Paru dans Les Echos le 9 mars 2022
Dans sa lettre aux Français du 3 mars, le candidat Macron parle de « préserver et même améliorer ce modèle social auquel nous tenons tant et qui a fait ses preuves ». Après la tentative de réforme systémique du système des retraites, nous savons que la volonté politique, le vouloir, ne suffit pas si elle n’est pas accompagnée de la capacité de faire, du Pouvoir politique.
Ce Pouvoir passe par l’incarnation politique d’une vision à long terme de ce modèle social pour donner à la population un sens profond à la réforme. Un des défis est de construire l’avenir sans défaire le passé, de réinventer un contrat social assis sur les valeurs républicaines intangibles depuis la Révolution française. En 2022, comme après la deuxième guerre mondiale, la France doit repenser ses institutions politiques et sociales sur la base de grands principes. Nous en proposons quatre pour bâtir les fondations du modèle social du XXIème siècle.
Protéger par l’universalité et la solidarité
Le nouveau modèle social considère acquis le transfert des droits sociaux du statut professionnel vers la personne en tant que personne. La logique universaliste implique une lisibilité d’un modèle social qui se pilote à partir de la demande sociale et non plus à partir de l’offre sociale. Elle est plus efficace dans la réduction des inégalités et renforce la confiance des citoyens dans le système. L’égalité des droits ne signifie pas leur uniformité. Cette égalité se gère dans la diversité pour cibler en priorité les personnes les plus fragiles.
Notre Etat-providence actuel vise avant tout à garantir un niveau de vie minimum pour assurer la croissance de la consommation et non l’intégration des personnes en difficulté. L’étonnante acceptabilité sociale de la précarisation d’une partie des jeunes adultes (1,5 million des 15-29 ans sont sans emploi, sans formation, sans études), devenus le maillon faible de la société d’une part, et de la piètre prise en charge du grand âge dans notre pays d’autre part en sont les preuves.
Notre Constitution évoque « le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ». Le nouveau modèle évolue vers la notion « d’obtenir de la collectivité les capacités de réussir pleinement le développement personnel de chacun selon ses choix et ses aspirations à tous les âges de la vie ». La nouvelle solidarité vise à socialiser la capacité d’autonomie de chacun dans la gestion des risques sociaux. Ainsi, le nouveau système de santé garantira un accès à tous à la santé globale et pas seulement aux soins.
Protéger par l’autonomie et la liberté
La meilleure sécurité (sociale) est celle qui maximise les chances pour une personne de construire son avenir, d’exploiter pleinement ses capacités de développement de soi. C’est la notion de capabilités de l’économiste Sen qui lie la liberté concrète à l’aptitude d’une personne à effectuer l’activité qu’elle valorise le plus. Le succès humain n’est pas réduit aux moyens d’existence mais il est étendu à son autonomie, à sa liberté d’agir et de s’accomplir.
C’est une protection sociale active qui consiste à un investissement dans l’humain avec un retour sur le long terme d’une personne devenue plus « capable » dans la gestion de ses risque sociaux. Cette autonomie n’est pas un repli sur soi, mais « un respect pour l’humanité », comme le disait Rousseau. Le principe de dignité est au cœur de cette nouvelle étape de la protection sociale.
La compétition entre les candidats à la Présidentielle 2022 pour avancer ou retarder le plus possible l’âge de la retraite démontre une forme d’archaïsme de la pensée sur notre modèle social. Le futur système devrait laisser le libre choix aux personnes de leur âge de départ à la retraite, sachant que la valorisation des pensions à tout âge de départ peut être facilement connue à l’avance (principe de l’âge pivot), dans un objectif d’équilibre économique général du système.
Protéger par la démocratie sociale et sanitaire
Le nouveau modèle social renforce l’œuvre pionnière de construction d’une démocratie sociale initiée en 1945, à travers une délégation de gestion aux assurés eux-mêmes. L’assuré est actif dans la gestion du risque mais aussi dans la gouvernance du système. La protection sociale est l’expression d’une citoyenneté active, chère à Hannah Arendt. La vraie sécurité est celle qui rend l’individu acteur de sa protection sociale et non simplement récepteur de prestations sociales.
Le projet de « Grande sécu » introduit dans le débat politique en 2021 doit d’abord être une ambition de bâtir une « Grande démocratie sociale et sanitaire ». Avant d’être une assurance la sécu est une institution démocratique. Cette démocratie est un instrument puissant de reconquête de la confiance des citoyens dans le modèle social en général et dans les systèmes de santé et de retraites en particulier.
Protéger par l’équité intergénérationnelle
Le pacte social de 1945 a été conçu pour protéger en priorité les personnes âgées et les familles nombreuses. Le vieillissement de la population a accentué ce tropisme originel du modèle vers les plus âgés. Les transferts nets de protection sociale de 1979 à 2011 ont été dix fois plus importants pour un individu de plus de 60 ans que pour un jeune de moins de 25 ans.
Le rééquilibrage intergénérationnel se fera grâce au nouveau paradigme d’une protection sociale active dès le début de la vie, en amont de l’expression du risque, qui conduira à un nouveau modèle économique de l’investissement dans l’humain. C’est ainsi qu’en santé, l’investissement dès la petite enfance optimisera le développement psychique et social et se poursuivra à tous les âges de la vie sur des cibles clairement définies.
A la fin de sa lettre, E. Macron écrit : « la force de notre modèle social est là : dans cet investissement dans l’humain tout au long de la vie ». C’est un vœu, pas une réalité. Il reste « simplement » à réussir la réforme systémique du modèle pour que ce vœu devienne une réalité.