Deux mois après sa prise de fonction, la Ministre de la santé annonçait en Conseil des Ministre qu’il était de temps « de mettre en place un système de sanctions directs et rapides » contre les tarifs abusifs des médecins libéraux. Mi-novembre 2013, l’attaque a été dirigée contre les dentistes que l’on a accusé en boucle « de dérives tarifaires inacceptables » et ce mois-ci l’estocade est portée contre les opticiens. Régulièrement, la grande distribution montre du doigt le monopole les pharmaciens, dénoncé déjà dans le rapport Attali qui les rendait responsables des prix élevés des médicaments. Les kinésithérapeutes, infirmières, et autres professionnels de santé n’ont qu’à bien se tenir, leur tour viendra.
Tout se passe comme si nous avions identifié les responsables de tous les maux de notre système de santé, les professionnels de santé, en particulier les libéraux. Ceux qui osent allier entrepreneuriat, indépendance professionnelle avec la délivrance de soins et de produits de santé. Ceux qui plutôt qu’être salariés de la fonction publique ou d’institutions mutualistes se permettent de percevoir depuis 1928 des honoraires directement de leurs patients pour les soigner, les soulager et souvent sauver leurs vies. Ceux qui, médecins généralistes et spécialistes, certes ont la rémunération la plus faible des pays comparables de l’OCDE, mais se permettent d’avoir un modèle économique basé sur le profit dont ils tirent leur rémunération et les ressources pour investir dans leurs cabinets médicaux. Tous ceux-là sont condamnables et ne sont plus les bienvenus dans un nouveau système que le milieu politico-technocratique veut mettre en place.
Comme pour les enseignants qu’on a réduits à de simples exécutants dans un système hyper dirigiste, bureaucratique et déresponsabilisant, le microcosme s’est donné comme objectif de mettre au pas ceux qui conservent encore de la liberté dans leur exercice, les professionnels de santé libéraux. Pour les premiers, leur sort est joué depuis longtemps, on a enlevé tout le lustre et la noblesse de la profession d’enseignant, les résultats (classement PISA) nous en apportent le prix payé. Pour les seconds, cela prend plus de temps du fait de leur indépendance économique. On maintient le tarif des actes médicaux en dessous du coût de la pratique, on prend le contrôle des flux financiers avec le tiers payant et on amplifie toujours plus les contraintes et obligations administratives. En bref, on les met sur le gril en asséchant leurs ressources financières dans l’attente qu’une majorité se décourage et disparaisse. Nous sommes en bonne voie, leur taux de suicide est deux fois plus élevé que la population générale, moins de dix pour cent des jeunes médecins veulent s’installer à leur compte, deux pharmacies par jour font faillite…
Notre système de santé s’est construit au XXème siècle autour de trois valeurs : la liberté, la responsabilité et la solidarité qui en ont fait un système unique, reconnu comme le meilleur au monde au siècle passé. Ces valeurs se sont déclinées sous la forme d’une sécurité sociale qui assure la solidarité entre les bien-portants et les malades, des professionnels de santé libéraux en ville pleinement responsables de leurs actes et de la gestion de leur outils de travail, qui garantissent l’accès pour tous à des soins de proximité de qualité, et une offre concurrente publique et privée à l’hôpital garante de la recherche de l’équité et de la qualité. Au cœur de ce système se trouve l’usager libre de consulter et de mettre en concurrence sans limite et sans barrière financière une des meilleures excellences cliniques au monde à proximité de chez lui. C’est ce pari impossible qu’a réussi la France du XXème siècle et qui a implosé ces vingt dernières années du fait de l’inaction, de l’irresponsabilité et de l’impuissance de nos politiques. Pour la plupart obnubilés par leurs petits intérêts politiciens et leurs carrières dans le milieu, ce sont incontestablement eux les premiers responsables de la déliquescence d’un système qu’il faut adapter aux enjeux économiques, sociaux et technologiques du XXIème siècle.
A qui profite le crime? A tous ceux qui ont la puissance financière de faire entendre leurs intérêts. En premier lieu aux financeurs privés du système (mutuelles, assureurs, instituts de prévoyance) à qui le gouvernement Ayrault aura en moins de 18 mois accordé de conserver l’opacité des frais de gestion (mutuelles), de plafonner le remboursement des actes médicaux, d’augmenter les subventions publiques pour souscrire les contrats d’assurance et bientôt va leur offrir la régulation des tarifs par les réseaux de soins. Le Président la République leur a même promis la complémentaire pour tous les Français. Comment expliquer que la France ait la couverture assurantielle privée le plus étendue de l’OCDE (96% de la population), le paiement direct par les ménages le plus faible au monde (9% des dépenses) et le taux de renoncement en dentaire et en optique le plus élevé d’Europe, après la Pologne ? Si la mutualisation assurantielle poussée à l’extrême dans notre pays (alors que 50% de la population a un reste à charge après remboursement de la sécurité sociale inférieur à 250 euros) était efficace et équitable, nous n’aurions pas de tel niveau de renoncement. Il fallait donc bien que ces organismes complémentaires lancent une offensive massive de diversion pour masquer leur inefficacité et l’inégalité d’accès à certains soins dont ils sont pleinement responsables.
Ils dépensent massivement en campagne de communication, afin de rendre le plus docile possible les médias, surtout ceux en difficultés financières. Ils s’allient avec une revue de consommateurs et un collectif de patients (qui déshonorent au passage tous les bénévoles de terrain qui font un travail fantastique) pour créer un observatoire « citoyen » sur les tarifs des professionnels de santé. Tout ceci permet de fabriquer des données biaisées pour la cause ; le montage est prêt pour ensuite jeter à la vindicte populaire nos professionnels de santé, transformés en boucs émissaires. Et ceci avec votre argent, chers assurés ! On assiste ainsi à une véritable manipulation des foules et à la mainmise des groupes de pression financiers puissants qui profitent de la faiblesse du politique. L’Etat agit comme s’il faisait faire le travail de délabrement du système de santé par d’autres, pour ensuite ramasser les morceaux et installer en catimini un système étatisé, fonctionnarisé pour tous et libéral seulement pour certains, les plus aisés (à l’anglaise). Les conservateurs étatistes, de gauche et de droite, sont aidés dans cette entreprise par les ultralibéraux qui encouragent la fin de la sécurité sociale universelle, au nom de la liberté individuelle. Ces derniers ignorent la dimension politique et le rôle symbolique majeur d’union nationale que la sécurité sociale représente d’une part et le fait qu’il n’y a pas de véritable liberté pour tous sans responsabilité et solidarité envers les plus défavorisés d’autre part.
Notre système de santé est en pleine implosion ; on dynamite ses fondamentaux et ses atouts pour légitimer l’installation d’un nouveau système que les Français n’ont pas choisi et qu’on veut leur imposer comme une fatalité. Voltaire écrivait en 1749 : « le génie français est perdu; il veut devenir anglais, hollandais et allemand. Nous sommes des singes qui avons renoncé à nos jolies gambades, pour imiter mal les bœufs et les ours». Il reste à espérer que le retour du génie français en matière de santé ne nécessitera pas un nouveau 1789 !
Frédéric Bizard