Tribune parue dans Les Échos du 18 juillet 2024
Les élections législatives ont fait basculé la France dans une profonde instabilité politique pendant une durée indéterminé. Seuls les projets législatifs réunissant un large consensus auront une chance d’être adoptés.
Tous les candidats ont pu percevoir l’inquiétude des citoyens sur l’état actuel et l’avenir de notre système de santé. Avec le pouvoir d’achat et la sécurité, le redressement de notre système de santé est une demande très forte des électeurs.
Comment espérer redonner confiance dans l’action politique si le bien le plus précieux de chacun n’est plus protégé ?
Pourtant, aucun des trois blocs parlementaires n’a, à ce stade, de projet sérieux laissant espérer le moindre redressement de notre système de santé.
Face au déficit structurel inédit de l’assurance maladie hors crise économique (plus de 11 milliards € en 2024) et à la perte d’attractivité de certains types d’exercice et professions, les seules solutions proposées sont la coercition administrative (des professionnels et des industries de santé) et le rabot comptable.
Autant dire la poursuite de la politique des dernières années dont le résultat devrait provoquer un électrochoc dans la conscience des responsables politiques. Que faut-il de plus comme message des urnes de la part des citoyens pour qu’une refondation soit enfin initiée ?
D’autant plus que la santé est un sujet dont la transformation du système – à partir des fondamentaux de solidarité (sécurité sociale), d’égalité (service public), de liberté (du choix de son lieu de soin et de son mode d’exercice) et de démocratie sociale et sanitaire – peut faire l’objet d’un large consensus.
Prenons trois mesures de cette refondation qui changeraient la donne à court terme, sans dépenses publiques supplémentaires.
Débureaucratiser
L’impuissance politique à gérer les déserts médicaux et la crise de l’hôpital public est largement le fait d’une gouvernance étatique centralisée qui dépossède les acteurs de santé locaux et leur font perdre le sens de leurs métiers. La notion de service public ne doit pas s’appliquer qu’à l’hôpital mais à toutes les activités essentielles de santé, quel que soit le mode d’exercice et le secteur d’activité.
A partir d’un territoire de santé identique pour tous les professionnels, un plan territorial de santé serait confié aux acteurs locaux dont les représentants auraient la charge de leur application. Mais cela ne changerait rien si la gouvernance actuelle était maintenue.
Les services de l’État seraient intégrés dans une direction de santé publique des Préfectures pour évaluer l’exécution du plan, laissant une réelle autonomie d’exécution. L’opérateur public support du plan territorial de santé serait la caisse primaire d’assurance maladie.
Les questions centrales des déserts médicaux et de la permanence des soins seraient pleinement sous la responsabilité de ces acteurs locaux qui connaissent pleinement les territoires et les solutions appropriées.
De même, redonner confiance et capacité de décision aux professionnels de santé des services et pôles des hôpitaux publics génèrerait un choc d’attractivité et de productivité dans les établissements, comme au plein cœur de la crise Covid.
Permettre une diversification des carrières professionnelles du médical et paramédical en phase avec les besoins des territoires et les aspirations individuelles complèterait cette débureaucratisation de l’exercice, l’hôpital comme en ville.
Contrat thérapeutique et compte personnel de prévention
Pour les 13 millions de personnes souffrant d’affections de longue durée, un contrat thérapeutique comprenant le plan personnalisé de soins, les objectifs à atteindre et l’information essentielle sur la pathologie, garantirait à chaque patient la mise à disposition des ressources humaines, technologiques et thérapeutiques pour mener le combat contre la maladie et optimiser sa qualité de vie.
Signé entre la caisse primaire d’assurance maladie, le patient et le coordinateur de l’équipe de soins, ce contrat thérapeutique viserait à l’égalité des chances par les moyens mis à disposition, et à une prise en charge personnalisée.
L’évaluation annuelle des parcours de soins à partir des données de santé digitalisées garantirait une optimisation de la gestion des ressources au profit des patients et de la collectivité. Les affections de longue durée génèrent 80% de la croissance des dépenses de l’assureur public solidaire.
Un compte personnel de prévention financé dans un premier temps à partir des réserves financières non prudentielles des mutuelles et assureurs privés de santé constituerait un investissement immédiat dans le capital humain en santé des Français, source de baisse de la demande future de soins.
Une offre de services de prévention, labélisée par la Haute autorité de santé, accessible dans l’espace numérique santé de chacun participerait au développement d’une culture de la prévention et à la réduction des inégalités sociales de santé. La prévention pourrait épargner à terme 170 000 cas de cancers par an (40% des cas) sur un total de 430 000 actuellement.
Rappelons que seule une baisse structurelle de la demande de soins en lien avec une amélioration de l’état de santé de la population (espérance de vie sans incapacité plus longue) garantirait une maitrise durable des dépenses.
Diffuser massivement les innovations
Sur le court terme, l’usage massif du numérique et des technologies associées est un levier largement sous-utilisé en France pour optimiser les performances du système. De façon générale, l’innovation réelle doit être perçue comme un levier d’efficience et non un coût.
La responsabilisation des acteurs locaux de santé dans la digitalisation des parcours de santé de chaque citoyen créerait l’élan indispensable pour basculer notre santé dans l’ère du digital. Cette ère verrait l’accès pour tous à des dispositifs médicaux numériques à visée thérapeutique et préventive.
L’utilisation exhaustive de l’intelligence artificielle générative optimiserait les actions de dépistage comme celles du cancer colo-rectal pour lequel seul 35% de la population éligible est dépisté. Les données de santé deviendraient un outil du quotidien pour les professionnels de santé et les usagers, et non une ressource limitée à la recherche.
Un comité national de l’innovation, comparable à ce qui se fait en Allemagne, aurait la charge d’intégrer les innovations technologiques et thérapeutiques dans le panier des prestations remboursées, selon les évaluations médicales et économiques réalisées par la Haute autorité de santé, tout en déremboursant de ce panier ce qui deviendrait obsolète.
Les trois pistes évoquées sont les composantes d’une réforme plus vaste de notre santé (1), qu’une coalition parlementaire transpartisane pourrait voter dans les prochains mois.
Cette réforme est parfaitement possible dans le contexte politique et financier actuel. Elle serait la meilleure réponse au cri de colère poussé lors des dernière sélections européennes et législatives par des citoyens légitimement inquiets pour leur santé.
Frédéric Bizard
1- Réforme décrite dans le livre suivant à paraitre: « Les itinérants de la santé« – Ouvrage collectif de l’Institut Santé sous la direction de Frédéric Bizard – Editions Michalon – Octobre 2024
Tribune parue dans Les Échos du 18 juillet 2024