Douze ans après que le Président Jacques Chirac ait annoncé lors de son allocution du 14 juillet 2002 faire de la lutte contre le cancer l’une des trois priorités de son second mandat, François Hollande vient de lancer le 4 février dernier le troisième plan cancer.
La première phrase de son discours sonne comme une mise en garde à tous ceux qui oseraient porter la critique sur une telle initiative. «La lutte contre le cancer est l’une des grandes causes qui fédère, qui rassemble au-delà des sensibilités, des clivages, des alternances. Et comment pourrait-il en être autrement ?». Aucune critique n’est d’ailleurs apparue dans les médias suite à la présentation du Plan. Comment pourrait-il en être autrement? Pourtant, ce plan cancer développe à minima des mesures qui n’ont rien de spécifiques au cancer et passe à côté des vraies mesures nécessaires pour améliorer l’état sanitaire de notre pays.
Le grand objectif du Plan est de réduire les inégalités face à la maladie cancéreuse. En effet, la catégorie sociale est un facteur réellement discriminant face au cancer, les ouvriers ont 2,5 fois plus de chance de mourir d’un cancer entre 30 et 65 ans que les professions libérales. On meurt deux fois plus du cancer dans le Nord que dans le Sud. Ceci est vrai mais malheureusement c’est le cas pour la plupart des pathologies dominantes. La différence d’espérance de vie à 35 ans entre un cadre et un ouvrier s’est creusée ces trente dernières années pour atteindre 6,3 ans aujourd’hui et même 8 ans si on considère l’espérance de vie sans incapacité. Ces inégalités sont largement dues à une « causalité sociale » qui est extérieure au système de soins. Tant que le fonctionnement général de notre système de santé, axé uniquement sur le curatif, ne sera pas repensé, ces inégalités ne pourront que s’accroître. Tant que la politique de santé restera concentrée sur l’offre de soins (approche verticale) et non sur l’ensemble des thèmes qui constituent les déterminants sociaux de santé tels que l’éducation, le travail, l’exercice physique, le logement ou l’environnement (approche transversale), les actions menées resteront à faible impact. Tant qu’on n’exploitera pas la révolution technologique (TIC entre autres) pour rendre les individus plus autonomes dans la gestion de leur santé, on peut mettre en place tous les plans cancer d’affilée que l’on veut, l’inégalité sociale perdurera. Le Plan Cancer 3 néglige ce travail en amont du système de soins.
Un bilan contrasté des deux premiers plans cancer mais des succès à étendre au reste du système de santé
Cette négligence caractérisait aussi les deux premiers plans cancer, ce qui explique certains résultats. Les taux faibles de participation au dépistage organisé du cancer du sein malgré la gratuité de l’examen, à peine plus d’une femme sur deux, le nombre élevé de nouveaux cas de cancer, le nombre de fumeurs en France parmi les plus élevés d’Europe et la persistance des inégalités sociales de santé sont des échecs des deux premiers plans qui en avaient déjà fait des objectifs. En revanche, certaines avancées dans la prise en charge des cancers en France ont été accomplies ces dernières années. La cancérologie est devenue la spécialité disposant du parcours de soins le mieux structuré de toutes les pathologies. L’organisation et la qualité de l’offre de soins en oncologie se sont aussi améliorées. Basée sur des critères de sécurité et de qualité, la sélection des centres autorisés à traiter les cancers a fait passer le nombre de ces centres de 2200 à 890 établissements au cours des deux premiers plans. Les taux de survie à 5 ans, malgré leur grande hétérogénéité selon le type de cancers (de 6% à 95%), font partie des meilleurs d’Europe. Enfin, la France est devenue une référence mondiale en matière de recherche sur les thérapies ciblées (médicaments qui ciblent les anomalies moléculaires spécifiques des cellules tumorales). On peut se poser la question de savoir si ces avancées auraient eu lieu sans les deux Plans cancer. En tout cas, ces expériences réussies devraient servir d’exemples pour les dupliquer sur l’ensemble de notre système de santé, probablement à moindres coûts grâce à l’effet d’expérience. Rien n’est mentionné à ce sujet et la stratégie nationale de santé prévue ce printemps ne prend pas vraiment le chemin d’une telle extension.
Un plan peu ambitieux et dont les objectifs et mesures s’appliquent à la plupart des pathologies chroniques
Le Plan comprend 4 grands axes d’actions: guérir plus de malades, préserver la continuité et la qualité de la vie, investir dans la prévention et dans la recherche, optimiser le pilotage et les organisations. Ces axes, comme la plupart des mesures, sont transposables aux autres grandes pathologies qui affectent la santé et la qualité de vie de millions de Français. En matière de dépistage, la priorité donnée au cancer du col de l‘utérus résume assez bien l’ambition réelle du Plan. En 2012, le cancer du col de l’utérus représentait moins de 5% des nouveaux cas de cancers chez la femme et moins de 3% des causes de décès par cancer. En faire une priorité sur les autres cancers en matière de prévention n’est pas vraiment le signe d’une grande ambition. Malgré les effets d’annonce et le fort relais médiatique du Plan, force est de constater que les moyens ne sont pas au rendez-vous de la lutte annoncée. Le budget de 1,5 milliard d’euros sur les 5 ans du plan laisse songeur sur les résultats possibles avec une telle somme, non financée et non fléchée.
Instaurer des plans de santé publique par pathologie renforce le cloisonnement d’un système déjà structurellement très segmenté entre la ville, l’hôpital et le médico-social. Si on veut être efficace pour diminuer le nombre de cas de cancer, il faut agir sur les comportements individuels des Français, comme pour les autres pathologies chroniques. Si on veut dépister plus précocement les cancers, il faut créer un réflexe dépistage chez les Français, comme pour les autres pathologies. Si on veut mieux soigner les cancers, il est nécessaire d’optimiser la qualité et la sécurité des soins en labélisant les centres capables de bien traiter ce type de pathologie, en assurant une coordination efficace des parcours et en développant la recherche, comme pour les autres pathologies chroniques. Si on veut améliorer la qualité de vie des patients cancéreux, il faut lutter contre toutes les discriminations sociales liées à la maladie, comme pour toutes les pathologies.
Ce plan cancer est, comme bien souvent en politique de santé en France, un non choix face aux exigences de transformation de notre système de santé. Limiter un tel Plan au cancer aura un faible impact sur l’état sanitaire de la population et ne règlera rien aux dysfonctionnements de ce système. Si on veut mener efficacement la lutte contre le cancer et sauver des milliers de vie supplémentaires dans les années à venir, il est urgent de s’attaquer au chantier de sa refondation !
Frédéric Bizard