Si la gauche revenait au pouvoir en mai 2012, elle pourrait bien retrouver un dossier qu’elle a contribué à rendre explosif avec la loi des 35h et que la droite n’a pas réussi à traiter correctement, la gestion de la fonction publique hospitalière.
Le gouvernement vient d’annoncer la signature d’un accord-cadre le 23 janvier 2012 avec les syndicats de médecins hospitaliers sur le règlement des RTT cumulées par 52% des 92 000 médecins hospitaliers concernés suite au passage aux 35heures le 1er janvier 2002, pour un coût estimé à 913 millions €. Trois options s’offrent aux médecins pour apurer ces 2 millions de RTT, 50h en moyenne par médecin : se les faire payer 300€ par jour dans la limite de 80 jours (soit en moyenne 12 000€ et 24 000€ au maximum par médecin) ; prendre des jours de congés ou les convertir en points retraite selon des modalités à définir.
Après analyse de la situation et des réactions suite à cet accord, on ne peut qu’en conclure qu’il ne règle pas grand-chose sur la question des RTT à l’hôpital, rien quant à l’épineuse question de la gestion du personnel à l’hôpital et rien quant à la situation financière des hôpitaux qui se dégrade.
Ces deux millions de RTT des médecins hospitaliers ne représentent qu’une partie des jours de RTT du personnel hospitalier, puisque que 16% du personnel non médical (infirmières, secrétaires, techniciens…) ont épargné en moyenne 23 jours pour un coût total de 550 millions. Les infirmières ont vivement réagi au fait de ne pas avoir le même traitement de faveur que les médecins. Cet accord-cadre prévoit de ne stocker que 20 jours de RTT par an, dans la limite de 208 au lieu de 30 dans la limite de 300 jusqu’ici. Par contre, ces jours auront une duré de vie illimitée. Il est donc certain que le même problème va se poser dans quelques années, de façon plus dramatique encore quand on observe la pénurie annoncée de personnel hospitalier due aux départs en retraire massifs en cours.
La gestion du personnel hospitalier est stratégique pour l’avenir de l’hôpital public. Les 900 000 salariés des 1150 hôpitaux publics représentaient 66% des dépenses hospitalières en 2006 (36 milliards € sur 54 milliards €). L’hôpital est confronté à une vague de départ massive à la retraite de son personnel. La moyenne d’âge des praticiens hospitaliers est de 57-58 ans ; entre 1999 et 2015, il est prévu 385 000 départs en retraite soit 55% des effectifs de 1999. 2012 verra 29 000 agents prendre leur retraite soit une augmentation de 125% par rapport à 1999. Si ce choc démographique sans précédent peut être une opportunité pour engager une réflexion sur la gestion prévisionnelle des carrières, il n’en demeure pas moins une menace à court terme pour garantir la permanence des soins dans des conditions acceptables pour le personnel comme pour les patients. L’accord cadre sur les 35h ne modifie en rien l’application ubuesque de la réduction du temps de travail à l’hôpital. Revenons un peu en arrière. En octobre 2001, alors que les syndicats de médecins s’attendaient à disposer de 5 à 10 jours de RTT, la Ministre du Travail, Elizabeth Guigou leur en propose 20. « C’était trop beau pour être vrai » se rappelle François Aubart, le Président de la coordination médicale hospitalière. En intégrant la pause déjeuner dans leur temps de travail, les 66 000 agents des hôpitaux de Paris vont de facto passer de 39h à 32h30 par semaine. Pourquoi une telle générosité ? « Nous étions tétanisés à l’idée de voir les hôpitaux de Paris faire grève et contaminés les 800 000 salariés du secteur » se souvient un conseiller ministériel de l’époque. L’application des 35h à l’hôpital a donc été le cadeau empoisonné du gouvernement Jospin aux hôpitaux en fin de mandature. Les résultats des élections de 2002 ont montré l’impact de ce type de cadeau sur les choix de vote à l’élection présidentielle ! Réformer la gestion du temps de travail dans la fonction hospitalière publique est un chantier brulant auquel la droite n’a pas encore eu le courage de s’atteler. Les vrais défenseurs de l’hôpital public devraient soutenir la nécessité d’agir vite dans ce domaine tant l’hôpital est menacé économiquement.
D’après la cour des comptes, les hôpitaux publics ont essuyé des déficits en 2006 de 736 millions € en 2006 et de 673 millions € en 2009. Grâce aux excédents de certains établissements, le total des déficits est de 409 M€ en 2006 et de 448 M€ en 2010. Plus que la somme globale des déficits, il est intéressant d’analyser la répartition de ces déficits. Le déficit cumulé de 28 CHU-CHR déficitaires (dont l’APHP) représente 60% du déficit total en 2010. La dégradation des résultats des hôpitaux a entraîné une montée en flèche de l’endettement. Le crédit est désormais prépondérant dans les ressources stables des hôpitaux, il en représente quelquefois 100% des ressources. 10% des centres hospitaliers importants ont ¾ de leurs ressources constituées avec du crédit. Selon le président de la fédération hospitalière de France, Frédéric Valletoux, 70% des hôpitaux publics (soit 800 établissements sur 1150) ont des difficultés actuellement pour touver des liquidités. En décembre dernier, le ministère a dû intervenir pour que les banques avancent l’argent pour payer les agents d’un hôpital des Antilles. Sur les 1,46 milliards € que coûtent les 35h à l’hôpital, il reste à financer 700 millions €, qui vont venir encore dégrader les comptes des hôpitaux. A fin 2010, le montant des dettes des hôpitaux est de 24 milliards € soit plus d’un tiers du budget hospitalier annuel.
Dans le contexte de crise des dettes souveraines actuelles, l’inaction en matière de réforme de la gestion hospitalière est suicidaire pour ces établissements et l’avenir de l’hôpital public. Après l’erreur des 35h de la gauche en 2001, la droite a ajouté sa pierre à l’édifice de la nuisance avec la Tarification à l’activité à 100% et la convergence des tarifs annoncée pour 2018. Il est urgent de remettre à plat le temps de travail des 35h et le mode de financement des hôpitaux.
Frédéric Bizard