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L’implosion du financement de la santé est-elle en marche en France en 2024 ?

Publié dans Le Monde le 8-01-2024

 

Les cotisations des assurances complémentaires santé augmenteront en moyenne de 8,1 % en 2024, selon une enquête réalisée par la Mutualité française. Soit un prélèvement supplémentaire de 3,3 milliards d’euros dans le portefeuille des assurés.

Autant dire que le financement de nos complémentaires santé risque d’être problématique cette année, en particulier pour des millions de retraités de la classe moyenne.

Sur le court terme, le gouvernement dispose d’un levier pour stopper cette spirale inflationniste, en réformant les contrats appelés, plutôt à tort !, « responsables et solidaires », clés de voute de la régulation du secteur. Mais à moyen terme, il faudra vraisemblablement agir sur la répartition des rôles entre assurances publiques et privées pour rendre le financement de la santé efficient et soutenable.

 

Une spécificité française à bout de souffle

La quasi-totalité des pays développés dispose d’un système de financement public national, financé soit par une assurance sociale (type sécurité sociale), soit par l’État (type National Health Service, au Royaume-Uni). S’y ajoute un système d’assurance privée, en supplément et non en complément.

Sauf en France, où les assureurs privés ont un rôle d’opérateur complémentaire et non supplémentaire. Ce choix a été contraint plutôt que choisi, du fait de la place prééminente des mutuelles avant l’instauration en 1945 de la Sécurité sociale. La France s’obstine ainsi à tenter un mimétisme entre deux systèmes dont les logiques économiques et sociales sont pourtant opposées, ce qui ne peut conduire qu’à l’échec actuel.

Le financement privé est en effet régressif, car il n’est pas lié aux revenus : plus le système s’étend, plus il pénalise les classes moyennes. Les complémentaires santé remboursent 30 milliards d’euros sur les 50 milliards de dépenses non remboursées par la sécu, faisant certes de la France le pays où le reste à charge final pour les ménages (7,2 % des dépenses totales, selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) est moitié moindre que, par exemple, la moyenne de l’OCDE (un peu moins de 15 %).

Mais l’objectif final est-il d’atteindre cette performance financière, ou bien d’assurer une couverture de qualité des risques de santé à moindre coût, en particulier pour la classe moyenne ? Et là, la France est très mal placée.

 

Des contrats ni responsables ni solidaires

En effet, la principale obligation des contrats dits « responsables et solidaires », instaurés par la loi du 13 août 2004 et qui représentent à eux seuls 96 % des contrats privés en santé, est le remboursement des tickets modérateurs. Or, ce marché de 21 Mrds€, selon les comptes nationaux de santé 2022, est sans véritable valeur assurantielle pour l’assuré. Car l’essentiel des risques se trouve sur les autres composantes du reste à charge, fort peu couvertes.

Les tickets modérateurs sont des milliards d’unités de transactions de quelques centimes d’euros ou quelques euros, dont la valeur est encadrée par le législateur pour ne pas conduire à un risque financier. L’existence de ces tickets modérateurs, souvent à la charge du patient avant 2004, fut au cœur du pacte social de 1945.

La loi de 2004 a fait prendre un virage vers une santé pseudo gratuite et le fameux « zéro reste à charge », aubaine pour les assurances complémentaires, creuset de démagogie politique et cadeau empoisonné pour les assurés. La seule santé solidaire sans reste à charge est désormais le bouclier du 100 % remboursement par la sécu, restreint à des cas bien précis : affections longue durée, personnes à bas revenus).

Le contrat type 2004 a cassé l’esprit de responsabilisation des assurés, indispensable à l’équilibre économique général. Il a contaminé les esprits en laissant penser que la santé était gratuite en France, comme en Grande-Bretagne. La loi de 2013, qui a rendu obligatoire la complémentaire santé pour tous les salariés, et celle de 2019 qui a institutionnalisé le « zéro reste à charge », s’inscrivent dans la ligne de 2004.

Rien d’étonnant donc à ce que le système implose en 2024. L’État prône des réformes dites sociales avec un système sans logique sociale, dont l’extension affaiblit l’assureur public et obère le pouvoir d’achat de la classe moyenne. La classe moyenne des retraités dispose de contrats individuels centrés sur les tickets modérateurs, faiblement protecteurs. Ils sont les vaches à lait des complémentaires santé.

 

Pour des contrats protecteurs pour la classe moyenne

Pour mieux protéger les classes moyennes à moindre coût, une solution simple et rapide serait de diversifier les contrats proposés par les complémentaires. Le contrat type de 2004 restant le contrat standard dont la commercialisation serait obligatoire pour chaque assureur afin de servir d’étalon de référence pour la comparaison des prix entre tous les assureurs.

Si les assurés estiment que ce contrat est vraiment le plus protecteur pour eux, ils y souscriront, sans quoi ils auront, sans pénalité, d’autres choix de contrats, intégrant ou pas les tickets modérateurs, générant un niveau variable de protection sur les dépassements et les dépenses non présentées au remboursement de la sécu. La taxation des contrats serait identique pour tous les contrats, pour éviter toute distorsion fiscale.

Ce système à la carte baisserait nettement les primes des assurés, tout en les protégeant mieux. Mais c’est un système dont ne veulent pas les principaux opérateurs, tant il remettrait en cause leur rente et les obligerait à devenir innovant et efficient.

Cette réforme du contrat de 2004 ne supprimerait certes pas les défaillances liées à la cohabitation d’un système public et privé sur une même prestation.

La France n’étant pas une île exempte des mécanismes économiques et sociaux, elle devra, si elle veut faire cohabiter les deux financements publics et privés, dissocier leurs missions et donc les paniers de soins couverts par chaque acteur, comme le font les autres pays.

Malheureusement, la dépendance marquée du pouvoir politique de ces deux dernières décennies au lobby des assureurs rend peu probable ce type de réforme.

Il va falloir pourtant expliquer à la classe moyenne que ses difficultés à financer sa santé en 2024 est avant tout le résultat de l’entre soi du système.

 

Publié dans Le Monde le 8-01-2024

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