Lettre ouverte au Président de la République
Le 21 août 2013
Monsieur le Président de la République,
« C’est pour la jeunesse de notre pays que je veux présider la France » avez-vous déclaré dans votre fameux discours du Bourget du 22 janvier 2012. Vous vouliez mobiliser toute la nation par rapport à un défi, « que les jeunes vivent mieux en 2017 qu’en 2012 ». Quatorze mois après les élections, il est difficile d’entrevoir ce qui va changer pour cette jeunesse, malgré plusieurs mesures conjoncturelles dont les emplois aidés.
Il faut dire que vous vous attaquez à un phénomène – l’exclusion croissante de notre jeunesse de la vie économique, sociale et politique – en marche depuis une trentaine d’années et dont tous les plans successifs ont échoué. Un jeune sur quatre de moins de 25 ans n’a pas d’emploi en 2013 et ceux qui en ont un sont en contrat précaire pour la plupart. La moyenne d’âge du premier contrat à durée indéterminé est aujourd’hui de 31 ans. Les jeunes représentent 22% des actifs mais 40% des chômeurs; notre marché du travail exclut en priorité les jeunes. La France possède plus de 1,9 millions de jeunes de moins de 30 ans, soit 17% de la tranche d’âge, qui sont ni en emploi, ni en éducation ni en formation. C’est la situation la pire parmi les pays de l’OCDE après celle de l’Espagne, la Grèce et l’Italie ! Parmi ces 1,9 millions de jeunes, 900 000 ne recherchent plus d’emploi et sont à la dérive. Enfin, le taux de pauvreté des jeunes augmente depuis le début des années 2000. Plus de la moitié des pauvres en France ont moins de trente ans ; 23% des 18-24 ans sont pauvres. Ce constat est de mieux en mieux connu mais vaut la peine d’être rappelé tant il est accablant; encore faut-il en comprendre les causes.
La France est un des derniers pays développés à ne pas avoir ajuster son modèle social aux nouvelles réalités économiques et sociales de notre temps. Nous en payons un peu tous le prix par des prélèvements obligatoires élevés notamment, mais les jeunes en payent le prix le plus élevé. Nous vivons avec un modèle social dont les principes fondateurs étaient de protéger la personne âgée de la misère, de baser la solidarité ainsi que le financement de la protection sociale sur les actifs. Le résultat a été atteint depuis plus de trente ans concernant la protection de la personne âgée, même s’il faut consolider le système, ce qui reste un enjeu politique, économique et social majeur.
Trente années de perdues pour réorienter la priorité de la protection sociale sur le nouveau maillon faible de la société française, le jeune adulte. Vous aviez à juste titre fait de ce diagnostic l’argument phare de votre campagne présidentielle. Le jeune adulte est la grande victime de l’inaction de vos prédécesseurs en matière de refondation de notre modèle social. IL n’a pas d’emploi stable et ne perçoit donc pas ou peu d’allocations chômage car il n’a pas assez cotisé. Il consomme peu de soins, peu de prestations familiales (les femmes ont aujourd’hui leur premier enfant a 30 ans). Les seules prestations sociales qu’il consomme sont des allocations de subsistance, souvent stigmatisantes et qui le mettent dans une position d’assistance dont il ne veut pas (près de 70% des jeunes éligibles au RSA activité n’en bénéficient pas). Si seule une refondation de notre modèle social redonnera la place prioritaire dévolue au jeune adulte en matière sociale dans la France de 2025, il est indispensable d’agir vite et fort sur cette classe d’âge.
