Jean Jaurès prétendait que « le courage en politique, c’est de chercher la vérité et de la dire », principe qu’il a appliqué à la lettre jusqu’à en perdre la vie. Son pacifisme l’a conduit à s’insurger contre l’entrée en guerre de la France en 1914, raison pour laquelle le nationaliste Raoul Villain l’assassinera en plein cœur de Paris. Que penser de la vérité et de la crédibilité de la parole de nos politiques qui prétendent inverser la courbe du chômage sans croissance économique, faire de l’industrie un vivier d’emplois d’avenir, sauver notre système de retraites par une hausse des cotisations sociales, préserver l’excellence de notre système de santé en détruisant ses fondamentaux, renforcer notre modèle social en le finançant à crédit depuis 30 ans…
Depuis fin 2012, François Hollande répète à l’envi son engagement phare, celui sur lequel les Français pourront véritablement le juger, l’inversion de la courbe du chômage d’ici à fin 2013. On connaît le résultat, 176 000 chômeurs de plus depuis fin 2012 dont 18 000 en novembre 2013. L’Etat a pourtant mis à disposition du Ministre du Travail plus de deux milliards d’euros d’argent public pour multiplier les contrats aidés dans la fonction publique. Il est une donnée économique établie et connue de tout responsable politique averti, l’inversion durable de la courbe du chômage nécessite une croissance économique minimum du PIB de 1,5% par an. La croissance de 2013 sera autour de 0,2% et celle de 2014 inférieure à 1%. La vérité est donc qu’aucune inversion durable n’interviendra avant 2015.
Le gouvernement a inventé le ministère du redressement productif pour continuer à faire croire aux Français que l’industrie était toujours l’avenir de l’emploi. Comme tous les pays développés, la France a vu sa part de l’industrie dans le PIB fondre et a connu des centaines de milliers de destruction d’emplois industriels. C’est le signe d’une économie moderne de passer d’une logique industrielle à une logique de services. La cause principale de la chute de l’emploi industriel est la robotisation des tâches routinières. L’industrie française du XXIème siècle sera robotisée ou elle ne sera pas. C’est probablement d’ailleurs parce qu’elle ne s’est pas assez robotisée (la France compte 120 robots pour 10 000 employés contre 260 pour l’Allemagne et 350 pour le Japon) qu’elle est moins compétitive. Que le ministre de ce fameux ministère dépense l’essentiel de son énergie en 2013 à sauver des sites en perdition et des emplois condamnés au lieu de favoriser leur reconversion vers des emplois dans les filières d’avenir qui peinent à recruter (santé, éducation, informatique, services à la personne), est typique de la dénégation de la réalité économique et sociale. Que ce même ministre, dans l’indifférence générale, expose des photos d’ouvriers qui auraient été « sauvés par l’Etat » dans un calendrier pour les vœux 2014 est cynique, arrogant et pathétique.
Aucun gouvernement ne s’est risqué à régler sérieusement la question des retraites, malgré cinq reformes en vingt ans. Dans l’équation des retraites version Hollande, seules les hausses d’impôts vont réduire les déficits car l’allongement de la durée de cotisation n’aura pas d’effet avant 2020. Le gouvernement prétend avoir fait le job de la réforme nécessaire alors que les mesures prises rapporteront au mieux 7,3 milliards d’euros pour un déficit prévu de 20 milliards en 2020. Il prétend avoir privilégier la justice sociale dans la réforme alors que rien n’a été fait concernant l’injustice entre les cotisants du régime général et ceux des régimes spéciaux ou de la fonction publique. Ainsi, notre système des retraites reste un des plus inégalitaires des pays développés, un des plus coûteux et sans soutenabilité financière assurée. La réalité est que rien n’est réglé durablement à ce jour pour les retraites.
Quant à notre système de santé, la Ministre de la santé a profité de la première médicale mondiale de greffe du cœur artificiel pour rappeler aux Français l’excellence supérieure de notre système de santé. C’est la méthode Coué pour démontrer que le retour aux temps anciens est possible, comme si notre modèle social de 1945 pouvait envers et contre tout traverser les époques sans être adapté aux nouveaux enjeux. Prenons le cas du financement de ce système de santé. La réalité est celle d’un système de financement à l’agonie, avec une assurance maladie déficitaire depuis 25 ans et un système d’assurance complémentaire inefficace, coûteux et source d’inégalités d’accès aux soins courants croissantes. Une politique en phase avec la réalité de la situation serait de prendre des mesures renforçant durablement l’équilibre de l’assurance maladie et de restructurer le marché de l’assurance privée. Le gouvernement préfère des mesures démagogiques et nuisibles telles que la généralisation du tiers-payant, la complémentaire santé pour tous, la subvention publique des contrats d’assurance, la lutte contre les compléments d’honoraires, la nationalisation rampante de l’offre de soins de ville… Tout reste à faire aussi en santé.
On pourrait ajouter, entre autres, à cette liste de leurres en matière sociale l’accord de décembre 2013 sur la formation professionnelle, qualifié de « grande réforme porteuse d’avenir » par le ministre du travail et « d’accord majeur » par le Président de la République. Cet accord devrait faire passer la part des fonds destinés à la formation des plus de 2 millions de chômeurs de longue durée de 600 millions d’euros à 900 millions d’euros (soit 150 euros de plus par personne) sur un budget de 32 milliards d’euros (soit 2,8% dédiés à ceux qui en ont le plus besoin). Soyons rassurés, les circuits de financement des organisations syndicales à partir de ces fonds resteront tout aussi opaques et profitables. On pourrait aussi ajouter les 220 milliards d’euros de dettes sociales générées par notre protection sociale depuis la fin des années 90, dont une partie substantielle de la facture sera laissée, si rien ne change, aux futures générations.
La réalité de notre modèle social est pourtant connue depuis les années 80. Celui-ci, après avoir été porté par le dynamisme économique des 30 glorieuses, connaît une triple crise d’efficacité (le chômage en est le symbole), de légitimité (la défiance généralisée des Français le montre) et de viabilité financière (32% de PIB de dépenses publiques sociales en France contre 25% en moyenne dans l’Union européenne). Cette réalité, les politiques refusent de la voir, même de l’entendre. Drapés dans le déni du réel, ils portent un discours sans consistance, non crédible et plein de promesses « qui n’engagent que ceux qui les écoutent ». Fonctionnant en mode averse au risque, vivotant en vase clos, notre société politique contemporaine est devenue la machine à désespérer les hommes, redoutée par Camus. Les membres de cette société se sont au moins mis à l’abri du risque d’un destin à la Jaurès.
Enfin, si on considère, comme Balzac, que « tous ces prétendus politiques sont les pions, les cavaliers, les tours et les fous d’une partie d’échec qui se jouera tant qu’un hasard ne renversera pas le damier », il ne reste plus qu’à trouver le fait du hasard. En cette année électorale, il peut venir des urnes, avec tous les risques que cela comprend. Ce sera toujours plus acceptable que la violence ou la mise sous tutelle financière internationale de la France!
Frédéric Bizard