La prévention sanitaire : la solution et non le problème pour contenir les dépenses de santé

Au début des années 80, la France comptait près de 10 000 morts sur les routes chaque année. Après une décennie de prévention routière intensive, le nombre de décès est aujourd’hui  de moins de 4000 par an, soit plus de 6000 vies sauvées, souvent en pleine force de l’âge, chaque année. Malheureusement, la France n’a pas réussi à installer une prévention sanitaire efficace.

La France a le triste privilège de disposer du nombre de décès prématurés (avant 65 ans) – plus de 105 000 par an soit 20% de la mortalité totale – et du nombre de mortalités évitables (plus de 35 000 soit 33% de la mortalité prématurée) la plus élevée d’Europe après les pays d’Europe de l’Est et d’Europe Centrale. Tous les grands pays d’Europe font mieux que nous pour prévenir la mortalité prématurée et évitable. 

Le retard pris par la France en matière de prévention sanitaire est un handicap majeur de notre système de santé. Voyons les tenants et aboutissants de cette prévention.

De quoi parle-t-on ? L’organisation Mondiale de la Santé (OMS) a clairement défini cette notion de prévention selon le stade de la maladie, « c’est l’ensemble des mesures visant à éviter ou réduire le nombre ou la gravité des maladies, des accidents ou des handicaps ». On distingue trois niveaux de prévention :

–          la prévention primaire (avant l’apparition de la maladie): c’est l’ensemble des actes visant à diminuer les risques d’apparition de nouveaux cas (l’incidence) d’une maladie dans une population donnée ; sont pris en compte à ce stade les risques individuels, environnementaux et sociétaux ;

–          la prévention secondaire (au tout début de la maladie) : ensemble des actes visant à diminuer le nombre total de cas (la prévalence) d’une maladie dans une population donnée ; le dépistage, le diagnostic et même le traitement donné en vue d’éviter la progression de la maladie sont les composantes essentielles ;

–          la prévention tertiaire (une fois la maladie installée) : ensemble des actes  visant à amoindrir les effets et séquelles d’une pathologie et de son traitement ; elle vit aussi la réadaptation du malade sous l’angle médical, social et psychologique.

Les raisons de l’échec de la prévention sanitaire en France sont multiples. Les professionnels de santé se sentent impuissants en la matière : une rémunération à l’acte en ville et à l’activité à l’hôpital qui lamine la prévention, réduit le temps médical, induit un contrôle pesant ; une diffusion inorganisée et difficilement exploitable du savoir scientifique vers eux. La population générale est peu investie, peu orientée, pas éduquée en matière de culture générale santé et  sur consommatrice de soins. Les politiques sont éloignés du concept, persuadés que la prévention coûte cher, rapporte  peu et  à long terme et n’est pas une mission de santé publique. Le système de soins est cloisonné – la prévention collective et individuelle est exclue, les professionnelles de santé sont isolés – et fonctionne sur un empilement d’organisations et de structures sans coordination. La France dépense à peine 2.5% de ses dépenses de santé en prévention alors que le Canada est à 8%, la Hollande à 6% et la Finlande à 4%.

Contenir  les dépenses de  santé  va être l’objectif majeur et dominant  de la politique de santé de notre pays ces  prochaines années. Reste donc à convaincre nos dirigeants que la prévention sanitaire n’est pas le problème mais la solution. Les bénéfices santé des actions de prévention sont assez intuitifs, il est plus sage de prévenir une maladie que de la traiter à un stade avancée. Qu’en est-il de l’argument économique : est-ce que la prévention fait économiser de l’argent. La réponse est OUI mais à certaines conditions. Le « Trust for America’s health » a estimé  que des programmes de prévention pouvaient économiser 13 milliards€ par an en dépenses de santé d’ici à 5 ans (1). Le fonds du Commonwealth  a estimé que la réduction de la consommation de tabac et de l’obésité réduirait les dépenses de santé aux USA de 370 milliards € sur 10 ans (2) (sur un total de dépenses annuels de santé aux USA de 1500 milliards€ par an). De nombreuses études démontrent qu’un programme de prévention sanitaire efficace permet de contenir la croissance des dépenses de santé (3,4).

La question économique des actions de prévention devrait être réfléchie de la même manière de celle concernant les actions curatives. La santé est un bien et les biens ne sont pas achetés pour économiser de l’argent mais pour les bénéfices non monétaires qu’ils procurent. On ne fait pas nos courses pour économiser de l’argent mais nous pouvons économiser de l’argent en achetant intelligemment, i.e. en optimisant la valeur économique de chaque euro dépensé. La référence utilisée en santé est le rapport coût efficacité (CE ratio) (coût de l’intervention divisé par le gain santé). Ainsi les services de santé qui coutent moins de 40 000€ par année de vie ajustée par sa qualité (QALY) sont raisonnables. Comme pour les traitements, les actions de prévention par année de vie ajustée par la qualité varient de quelques milliers d’euros à quelques centaines de milliers d’euros. Ainsi, un vaccin contre la varicelle pour un enfant coute environ 4000 euros par QALY alors qu’un traitement pour baisser le cholestérol d’une femme à risque faible coûte plus de 700 000€ par QALY. La question centrale est donc d’affecter les actions médicales, les stratégies de prise en charge vers les actions ayant le meilleur rapport coût efficacité. Cette réallocation des dépenses permettra d’améliorer sensiblement les gains de santé pour chaque euro dépensé et donc d’améliorer l’état sanitaire de la population sans dépenser plus.

Que faut-il faire pour que la prévention sanitaire soit efficace. Les études  montrent que le médecin généraliste doit être le pivot de toute stratégie de prévention sanitaire. Il faut pour cela faire évoluer le contenu de l’enseignement initial et continu des médecins, rémunérer principalement les médecins généralistes au forfait et revoir le contenu de leurs missions dans le système de santé. Le système de santé doit être géré de façon transversale et non verticale. Le parcours du patient doit être organisé et  coordonné afin de faciliter la gestion de son capital de santé et responsabiliser chacun dans sa prise en charge. L’éducation à la santé et la médecine du travail doivent être revalorisées. Les actions de prévention doivent être ciblées, évaluées et incitées en fonction de leur rapport coût efficacité.

La médecine du XXIème siècle sera une médecine de la prévention de la prédiction. Les grands progrès de la science des vingt dernières années ont été dans le domaine d’une meilleure compréhension des mécanismes engendrant les pathologies (la physiopathologie) et la révolution génomique. Le retard pris par la France dans ces secteurs est un handicap majeur mais peut se combler si les politiques d’abord, mais aussi les professionnels de santé et les citoyens prennent conscience de cette réalité et réussissent la mutation de notre système de soins du siècle passé vers un système de santé adapté aux enjeux de notre siècle.

Frédéric Bizard

 

Références :

(1)    Levi J, Segal LM, Juliano C. Prevention for a healthier America: investment in disease prevention yield significant savings, Stronger communities. Washington DC: Trust for America ‘s Health, 2008. Accessed September 18, 2008.

(2)    (2) Schoen C, Guterman S, Shih A, Lau J, Kasimow S, Gauthier A, Davis K. Bending the curve. The commonwealth fund, December 2007.

(3)    Partnership to fight chronic disease and partnership for prevention. The value of prevention. December 12, 2008.

(4)    C-Change. Making the business case for cancer prevention and early detection. Millinam Inc. December 10, 2008.

 

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard, est un économiste spécialiste des questions de protection sociale et de santé. Il est professeur d'économie affilié à l'ESCP Europe et enseigne aussi à Paris Dauphine. Il est Président fondateur de l'Institut Santé.

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