Site icon Frédéric Bizard

Les dérives inquiétantes des centres de santé « associatifs » !

Face à la désertification médicale d’un nombre croissant de territoires depuis plus d’une décennie, les gouvernements successifs ont fait du développement des centres de santé un objectif politique prioritaire. Conçus comme des structures d’exercice regroupé de premiers recours, devant améliorer l’accès aux soins dans des zones désertifiées, ces centres de santé apparaissent en théorie comme une réponse utile à cette désertification. En pratique, la politique du chiffre menée ces dernières années a nettement éloigné ces structures de leurs missions originelles et conduit à de sérieuses dérives, en particulier pour les centres de santé dentaires associatifs.

Une politique du chiffre avant tout

Pour faciliter le développement des centres de santé, les pouvoirs publics ont nettement alléger les procédures et les contrôles. La loi de 2009 a ainsi supprimé l’agrément de l’agence régionale de santé qui garantissait que le centre fonctionnait selon des conditions conformes à des prescriptions techniques correspondant à leur activité. Plus besoin de visite de conformité, un centre de santé s’ouvre sur simple envoi à l’Agence Régionale de Santé d’un projet de santé dont la bonne exécution ne sera quasiment jamais contrôlée sauf en cas de plaintes graves de patients.

A  fin 2018, on comptait en France 2140 centres de santé, avec une hausse de 10% la dernière année. Parmi ces centres, près de 50% sont des centres dentaires, un quart sont des centres infirmiers et seulement 7% sont des centres médicaux. Avec les trois quarts de ces centres de santé à exercice mono professionnel (dentaire ou infirmier), on est loin de l’objectif d’un exercice de groupe coordonné pluri-professionnel.

On est aussi loin d’une réponse efficace à la désertification médicale, les ouvertures des nouveaux centres se font essentiellement en zone urbaine, un sur deux en Ile de France et moins d’un quart dans des zones dites prioritaires. Quant aux missions de service public sensées y être réalisées, elles sont plutôt faibles et en tout cas bien inférieures à celles des cabinets libéraux. Seuls 40% des centres de santé participent à la permanence des soins, celle-ci se faisant avant tout avec du personnel paramédical. Les centres dentaires associatifs sont pour la plupart spécialisés sur la prothèse et l’implantologie, certains ne soignent même pas les enfants de moins de 15 ans.

Nous sommes bien dans un dévoiement important du concept originel de centre de santé.

 

Un essor massif de dérives nuisibles pour les patients et la collectivité

 Les centres de santé historiques issus de l’assurance maladie, de collectivités locales et du monde mutualiste, ont une réelle utilité sociale. En revanche, les centres de santé dentaires associatifs qui se multiplient ces derniers temps apparaissent hors de contrôle des autorités et fonctionnent sur une pure logique de marchandisation de la santé.

Quasiment 100% des créations récentes de centres dentaires sont portées par des associations, type loi 1901. Loin d’initiatives philanthropiques à but non lucratif, des objectifs commerciaux sont fixés à du personnel soignant uniquement salarié, pour la plupart doté de diplôme étranger. Ces effectifs sont mal identifiés par l’Ordre tant leur rotation y est rapide. Le statut associatif de la loi 1901 est ainsi une tromperie et n’est là que pour garantir qu’aucune publication de comptes financiers ne puisse être exigée par les Pouvoirs Publics.

Outre les dérives financières, aucun contrôle de la qualité de l’exercice médical existant pour tout autre professionnel de santé ne s’applique aux professionnels de ces centres de santé. Les multiples entraves constatées par rapport au code de déontologie dentaire, comme l’usage de pratiques purement commerciales, ne peuvent être sanctionnées par le conseil de l’Ordre. Le personnel soignant salarié se retranche derrière la personne morale associative, non sanctionnable par ce même conseil de l’ordre. Même l’inspection confraternelle que subit tout professionnel libéral ne s’applique pas au personnel médical de centres de santé.

Ces centres de santé associatifs sont appelés à tort des centres low-cost car ils génèrent une surconsommation de soins. Des données provenant d’Ile de France font état d’une sur-dépense d’un dentiste salarié de centre associatif de plus de 40% par rapport à un dentiste libéral et un nombre de doléances patients en moyenne 6 fois plus nombreuses pour les premiers !

 

Il est urgent d’agir

Ces dérives sont connues des Pouvoirs Publics. Suite au scandale Dentexia de 2015 qui avait vu plusieurs milliers de patients mutilés dans des centres de soins associatifs, une mission de l’inspection générale de l’affaire sociale (IGAS) avait émis une série de recommandations. Cela a donné lieu à une ordonnance le 12 janvier 2018, dont les rédacteurs se sont avant tout assurés de ne surtout pas freiner l’essor de ces centres.

Dans l’intérêt du bien commun mais aussi dans celui de la survie du concept originel de centre de santé, il est indispensable d’agir avec des actions fortes et simples à appliquer.

D’abord, les Conseils de l’Ordre concernés devraient tirer la sonnette d’alarme sur ces dérives et leur incapacité actuelle à y répondre efficacement. Il faut faire évoluer la législation pour leur permettre de garantir le respect du code de déontologie par ces centres dentaires associatifs.

Ensuite, il faut rétablir l’obligation d’agrément, la visite de conformité par les autorités sanitaires avant toute ouverture d’un centre de santé  et sanctionner ceux qui refusent l’envoi du rapport d’activité annuel.

La publication de comptes annuels certifiés de tous les centres de santé s’impose. La souscription d’une assurance de risque civile professionnelle devrait être obligatoire pour protéger les patients en cas de faute médicale. Enfin, seul un professionnel de santé inscrit à l’ordre devrait pouvoir diriger un centre de santé.

Dans le contexte actuel de perte de confiance des Français dans l’avenir de notre système de santé – 75% pensent que le système va se dégrader en 2020 selon un sondage Odoxa de décembre 2019 -, la stratégie du laissez-faire face à des dérives connues qui risquent de conduire vers un scandale sanitaire supplémentaire et vers l’aggravation des inégalités sociales de santé serait irresponsable !

 

Frédéric Bizard

 

Cette tribune est parue dans Les Echos le 6 janvier 2020

Quitter la version mobile