l’intention d’inciter à consulter un médecin à 25 ans pour prévenir les addictions et éduquer les jeunes sur leur activité sexuelle, on en connaît l’inefficacité par le simple bon sens de chacun.
Cette politique de gribouille est aussi à son apogée pour la régulation des produits de santé. Avec des économies de 1,1 Mrd€ sur le prix des médicaments et dispositifs médicaux en 2023, le gouvernement envoie un message clair et contradictoire après les envolées lyriques pour inciter les laboratoires à investir en France. La France continue à considérer, ni plus ni moins, les produits de santé comme une variable d’ajustement budgétaire. Le niveau historique en 2022 des ruptures de stock de médicaments en France est sans effet sur l’inconséquence politique. Pire encore, une mesure d’appel d’offres pour sélectionner les médicaments pour chaque maladie, principalement sur les prix, entrainera encore un peu plus bas l’industrie française, au grand bénéfice de nos amis chinois et indiens.
Un dispositif inadapté à la santé
26 années de recul sur ce dispositif PLFSS ont démontré son impuissance politique à gérer les comptes de la santé autrement que par un rabotage comptable dans chaque secteur. Qui de la rigueur sur la rémunération des soignants, qui du rabotage des achats des hôpitaux, qui de la baisse des prix des médicaments, qui de ne pas investir dans la prévention, cette méthode a progressivement fragilisé toutes les forces vives du système.
La réalité est que ce dispositif législatif est totalement inadapté pour piloter la politique de santé, qui nécessite de la vision de long terme, de la hiérarchisation des objectifs de santé publique et un plan d’actions adapté à ces objectifs et aux acteurs du système (services, recherche, industries).
Pour cela, l’Institut Santé* propose la mise en place d’une loi d’orientation et de programmation sanitaire à 5 ans, accompagnée d’une réforme institutionnelle globale de l’Etat et de la gouvernance en santé (fusion de plusieurs agences existantes, gouvernance unifiée des soins sous la tutelle de l’assurance maladie…). Territorialisation de la santé avec un service public territorial de santé, fin du financement à deux étages (sécu + complémentaires) pour aller vers un financement solidaire à un seul étage (le privé devient une assurance supplémentaire) et décentralisation de compétences de santé publique comme l’éducation à la santé, la santé-environnement sont quelques mesures d’un plan global de reconstruction de la santé en France.
Comme pour les autres lois d’orientation et de programmation existantes (défense et sécurité entre autres), le vote annuel d’un budget est indispensable (et obligatoire constitutionnellement) pour évaluer chaque année la performance des politiques menées et le respect des objectifs budgétaires. Mais cet exercice s’inscrit dans une vision politique claire, largement débattue à l’Assemblée et permettant à tous les acteurs de santé de se projeter à long terme.
Faire de la santé un sujet politique de premier plan est une condition sine qua non pour sortir de la crise et relancer le système. La santé n’est plus au XXIème siècle seulement du soin, mais de la qualité de vie, de la justice sociale, de la sécurité, de l’indépendance nationale, du soft power. Ce changement de paradigme condamne la gestion comptable et technocratique en place depuis de nombreuses années, dont le dispositif PLFSS en est le meilleur symbole !
Frédéric Bizard
*L’Institut Santé est un centre de recherche citoyen, apolitique et indépendant, dédié à la reconstruction de notre système de santé (www.institut-sante.org)