Le 1er janvier 2018 marque le début de l’obligation vaccinale étendue à 11 souches vaccinales. Cette décision fait suite à un niveau de défiance record en France pour la vaccination (41% de la population contre une moyenne de 9% dans le monde). Elle est en réalité la résultante d’un formidable échec de la santé publique dans notre pays ces trente dernières années. La médecine du travail fait partie des victimes de cet échec, qui ne relève en rien du hasard mais des politiques de santé menées ces dernières années.
La situation dramatique de la médecine du travail
Chaque Ministre de la santé répète à l’envie son refrain sur l’importance de prévention dans sa politique, y compris Madame Buzyn. Les faits sont têtus, la réalité est bien une dégradation de la culture de santé publique comme le montre l’état de la vaccination et un abandon de pans entiers comme la médecine du travail. Alors que la hausse des dépenses de soins de 2010 à 2016 a été de 2,4% par an, le budget dédié à la prévention a augmenté 34 fois moins que celui des soins (quasi stable). Hors inflation, la France dépense moins pour la prévention chaque année.
La démographie de la médecine du travail montre l’état dramatique du secteur. De 2007 à 2020, la baisse des effectifs programmée est de 28% (-14% déjà enregistrée de 2007 à 2016). Sur les 5168 médecins du travail, quasiment tous salariés et dont 71% sont des femmes, 43% ont plu de 55 ans et vont partir à la retraite dans les 7 ans qui viennent. Il y a en moyenne plus de 300 départs pour moins de 100 entrants par an en médecine du travail (soit un entrant pour trois sortants). Voici une spécialité médicale entièrement salariée et largement féminine qui se dépeuple à grande vitesse chaque année. Comme quoi le soi-disant attrait du salariat chez les jeunes médecins est une plaisanterie, la perte de vitesse de l’exercice libéral est contrainte, subie et non souhaitée.
Cette perte d’attractivité est le résultat d’une politique de santé encore entièrement centrée sur le curatif mais aussi d’une dévalorisation orchestrée de la profession de médecin du travail. Ainsi, la loi Touraine de 2015 a remplacé la visite médicale obligatoire tous les deux ans par une visite d’information et de prévention tous les cinq ans ! Alors domaine exclusif du milieu médical, ces visites peuvent être maintenant réalisées par des infirmiers. Si ces derniers ont un rôle à jouer dans ce secteur, leur donner les mêmes prérogatives que le médecin est une erreur.
Loin de remédier à la désaffection de la médecine du travail, les Pouvoirs Publics préfèrent gérer la pénurie et laisser se dégrader la situation. Cette démédicalisation de la santé au travail est pourtant la garantie d’une dégradation de l’efficacité de la prise en charge des salariés en matière de médecine préventive et curative. Alors que la responsabilité sociale des entreprises devient de plus en plus stratégique pour les employeurs, cette évolution est perdante pour toutes les parties.
L’urgence d’un changement de cap
La situation dramatique de la médecine du travail est un cas parmi d’autres spécialités de santé publique (la médecine scolaire est dans une situation encore plus préoccupante). Seul un changement radical de stratégie nationale de santé pourrait donner espoir d’un changement de cap. Ce dernier doit construire deux jambes d’importance équivalente en amont et en aval dans la gestion du risque maladies, au maintien en bonne santé et à la prise en charge curative des patients.
Il ne suffit pas de prendre des mesures symboliques, hautement médiatiques comme le paquet à 10 euros ou l’obligation vaccinale pour changer la donne. Il faut construire une nouvelle gouvernance, trouver des financements nouveaux et organiser les structures pour construire une vraie politique de maintien en bonne santé de la population. C’est aussi une culture de santé publique à infuser dans la population.
Alors que le gouvernement travaille sur la redéfinition des rôles et de la place de l’entreprise dans la société, notamment sur sa responsabilité sociale et environnementale, la faiblesse de la prise en charge de la santé au travail est une anomalie dans ce contexte. Alors qu’il semble évident que des employés en bonne santé seront plus productifs et donc plus rentables pour l’entreprise, les institutions et les individus sous-estiment toujours les avantages de la médecine préventive. La médecine préventive est sous-évaluée du fait d’une mauvaise perception de ses bénéfices, ce qui induit une éternelle remise au lendemain du recours aux soins préventifs.
La revalorisation de la médecine du travail passe aussi par l’affirmation de l’indépendance médicale au sein des entreprises afin que sa fonction d’alerte soit pleine et entière. S’il faut renforcer le rôle du médecin du travail, il doit être compléter par l’intervention d’autres professionnels comme les ergonomes, les psychologues et les toxicologues – et coordonner avec les médecins traitants de ville.
Alors que la médecine du travail est financée par les entreprises qui ont un intérêt économique et social direct à son efficience, sa désagrégation organisée est le reflet d’une incompréhension avérée et inquiétante des Pouvoirs Publics sur les défis et priorités de notre système de santé en ce début de XXIème siècle.
Frédéric Bizard