« Réformer le modèle social est indispensable et urgent » a indiqué le 6 juin dernier Édouard Philippe. Commencer cette réforme par le travail est un bon choix tant le chômage endémique depuis les années 80 est un cancer sociétal en France. Cependant, les priorités ciblées dans les ordonnances Macron et l’agenda des réformes sociales laissent perplexe quant aux chances de succès et d’impact sur l’économie réelle.
Des ordonnances dans la continuité de la loi El Khomri
C’est l’émergence de l’économie à la demande issue de la révolution numérique, qu’il faut davantage expliquer au grand public, et non une idéologie libérale aveugle qui exige de laisser plus de marge de manœuvre aux entreprises pour s’organiser face aux mutations de leur marché. Dans le projet d’ordonnances connu à ce jour, on a avant tout une consolidation des éléments de flexibilisation apportés par la loi El Khomri de 2016.
Cette dernière a instauré le principe de l’inversion de la hiérarchie des normes pour le droit du travail (même si le code du travail reste la référence dans les négociations). Alors que la loi El Khomri fixe la primauté des accords d’entreprise pour la durée du travail (organisation du travail, des congés, des heures supplémentaires…), les ordonnances Macron prévoient de l’étendre à d’autres sujets qui feront l’objet de négociations cet été. Alors que la première détermine des barèmes indicatifs pour les indemnités de licenciement, les secondes veulent fixer des barèmes contraignants pour les dommages et intérêts (pas pour les indemnités). Alors que la loi actuelle permet aux entreprises de regrouper les instances représentatives du personnel dans une délégation unique du personnel (DUP), les ordonnances Macron veulent permettre de les fusionner…
Si les premières annonces ont suffi pour faire rugir de colère les gardiens du temple social d’un monde révolu, on est loin d’une révolution et pas en présence d’une réforme complète et cohérente.
D’abord côté assouplissement, les ordonnances font l’impasse sur la mise en place d’un contrat de travail unique à droits progressifs (CDP), qui est le véritable levier pour sortir de la dualité de notre marché du travail entre les insiders (salariés en CDI) et les outsiders (jeunes et peu qualifiés en CDD, chômeurs). Ce CDP permet de licencier à moindre coût en début de contrat et de faire croître le coût du licenciement selon l’ancienneté du salarié. Instauré en Italie en 2015 dans un contexte de chômage endémique et dualité du marché comme en France, il a démontré toute son efficacité. Rappelons qu’en France, 80% des chômeurs qui retrouvent un emploi sont en CDD ou en intérim, 70% des embauches sont en CDD de moins d’un mois alors que 80% des salariés au total sont titulaires d’un CDI hyper-rigide qui les protège d’un licenciement mais affaiblit leur mobilité professionnelle !
Ensuite, la flexibilisation du droit du travail échouera si elle ne s’accompagne pas concomitamment d’un renforcement de la sécurisation des parcours professionnels. Flexibilité et sécurité sont les deux faces d’une même pièce, l’une est la condition du succès de l’autre. Il est contre-intuitif aux yeux du grand public et (de beaucoup de nos leaders politiques) de favoriser la possibilité de licencier pour créer plus d’emplois. Pourtant c’est bien ce qui s’est passé si on compare la situation française à celle des pays qui ont appliqué dans sa globalité le principe de flexisécurité comme Scandinaves, aussi bien en considérant la quantité que la qualité des emplois.
La flexisécurité implique un changement de logiciel en matière de protection du travail. La question n’est plus de protéger l’emploi, i.e. le salarié en activité, mais la personne, qu’elle soit en activité ou au chômage. Elle diminue le chômage à moyen terme uniquement si elle améliore le niveau moyen de formation des travailleurs et l’appariement de l’offre à la demande. Si la réforme du travail s’arrêtait aux ordonnances prévues actuellement, l’effet sur le chômage pourrait être inverse à celui recherché (hausse et précarisation).
Le véritable big bang syndical : la réforme de la formation professionnelle
Le Président de la république a bien prévu une réforme de la formation professionnelle, mais elle ne sera négociée que fin 2017 pour un vote prévu au printemps 2018. Cette déconnection des réformes portant sur la flexibilisation et la sécurisation est un frein pour rendre le projet d’ensemble intelligible et acceptable pour le grand public, c’est aussi une erreur de stratégie de négociation avec les syndicats. Le caractère urgent de la réforme, justifiant l’usage des ordonnances, porte surtout sur le volet sécurisation qui agit à moyen terme. Le véritable big bang du marché du travail côté syndical se situe dans la formation professionnelle car elle touche directement à leur financement.
En effet, le financement de la formation professionnelle repose sur des mécanismes de collecte complexes gérés par les syndicats patronaux et salariés à travers des organismes paritaires collecteurs agréées (les OPCA). Ces OPCA gèrent près de 6 milliards d’euros par an, dont 10% de frais de gestion. Le résultat est que le coût d’une heure de formation en France est 35% plus cher que la moyenne de l’Union européenne. La réforme de 2014 oblige que le financement issu de la formation destiné aux syndicats ne se fasse plus en direct mais via un fonds, le résultat est le même : 116 millions d’euros de versés en 2015 pour le dialogue social pour un usage largement opaque !
Le ciblage de notre formation professionnelle est défaillant. La probabilité de bénéficier d’une formation croît avec la qualification initiale, avec la taille de l’entreprise et décroît avec l’âge, soit un gradient inverse des besoins réels de formation. Le taux d’accès à la formation pour un chômeur est un tiers plus faible que pour un salarié. L’offre de formation est « illisible » et « très hétérogène » selon l’aveu même de l’ancien Ministre M. Rebsamen en 2014, ce qui fait que le travailleur ne peut pas en réalité choisir une formation adaptée à ses besoins.
Après les 46 réunions prévues cet été avec les syndicats sur le contenu des ordonnances et probablement un débat médiatique intense, on peut redouter que le gouvernement ait épuisé une partie significative de son pouvoir de négociation sur le sujet travail. Pourtant, l’essentiel restera encore à négocier pour réussir la réforme sur le plan économique et c’est ce qui demandera le plus de concessions des syndicats. Il est nécessaire d’inclure le volet sécurisation dans les ordonnances, ce qui en justifie l’usage et évitera le risque d’une grande occasion manquée.
Frédéric Bizard