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Loi Santé : la Ministre comptable de sa politique !

Alors que l’examen en deuxième lecture à l’Assemblée Nationale du projet de loi santé Touraine devrait s’achever le 17 Novembre, une coalition hétéroclite de milliers de professionnels de santé s’apprêtent à la cessation totale d’activité vendredi 13, c’est le black Friday. Cette journée morte en santé va être historique dans les formes de contestation puisque des barrages autoroutiers vont être installés pour la première fois par des professionnels médicaux. La Ministre fait l’union contre elle, pas simplement en santé; elle est une des Ministres les plus impopulaires du gouvernement. Outre son caractère autoritaire et peu porté sur le compromis qu’elle n’est pas la seule à avoir, c’est bien son action politique depuis trois ans et demie qui risque d’être lourdement sanctionnée.

Une loi santé politicienne qui ne règle rien

La Ministre ne s’en cache pas, cette loi santé est une loi de gauche, dotée de marqueurs politiques dont le principal est le tiers payant généralisé. Sensée donné le sentiment que la santé est gratuite, cette mesure rassemble toutes les bonnes âmes. Peu importe que le tiers payant existe déjà pour les dix millions de Français les moins aisés et pour tout soin médical coûteux. Peu importe qu’on mène en même temps une politique de lutte contre les actes inutiles et de maîtrise de la dépense. Peu importe que le financement d’une telle mesure n’ait pas été pensé et que les 3 à 4 euros par acte de coûts administratifs mettront en péril des milliers de cabinets médicaux de médecins généralistes comme ils ont déjà mis en dépôt de bilan des dizaines de centres de santé qui le pratiquent déjà. Peu importe que sa mise en place technique à court terme soit probablement irréaliste avec nos quelques 700 opérateurs de financement, on attend toujours la première étude de faisabilité (prévue dans la loi pour octobre 2015). Peu importe enfin que ce soit un levier pour affaiblir l’indépendance professionnelle des médecins, c’est un effet collatéral recherché. Peu importe, tout esprit bien pensant se doit de soutenir la mesure!

Au-delà des marqueurs politiques, cette loi, en continuité avec celles de 2004 (Douste-Blazy) et 2009 (Bachelot) sur ce point, transfère le pouvoir de gestion des offreurs de soins de l’assurance maladie vers l’administration de l’Etat. C’est l’objet d’une partie de la loi intitulée « faciliter au quotidien les parcours de santé ». On pourrait s’attendre à une initiative autour de la coordination des parcours de soins des patients chroniques, pas du tout. D’ailleurs, il faut se méfier des titres dans cette loi, le premier titre est cocasse : « rassembler les acteurs de santé autour d’une stratégie partagée », sans parler du nom de la loi, « modernisation de notre système de santé » ! Le parcours de santé contient une création sui generis par la haute administration d’un objet technocratique non identifiable, les communautés professionnelles territoriales de santé. Personne ne sait ce que c’est mais l’objectif est clair, permettre aux agences régionales de santé (satellites de l’Etat) de contrôler le projet médical des médecins de ville, comme elle contrôle celui des hôpitaux. Plus c’est flou, plus c’est difficile à critiquer. Après être accusé d’être sans âme pour le tiers payant, on ne voudrait pas non plus passer pour des idiots. Tant pis !

L’Etat accroit son emprise tout en privatisant la gestion du risque

Si nous avons déjà prédit sur ce site que cette loi était la chronique d’un échec annoncé, nous confirmons ici que cette politique échouera. Si on considère l’ensemble de la politique menée par la Ministre depuis trois et demie, son action va dans une direction absolument contraire aux valeurs de notre système de santé – liberté, égalité, solidarité – qui sont d’ailleurs les valeurs de la République.

La loi vient parachever une série de mesures qui transfert le pouvoir de gestion du risque de l’assurance maladie vers les organismes complémentaires d’assurance maladie (OCAM).

La mesure phare a été la loi Le Roux de 2013, qui autorise les mutuelles à mettre en place des réseaux de soins conventionnés donnant la possibilité de pratiquer un remboursement différencié en fonction de l’appartenance ou non du professionnel de santé à un réseau (et donc à son engagement de respecter un protocole et un prix). Selon les fondements mutualistes solidaires, repris par l’assurance maladie en 1945, le principe d’égalité des assurés face aux soins est (était) garanti. La suppression de ce verrou solidaire a été suivie en 2014 par un plafonnement des remboursements des contrats responsables. Celui-ci induit qu’un assuré ne pourra pas être remboursé correctement d’une consultation médicale pratiqué au prix moyen pratiqué dans l’OCDE (57 euros pour un généraliste et 88 pour un spécialiste). Dotés d’aucune compétence médicale et soumis à aucune régulation spécialisée, les OCAM sont devenus avec l’aval des pouvoirs publics les nouveaux garants de l’organisation des soins en France. « Faites confiance aux complémentaires pour maîtriser les dépenses de santé », affirmait récemment un dirigeant du secteur*. Comment?

La loi Touraine leur donne accès à la ressource clé, l’information, la donnée médicale qui se trouve dans les coffres de l’assurance maladie. Du big data, il n’y a qu’un pas vers l’open data, qui est franchi avec cette loi, mais sans les garde-fous nécessaires pour éviter les dérives. Il ne reste plus qu’à utiliser cette donnée pour ajuster les primes des contrats au risque d’un groupe d’abord, puis d’un individu ensuite. Mieux je maîtrise le risque, plus je gagne de l’argent, c’est le principe de l’assurance. Les assureurs américains en santé, dont le leader pèse 120 milliards de dollars en bourse, en savent quelque chose. On sait aussi que cette évolution est au global très inflationniste pour les dépenses de santé, comme le démontre les USA (avec des dépenses de santé plus du double que la moyenne de l’OCDE). Notre marché des OCAM était historiquement dominé par les mutuelles, à vocation solidaire et conçues pour partager le risque et non le sélectionner. Tout cela n’est que du passé pour la Mutualité française, qui laisse les quelques 200 petites mutuelles portées le flambeau de l’esprit mutualiste pour se consacrer à des tâches bien plus lucratives. Avec des réserves de plus de 25 milliards d’euros et un rendement du secteur de près de 3% de marge nette, on rentre dans le vrai business. Faites-nous donc confiance!

« Ce n’est pas la révolte en elle-même qui est noble mais ce qu’elle exige »  disait Camus.

La révolte des médecins et autres professionnels de santé devrait être analysée avec une perspective politique tant ce qu’elle exige est largement partagée dans la population. Jusqu’où le Président veut-il descendre dans les abimes électoraux, pour porter le fardeau de la politique de sa ministre, est une question dont lui seul à la réponse!

Frédéric Bizard

* Interview de Guillaume Sarkozy, Président de Malakoff Médéric, dans l’Opinion, 7 Juillet 2014- Ici

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