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Depuis 30 ans, la France multiplie les plans de colmatage de son modèle social, que ce soit pour la santé, les retraites, la famille ou le chômage. Elaboré en 1945, notre modèle social s’est transformé en contre-modèle, ruinant jusqu’à l’idée même du progrès et incapable de prendre les décisions d’ajustement du système. Par crainte d’en payer le prix politique et par absence d’un projet alternatif crédible, aucun gouvernement ne s’est véritablement attelé à le remettre en cause. Pourtant, l’état très détérioré de la France sur le plan économique et social place sa refondation en priorité nationale. Un rapport* publié début juillet par l’Institut Thomas More, dont je suis l’auteur, élabore une feuille de route pour cette refondation.
Notre modèle social connaît une crise d’efficacité, de légitimité et financière. Si une donnée suffisait à servir de baromètre du bien-être social, ce serait celle du chômage. Non pas seulement parce que le chômage est un risque social en soi mais aussi parce qu’il est la source de nombreux autres risques sociaux tels que l’exclusion, la violence, la maladie ou la précarité. La France est engagée dans un cercle vicieux de défiance dont les coûts économiques et sociaux sont très élevés. Depuis plus de 20 ans, les enquêtes menées dans les pays développés révèlent qu’en France plus qu’ailleurs, on se méfie de ses concitoyens, des syndicats, des pouvoirs publics, des politiques, des institutions et du marché. Nos dépenses publiques sociales représentent 32% de notre PIB contre 22% en moyenne dans l’OCDE et sont financées à crédit depuis 20 ans, portant notre dette publique à plus 90% du PIB en 2012 (contre 20% en 1980). La France dépense ainsi 200 milliards € de plus en dépenses sociales que la moyenne des autres pays de l’OCDE.
Le monde a changé, notre protection sociale doit s’adapter aux nouveaux enjeux.La structuration du risque aujourd’hui est différente de celle de 1945 puisqu’on est passé de risques sociaux courts à des risques sociaux longs (chômage, maladies, retraites). La gestion de ces derniers exige une transformation profonde de notre système social et une évolution de la gestion du modèle par l’offre sociale – consistant à fournir sur un temps court une compensation de revenus – vers une gestion par la demande sociale, nécessitant d’apporter à la personne les moyens de gérer avec une certaine autonomie son risque sur le long terme. De plus, le maillon faible de la société française est passé en 70 ans du travailleur âgé vers le jeune adulte. Sans épargne, sans capital, sans emploi stable, le jeune adulte est le laissé pour compte de notre système social, qui lui accorde des aides sociales stigmatisantes et sans avenir. La fragilité du jeune adulte est une menace majeure pour la cohésion sociale du pays, pour son développement économique et le signe d’un ascenseur social à l’arrêt.
Il faut passer d’un modèle corporatiste à un modèle universaliste, offrant une protection sociale universelle, active, autonome et dotée de nouvelles formes de solidarité.Le modèle corporatiste de 1945 lie les droits sociaux à l’appartenance à un groupe professionnel (voir les 38 régimes de retraites), ce qui segmente la société, nuit à la transparence des mécanismes de solidarité et mine l’efficacité et l’équité de notre protection sociale. Le modèle universel casse le cercle vicieux de défiance en incitant à la transparence et en prenant en compte l’égalité des droits sociaux pour tous, indépendamment de son statut social et professionnel. Il transforme de fait le financement, l’organisation et la gouvernance de notre protection sociale. En évoluant de politiques sociales passives vers des politiques sociales actives, la protection sociale devient une source de mobilité sociale qui donne à tous la capacité (au sens des capabilities d’Amartya Sen) de mener à bien ses projets de vie.
Les grands perdants de l’évolution économique et sociale de ces dernières années étant les jeunes adultes, ces derniers deviennent le centre de gravité du nouveau modèle social. La solidarité intergénérationnelle du modèle de 45 est quasi uniquement ascendante; celle du modèle social de 2015 sera dans les deux sens mais à dominante descendante, des plus âgés vers les jeunes adultes. Pour cela, il est nécessaire de réinventer la protection sociale de ces derniers.
D’abord, en mettant en place un Fonds Universel Jeunes Adulte (FUJA). Ce FUJA est un fonds accessible à toutes les personnes âgées de 18 à 29 ans, donnant un droit de tirage mensuel maximum de 800 € afin de subvenir à ses besoins de base pour étudier, se former, se loger et acquérir un emploi. Cette avance, appelé « Permis d’avenir », doit être remboursée à partir de la trentième année selon des modalités à discuter avec l’organisme gérant le fonds et selon la situation du bénéficiaire. Elle se substitue aux allocations sociales existantes pour cette classe d’âge (RSA, APRE, ASS, APL, PPE…), à l’exception des prestations en nature du type santé, éducation. Ce « Permis d’avenir » vise à rétablir l’égalité des opportunités, l’autonomie plutôt que l’assistance, à relancer la mobilité sociale (l’ascenseur social). Les sources de financement seront l’attribution des sommes des aides sociales remplacées, puis celles générées par le remboursement de l’avance à partir de 30 ans.
Ensuite, en diminuant sensiblement les charges sociales qui pèsent sur l’emploi des jeunes adultes. Le passage à un modèle social universel supprime la logique de privilégier l’actif comme source de financement de notre protection sociale. Le financement de la branche famille est alors portée par la consommation à travers une TVA sociale. On fait également participer davantage les retraités aisés au financement de leur santé. Alors qu’une part importante des dépenses de santé est générée par les retraités, ces derniers ne participent que marginalement à leur financement. Dans une logique de protection sociale universelle, tout le monde doit participer de façon équitable aux dépenses sociales, notamment pour la santé. Il est donc justifié d’effectuer un rééquilibrage avec au moins un alignement du taux de CSG des pensions sur celui des salaires et une cotisation sociale santé sur les pensions élevées.
Enfin, la gouvernance du modèle universel devient une gouvernance élargie à la société civile et participative. Nous disposons en France d’un oligopole social sclérosé et dont la légitimité est en chute libre. Le modèle universel acte la fin du paritarisme et oblige à réinventer une forme de partage et d’exercice du pouvoir, décentralisée et fondée sur le renforcement de la participation de la société civile à la prise de décision en matière sociale. C’est donc bien une démocratie sociale participative qu’il faut mettre en place. Cette dernière s’appuie sur une société civile active et informée, ce qui nécessite un accès à l’information qui soit le plus large possible (open data) et un tissu associatif dynamique sur tout le territoire.
Nos dirigeants politiques, de droite comme de gauche, ont fait le choix ces dernières années, sans débat démocratique, de l’étatisation de notre protection sociale. Cette voie est une impasse tant du point de vue de la faible légitimité actuelle de l’Etat et de ses représentants, que de l’avènement d’une société de l’information et du savoir qui transforme la gouvernance politique et même la façon de faire de la politique, en particulier en matière sociale.
Frédéric Bizard
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