Nous écrivions fin 2014 (ici) que la contestation de la loi santé était « une occasion historique de tourner la page de vingt ans d’erreur et d’errance politique en matière de politique de santé ». « Le projet de loi, s’il était voté, marquerait probablement un point de non retour dans le virage étatiste », ajoutions-nous. Trois mois plus tard, sauver la loi santé dont on ne connaît pas la dernière version du texte à une semaine de son examen au parlement ressemble plutôt à une opération de sauvetage du soldat Touraine (pour la deuxième fois depuis 2012*).
En tout état de cause, l’analyse de cet échec prévisible est utile pour l’avenir de notre système de santé.
La Ministre et le complexe de Marie-Antoinette
La méthodologie de la Ministre pour mener à bien son projet de loi a été largement critiquée. Présenter un projet de loi en Conseil des Ministres puis en Conseil d’Etat avant d’engager un simulacre de négociation avec les parties prenantes sous la pression démontre en effet une faible propension au dialogue. Son attitude arrogante envers le bon peuple, qui a fait dire à un journaliste qu’elle souffrait du complexe de Marie-Antoinette, et son incompréhension manifeste du monde médical ne sont pas non plus des atouts pour engager une négociation sur la transformation du système de santé. Ceci s’est traduit par la montée en puissance d’une contestation hétérogène et divisée en une union homogène et unitaire contre la loi.
La manifestation du 15 mars 2015 va probablement prendre la Ministre comme cible et faire de son départ de l’Avenue de Ségur un objectif prioritaire. L’échec de cette loi serait en effet aussi largement le sien mais l’essentiel est probablement ailleurs et l’essentiel ne serait pas réglé avec son départ.
Une remise en cause des libertés individuelles au nom du service public
Ce texte traduit la persistance dans l’erreur de la haute fonction publique et de la classe politique depuis les ordonnances Juppé de vouloir étatiser le système et le conduire vers un modèle de service public national à l’anglaise. La tradition utilitariste anglaise considère que l’essentiel n’est pas dans la liberté d’accomplir mais dans les résultats accomplis. Les prescriptions utilitaristes se trouvent souvent en conflit avec les exigences de liberté individuelle. Nous nous trouvons exactement dans ce scénario de conflit entre la sauvegarde des libertés individuelles et l’installation d’un système étatiste de nature paternaliste pour organiser notre système de santé. L’objectif est de conduire les individus à des résultats qui maximisent l’utilité, au lieu de les laisser avec davantage de liberté.
L’inspiration utilitariste qui sous-tend ce projet de loi est en contradiction avec une approche qui fait de la liberté individuelle une éthique et une responsabilité sociale. La réduction des libertés engendrée par le projet de loi creusera inévitablement des inégalités entre assurés et entre professionnels de santé.
Ce choix n’étant pas assumé politiquement (au pays des Lumières c’est un peu difficile), les ministres de la santé successifs défendent des projets de loi dont la logique est l’inverse des discours rassurants qu’ils tentent de tenir pour les acteurs du système. Nul ne peut nier que le tiers payant généralisé s’inscrit entre autres dans la logique de l’installation des réseaux de soins conventionnés par les organismes d’assurance, véritables poisons liberticides et inégalitaires. C’est la raison du fort soutien de la mutualité française pour cette mesure, qui a déjà annoncé dans une dépêche AFP que cela préparait l’extension des réseaux aux médecins. Il est tout aussi évident que renforcer le pouvoir des agences régionales de santé a pour ambition de restreindre l’indépendance professionnelle des médecins libéraux. Le groupe UDI, a déjà anticipé cet état de fait en déposant une proposition de loi avec un numerus clausus pour l’installation des médecins généralistes. La question n’est donc pas liée à la majorité politique mais est bien de nature stratégique. Quel système de santé voulons nous pour le XXIème siècle? L’Etat français, avec la haute fonction publique aux commandes et les politiques de tout bord en copilote sur la santé, veut imposer un système public national de santé, selon le modèle type de santé anglais. Les professionnels de santé n’en veulent pas; la question n’a jamais été posée aux Français puisque la santé est absent des débats politiques et des campagnes présidentielles depuis au moins 30 ans.
Un bric-à-brac de mesures technocratiques sans relation avec « la nature des choses »
Le projet de loi est une compilation de mesures proposées dans une multitude de rapports (Cordier, Couty, Devictor…) commandités sur différentes composantes du système de santé. On a travaillé comme si chaque composante du système de santé (professionnels de santé, assurance maladie, établissements de soins…) n’interagissait pas étroitement entre eux. Le service territorial de santé en est un exemple : on confère des pouvoirs d’organisation des soins de ville aux agences d’Etat tout en laissant croire que le système conventionnel entre l’Assurance maladie et les médecins perdurera. Dans l’Esprit des lois, Montesquieu estime que « les lois …, sont les rapports qui dérivent de la nature des choses ». Une loi n’est pas un texte qui devient loi de la simple volonté du législateur mais par la relation qu’elle entretient avec « la nature des choses ». Le projet de loi de santé est en contradiction avec « la nature des choses » de notre système de santé, ce qui devrait le condamner à l’échec dans toute démocratie.
D’ailleurs, le virage étatiste de notre système de santé correspond à un véritable déni démocratique. Il suffit de voir tous les efforts de la Ministre pour ne participer à aucun vrai débat contradictoire et pour exclure soigneusement de tout événement officiel des intervenants critiques sur l’étatisation du système.
Avec l’échec prévisible de cette loi, on entend déjà les partisans de cette évolution étatiste, les papous de Michel Onfray, gémir de notre incapacité à réformer la France, du conservatisme des opposants à la loi. Les Français sont probablement mûrs pour le changement en matière de santé comme dans bien d’autres domaines, encore faut-il qu’il soit dans la bonne direction comme dirait Winston Churchill. Si le gouvernement passait en force sur une telle loi, nous serions face à ce que Montesquieu appelait « un acte de puissance » d’un législateur devenu « despote » ! A bon entendeur…
Frédéric Bizard
* Voir ici pour le premier sauvetage du soldat Touraine