L’évènement n’est pas anodin, la dernière obligation vaccinale instaurée et toujours en cours remonte à 1964 (celle de la poliomyélite). Plus d’un demi-siècle plus tard, le Premier Ministre a confirmé le 4 Juillet l’extension de l’obligation vaccinale à 11 souches dès 2018. Si l’objectif de renforcer la couverture vaccinale est légitime, la voie choisie est plutôt régressive sur le plan démocratique et contestable en termes de santé publique.
La santé publique n’est pas le vrai motif de la décision
La situation actuelle de la couverture vaccinale n’est pas aussi alarmante que ce que le gouvernement laisse entendre. Contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite (DTP), dont la vaccination est obligatoire, le taux de couverture chez les nourrissons dépasse le seuil de 95% fixé par l’Organisation Mondiale de la santé pour empêcher la transmission des maladies. Pour les huit autres maladies dont la vaccination est simplement recommandée (rougeole, rubéole, oreillons, méningite, hépatite B, pneumocoque, Haemophilus influenzae b, coqueluche), la situation est critique pour deux d’entre elles.
La rougeole a une couverture vaccinale qui stagne à 90% et celle du méningocoque C est à 70% chez les nourrissons et 25% chez les adolescents. Une épidémie de rougeole entre 2008 et 2012 a tué 10 personnes (dont 7 n’étaient pas vaccinées pour raisons médicales) et des cas de méningite entre 2014 et 2016 ont tué 15 personnes qui auraient dû être vaccinées. Face à cette mortalité évitable, les Pouvoirs Publics invoquent l’imparable argument de la sécurité pour justifier l’obligation vaccinale. En réalité, deux autres raisons poussent le gouvernement sur cette voie.
D’abord, une décision du Conseil d’État de février 2017 a donné six mois à l’État pour mettre fin à l’obligation implicite faite aux familles de vacciner leurs enfants pour six souches (DTP + hépatite B + coqueluche + Haemophilus) et non trois comme la loi l’impose. Le retrait en 2008 du vaccin DTP du fait d’effets secondaires a laissé sur le marché un vaccin hexavalent, ce que n’a pas cessé de dénoncer la minorité très bruyante des antivaccins, jusqu’à le dénoncer devant la plus haute juridiction administrative. C’est leur victoire judiciaire qui impose au gouvernement d’agir. En transmettant les clefs de son ministère, Touraine indiquait « avoir préparé un texte de loi prévoyant l’extension de l’obligation vaccinale ».
Ensuite, la baisse de confiance des Français dans l’intérêt et la sécurité des vaccins incite à l’obligation. Une enquête internationale de 2016 a révélé que 41% de nos concitoyens manifestaient de sérieux doutes sur les vaccins, niveau quatre fois plus élevé que la moyenne mondiale. 62% des Français avaient une opinion favorable en 2015 sur les vaccins contre 90% en 2005. Si l’activisme efficace des antivaccins est souvent mis en avant comme explication, c’est en réalité l’absence de politique de santé publique structurée et l’absence de vision des dirigeants politiques du secteur qui expliquent cette évolution. Comme pour la prévention sanitaire en général, la vaccination pâtit d’une stratégie nationale de santé historiquement et encore aujourd’hui construite sur le curatif (gestion post-risque), qu’aucun politique ne remet sérieusement en cause autre que par des initiatives isolées et inefficaces (cas du paquet neutre entre autres). L’extension de l’obligation vaccinale est avant tout le résultat de l’ échec national en santé publique de ces 30 dernières années.
Le choix du régalien plutôt que de la coproduction sociale de la sécurité sanitaire
De multiples arguments fallacieux fourmillent sur les réseaux sociaux pour dénoncer l’extension de l’obligation : risque de choc immunitaire pour les bébés, excès de piqures, cadeau à l’industrie, coûts pour la collectivité… Plus de 70% des enfants sont déjà vaccinés contre les 11 maladies concernées sans que cela leur pose de problèmes, le surcoût d’environ 30 millions d’euros est très coût efficace et coût utile, les gains pour des laboratoires internationaux sont infimes en regard d’un marché mondial des vaccins de plus de 35 milliards d’euros et qui va doubler d’ici à 2025. Le problème est ailleurs.
L’extension de l’obligation va probablement faire remonter la couverture vaccinale vers le seuil cible des 95% lorsque ce n’est pas déjà le cas. Si la conscience collective en santé publique ne progresse pas et la place de la santé publique n’est pas renforcée, la victoire sera de courte durée. L’obligation généralisée préfigure que tous les autres moyens d’action en matière d’éducation et d’incitation ont été épuisés, ce qui est loin d’être le cas. Plutôt que d’agir en dynamisant l’éducation à la santé, en sensibilisant les citoyens sur la gestion de leur capital santé, en convainquant sur les enjeux collectifs et individuels, le gouvernement cède à la facilité de la coercition.
Ce choix néglige une fois de plus (après la grippe H1N1 notamment) le rôle pivot des professionnels de santé en santé publique. Ce ne sont pas les agences régionales de santé qui doivent incarner et porter la santé publique mais les professionnels de santé. Une solution bien meilleure serait de rendre obligatoire une consultation médicale dédiée à la vaccination avant l’inscription de son enfant à l’école (sous peine d’une amende), comme c’est le cas en Allemagne entre autres. Pas d’obligation de vacciner son enfant mais une démarche pédagogique de conviction menée par le médecin.
Le débat ne se limite pas au choix cornélien entre sécurité (sanitaire) et liberté (thérapeutique). Certes, la liberté thérapeutique de chacun s’arrête là où la menace sur la sécurité sanitaire d’autrui commence. Mais l’idée, fortement ancrée depuis Le Léviathan de Thomas Hobbes, que la sécurité est avant tout l’affaire de l’État est à repenser. Dans le nouveau monde, la sécurité doit faire l’objet d’une coproduction sociale impliquant tous les acteurs concernés de la société civile, une fonction commune et partagée. La sécurité sanitaire n’est pas plus l’exclusivité du Ministère de la Santé que la sécurité publique celle du Ministère de l’Intérieur
Nous avons un capital santé, que chaque individu à un devoir de faire fructifier, ce qui inscrit le besoin de sécurité dans les corps. La sécurité est un besoin fondamental au point qu’elle justifierait toute décision politique, les responsables n’ont plus qu’à s’en prévaloir pour agir. Sa fonction de légitimation des politiques publiques en santé comme ailleurs est une réduction du débat démocratique au nom de cet impératif de sécurité plutôt préoccupante et socialement régressive.
L’extension de l’obligation vaccinale par un État gestionnaire du court terme est justifiée pour des raisons techniques principalement et signe un échec de notre santé publique. Elle ne rétablira pas la confiance dans les vaccins et ne renforcera pas le fonctionnement de notre santé publique.
Frédéric Bizard