Le PLFSS 2014, présenté en première lecture à l’Assemblée Nationale le 22 octobre, est remarquable à au moins trois titres.
D’abord, il s’inscrit dans la continuité des précédents PLFSS sur le plan de l’affaiblissement de notre Assurance Maladie et donc de notre système de santé. D’une majorité à l’autre, on observe la persistance du refus de toute réforme structurelle de notre système de santé, qui conduit à laisser notre administration colmater un système qui prend l’eau de toute part.
De 2002 à 2012, la France a cumulé une dette sociale de 160 milliards d’euros, dont près de la moitié provient de l’Assurance maladie. Nos politiques de droite et de gauche ont transformé le principe de solidarité qui fait que les bien portants d’aujourd’hui paient pour les malades d’aujourd’hui en un principe d’injustice sociale qui fait que les bien portants de demain paieront pour les malades d’aujourd’hui. Ce PLFSS prévoit un déficit de 6,2 milliards d’euros en 2014, soit 62% du déficit total de la sécurité sociale, un des taux records en la matière. Aucun retour à l’équilibre n’est envisagé à l’horizon 2017, malgré le retour de la croissance. C’est donc la persistance dans l’erreur d’une gestion comptable depuis dix ans avec des coupes budgétaires de 2 à 3 milliards d’euros chaque année, sans recherche de gain d’efficience. A titre d’exemple, le développement de la chirurgie ambulatoire en France au niveau d’autres pays comparables ferait économiser 5 milliards d’euros chaque année, tout en améliorant le confort des patients. Pour cela, il faudrait restructurer la carte hospitalière, du fait de la suppression de 50 000 lits d’hospitalisation traditionnelle, ce que refuse la technostructure sanitaire. Ce PLFSS, comme les précédents, repousse à plus tard l’inéluctable refondation de notre système de santé et est marqué du même sceau de la décadence morale de nos gouvernants qui font supporter nos dépenses sociales sur les épaules des futures générations.
Le deuxième fait remarquable de ce PLFSS est la dégradation de l’accès aux soins pour les classes moyennes instauré par l’évolution des contrats responsables. Ces contrats responsables (qui représentent 95% du marché) ne rembourseront plus les compléments d’honoraires de la majorité des médecins spécialistes. Le gouvernement, après une mascarade de négociation conventionnelle, va ouvrir un contrat d’accès aux soins qui consiste à faire payer par l’Assurance maladie (et donc à creuser son déficit) les cotisations sociales des médecins qui acceptent de ne pas augmenter leurs tarifs pendant trois ans. Les médecins préférant vivre de leurs actes plutôt que de subventions, l’opération est un retentissant fiasco, à tel point que l’Assurance maladie se mure dans le silence sur les chiffres réels. Ce PLFSS active le levier qui referme le piège sur les assurés, les contrats responsables ne rembourseront plus les compléments d’honoraires de la grande majorité des médecins spécialistes, ceux qui n’ont pas signé ce contrat d’accès aux soins. La Ministre de la santé a parlé de durcissement des contrats responsables; c’est bien la cas mais uniquement pour ceux qu’elle est sensée défendre, les assurés. Ces contrats responsables, invention de la droite en 2004, sont une fantastique aubaine pour les complémentaires puisqu’ils limitent leur remboursement tout en baissant leurs taxes. Tout pouvoir politique soucieux de l’intérêt général les supprimerait sur le champ. Le nôtre non seulement ne le fait pas mais en aggrave les effets pervers. Le résultat est que la classe moyenne française, après devoir déjà renoncer fréquemment à des soins dentaires pour raison financière, n’aura bientôt plus les moyens d’aller consulter dans le cabinet des médecins spécialistes de leur quartier. Qu’elle se rassure, le gouvernement a pensé à elle et veut remettre à la mode les dispensaires du 19ème et 20ème siècle, rebaptisés centres de santé, où les soins seront gratuits.
Le troisième fait remarquable de ce PLFSS est de préparer la grande idée santé du quinquennat de Hollande, la généralisation de la complémentaire santé. Les Français de la classe moyenne (les plus défavorisés ont la CMU-C) ont de plus en plus de mal à payer les cotisations de leur complémentaire; les primes ayant augmenté de plus de 70% en dix ans. Il était donc temps d’appeler l’Etat à la rescousse pour subventionner les contrats avec de l’argent public. C’est chose faite grâce à la montée en puissance de l’aide à la complémentaire santé, autre invention de la droite en 2004 dont ce gouvernement aggrave encore les effets pervers, prévue dans ce PLFSS. On dépense des centaines de millions d’euros (4 millions de personnes éligibles à un chèque compris entre 100 et 500 euros selon leur âge) d’argent public pour s’assurer que tout le monde souscrive à un contrat, très souvent inutile puisque les complémentaires refusent de mettre en face de bonnes garanties. Une bonne mesure serait la suppression de cette aide et son remplacement par la CMU-C pour ses bénéficiaires. On préfère faire payer la publicité de cette aide par l’Assurance maladie et subventionner les complémentaires. Le renvoi d’ascenseur présidentiel suite au soutien de la Mutualité française lorsqu’il était candidat en 2012 est décidément bien cher payé par l’assuré. Cette même Mutualité française vient d’ailleurs d’annoncer une hausse de 3% des contrats pour 2014, soit une hausse de 1 milliard d’euros pour des assurés qui verront la même année leur remboursement diminuer grâce à ce PLFSS. Il suffisait d’y penser!
A ceux qui pensent que la France a touché le fond et comptent sur la reprise économique pour nous sortir de la crise profonde et multiforme de notre pays, ce PLFSS 2014 a au moins le mérite de leur démontrer que le pire est à venir en matière de protection sociale en général et de notre système de santé en particulier.
Frédéric Bizard