Faire évoluer le mode de paiement des offreurs de soins pour davantage prendre en compte la valeur du service médical rendu. Voici la belle histoire derrière le paiement à l’épisode de soins (PEDS ensuite) envisagé par le gouvernement comme un des chantiers de transformation de notre système de santé.
Le diable n’est ici pas dans les détails mais dans la voie empruntée pour améliorer cette valeur : un forfait unique sur l’ensemble de l’épisode de soins, ajusté à la performance. Cette voie est la chronique d’un échec annoncé et une dangereuse utopie du fait de l’état actuel de notre système de santé.
Les expériences internationales démontrent l’échec programmé de ce nouveau mode de paiement
En 2009, le comté de Stockholm a lancé un vaste programme de transformation de son système de santé dont l’objectif principal est de supprimer les longues listes d’attente en chirurgie (1). Cette réforme de 2009 comprenait la suppression des plafonds de volume des actes chirurgicaux imposé aux hôpitaux, le libre choix de son établissement et la mise en place du PEDS pour la prothèse totale de hanche. Sur les 2 ans qui ont suivi la réforme, il a été observé une baisse des complications post-opératoire et des indemnités journalières, ainsi qu’une diminution des coûts par patient. Certains voient là une belle occasion de justifier ce nouveau paiement. Même si l’écart béant entre les environnements suédois et français devrait inciter à la prudence, le problème n’est pas là.
Aucun lien de causalité n’a pu être démontré entre ces résultats et le PEDS. La réforme de 2009 a entrainé un transfert massif des actes chirurgicaux concernés des centres hospitalo-universitaires vers les centres spécialisés et les cliniques privées. Ce changement de périmètre a eu une influence notable sur les résultats. La résorption de listes d’attente composées de personnes en meilleure santé que les patients prioritaires a forcément eu un impact favorable à court terme sur le taux de complications. Enfin, d’autres comtés, qui n’ont pas mis en place le PEDS, ont eu de meilleurs résultats que Stockholm sur certains indicateurs de qualité.
Après plusieurs expérimentations pourtant peu concluantes, les États-Unis (1) ont lancé un programme national avec Medicare en 2013 (le BPCI) sur 48 épisodes de soins, basé sur le volontariat. Déjà constaté en Suède, le PEDS réalisé à grande échelle a généré un choc organisationnel nécessitant un investissement très lourd de la part des hôpitaux pour former le personnel existant, recruter du personnel administratif, créer des organisations dédiées …
L’impact médico-économique positif du PEDS n’a pas été démontré aux USA. Après 5 ans d’extension, le PEDS se révèle être un tel échec que l’État de Californie s’est retiré du programme. Une demande officielle a été déposée auprès du Congrès américain en Janvier 2018 par la Commission de Conseil de Medicare pour retirer le programme, jugé trop coûteux et inefficace. Fardeau administratif trop lourd, manque d’infrastructures techniques pour gérer le process et payer les réclamations (nombreuses), scepticisme sur l’impact sur la qualité des soins…la Commission est prolifique sur les raisons de sa demande.
A ce fiasco sur la qualité et les coûts s’ajoute une dérive terrible pour tout système de santé qui se veut solidaire, l’exclusion des patients fragiles. Aux USA, les hôpitaux ont dû mettre en place un système de sélection des patients qui a généré de nombreuses situations dramatiques.
En effet, pour éviter les sanctions financières, les établissements pratiquent le refus de soins de patients trop fragiles et des reports de soins liés aux complications au-delà de la période post-opératoire retenu dans le forfait. Les médecins américains qui ont souhaité soigner ces patients ont été pénalisés financièrement.
En France, le paiement à l’épisode de soins est une utopie à haut risque
Rappelons que la France n’a pas de longues listes d’attente en chirurgie, que le taux de complications sur la prothèse totale de hanche est de 1,3% contre 6% en Suède et que les coûts d’interventions chirurgicales sont 5 fois plus faibles qu’aux États-Unis. Si la question de l’efficience des soins se pose en France, la problématique est très différente de celle de ces deux pays.
Le PEDS exige plusieurs prérequis qui ne sont pas remplis en France dont la numérisation avancée des données médicales et des structures, l’utilisation courante d’indicateurs de qualité et une capacité d’investissement élevée des hôpitaux. La mise en place du PEDS ne va pas manquer d’aggraver la tension au sein d’hôpitaux déjà en crise, suradministré et dans une situation financière très difficile ainsi que chez les professionnels de ville, dont la mise sous tutelle financière de l’hôpital est inacceptable.Les expériences étrangères ont montré la tension sociale et financière générée par la PEDS sur les fournisseurs de soins. En France, l’état actuel de notre système de santé en fait une utopie.
L’anachronisme d’une telle initiative en France parait invraisemblable mais s’explique en réalité simplement. Le PEDS relève de la communication et de la posture politique, malheureusement classique en santé en France, illustrant l’impuissance des Pouvoirs Publics à répondre à une crise systémique par une réforme systémique. Il s’agit de donner l’impression à l’opinion publique d’agir, d’être en mouvement, tant pis si la mesure aggrave la situation à terme. A ceux qui doute de cette réalité, nous rappellerons que les expérimentations du PEDS doivent être lancées dès juin 2018, dans une impréparation totale et sans partage avec les professionnels des modalités envisagées.
En santé, le success fee ne fonctionne pas et génère des dérives inacceptables
Le PEDS a deux faces : un paiement groupé qui transforme l’hôpital en financeur de tous les acteurs du soin et un paiement à la performance. La première face renforce l’hospitalo-centrisme tout en affaiblissant l’hôpital par la charge administrative supplémentaire qu’elle impose. La deuxième face est la fausse bonne idée souvent évoquée en santé, le paiement à la performance.
L’approche financière de la carotte et du bâton n’améliore ni la pertinence ni la qualité des soins. La quête de qualité est constitutive de la vie professionnelle médicale et de son éthique. Elle ne s’achète pas par des primes mais se construit à partir d’une pluralité d’actions, d’une approche multidimensionnelle impliquant de l’investissement dans la formation, le management, les technologies et les structures. Le gain de la performance pour le professionnel se valorise par sa réputation, l’importance de sa patientèle, ses publications, pas par des primes. La sanction de la non qualité peut être très lourde en cas d’erreurs médicales. De plus, tout système solidaire ne peut appliquer un modèle dont les grands gagnants sont ceux qui trient le plus efficacement les patients.
La médecine est un art et non une science. C’est la raison pour laquelle les professionnels de santé ont une obligation de moyens et non une obligation de résultats. La performance ne s’achète pas par des primes comme pour un banquier d’affaires ou un commercial. Le paiement au success fee ne fonctionne pas en santé. Il en sera ainsi tant que la médecine demeurera un art, tant qu’un système de santé devra soigner tous les patients.
Cela laisse au gouvernement un peu de temps pour se saisir en priorité des vraies réformes structurantes et utiles pour notre système de santé !
Frédéric Bizard
(1) Voir le détail des expériences suédoises et américaines dans l’étude médico-économique présente sur le site du CNP-SOFCOT
Voir émission de radio sur le rapport Aubert
RTL Matin avec Yves Calvi, Frédéric Bizard et Jean-Marc Aubert (à partir de 1h14mn 40sec) ici.