Pour cela, la création d’un Fonds Universel du Jeune Adulte (FUJA) serait un moyen de concrétiser efficacement la mobilisation de la nation pour les jeunes. Ce fonds permettra à chaque jeune âgé de 18 à 29 ans de disposer d’un revenu minimum « citoyen » (RMC) (non basé sur le travail mais sur la citoyenneté), une sorte de droit de tirage individuel sur le fonds d’un maximum de 800 euros par mois. Le jeune aura une liberté totale d’utilisation de ce revenu: pour étudier, se loger, épargner, voyager, mener une activité associative non rémunéré, créer une entreprise, voyager, assouvir une passion artistique ou sportive… Le RMC remplacera toutes les allocations destinées au jeune adulte: RSA de base, RSA activité, PPE, ASS, APL, APRE…Les conditions d’éligibilité seront des conditions de citoyenneté ou de résidence (plus de dix ans en France), de comportement citoyen (pas de condamnation pénale), une bonne maîtrise de la lecture et de l’écriture et un engagement dans une association caritative, sportive, humanitaire, de quartier, politique ou autre. L’accès au RMC se ferait sans conditions de ressources (ce qui évitera l’effet stigmatisant, maximisera l’efficacité du dispositif et incitera à accepter un travail partiel, faiblement rémunéré pour augmenter ses revenus) et sans conditions de travail (ce qui n’obligera pas le jeune à accepter n’importe quel travail).
Les valeurs primordiales de ce RMC sont la valorisation de l’égalité des opportunités, de la liberté et de la dignité du jeune adulte. Le RMC rétablira l’égalité des chances pour étudier, pour développer les capacités de chacun (les fameuses capabilités d’Amartya Sen), pour aborder le marché du travail et la construction de sa vie d’adulte avec suffisamment de liberté et de sérénité financière. Il sortira notre politique sociale de la logique d’assistance, relancera l’ascenseur social en panne depuis des décennies et exprimera une nouvelle forme de solidarité avec une logique intergénérationnelle descendante. En permettant à plus de jeunes de mieux étudier, mieux se former et mieux s’insérer dans sur le marché du travail, le RMC dynamisera la croissance économique. Le FUJA sera financé à terme par la participation des bénéficiaires à partir de l’âge de 30 ans sous forme d’une contribution sur le revenu, dont le taux sera progressif avec le niveau de revenus (avec un seuil minimum de revenus) et limité à la somme réellement utilisée par chacun. Nous sommes dans une logique de responsabilisation et de solidarité ; je rends à la société ce qu’elle m’a donné pour réussir et je permets à la génération qui me succède de réussir également. Le lancement du FUJA nécessitera d’y dédier les sommes actuellement consacrées aux allocations qui seront substituées par le RMC et une contribution sur les droits de succession des Français les plus aisés. Cette dernière, sans incidence économique, sera une participation solidaire des plus aisés à un fonds destiner à laisser aux générations qui suivent une chance d’existence aussi bonne que la leur.
Monsieur le Président, les gouvernants d’après guerre ont créé la sécurité sociale pour protéger les plus anciens du risque de misère et de vie indécente ; créez le RMC du jeune adulte pour protéger les jeunes de ces mêmes risques et redonnez leur l’espérance et la foi en la nation. En 1945, une solidarité intergénérationnelle à dominante ascendante a été mise en place, source d’unité et de cohésion nationale. Rétablissez un certain équilibre dans cette solidarité intergénérationnelle, en créant aussi une solidarité descendante; c’est aussi un enjeu de cohésion nationale aujourd’hui. La création de ce fonds universel marquera le début d’une reconquête de notre jeunesse, dont l’exclusion sociale et économique n’est plus tenable. Elle sera la première pierre d’une refondation de notre modèle social centré sur une protection sociale universelle, active et autonome*.
C’est une décision risquée politiquement, tant l’électorat est dominée par les séniors mais c’est une raison supplémentaire pour rétablir un certain équilibre démocratique et faire entendre les intérêts de tous les citoyens. En 2050, notre pays comptera environ 75 millions d’habitants, soit 10 millions de plus qu’aujourd’hui. La quasi intégralité de ces 10 millions supplémentaires proviendra de la génération des plus de 60 ans (notre taux de fécondité permettant de seulement renouveler les générations de moins de 60 ans). Le risque politique ne fera donc que croître pour prendre une telle décision.
Vous avez déclaré qu’en 2017, votre objectif sera que l’histoire se rappelle de vos accomplissements concrets pour le pays. Créer le revenu minimum citoyen pour le jeune Adulte, qui redonnerait une place forte à notre jeunesse dans notre société, serait incontestablement un accomplissement historique!
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’assurance de ma plus haute considération.
Frédéric Bizard
* Sujet développé dans le rapport de l’Institut Thomas More, « Refonder le modèle social : Pourquoi ? Comment ? », Juillet 2013, rédigé par Frédéric Bizard