L’idée de concurrence dans l’offre de soins fait l’objet de nombreux débats. Une étude (1) de la direction des études du Ministère de la santé vient nourrir la réflexion en démontrant que plus il y a de concurrence médicale, plus les tarifs des médecins baissent.
Après vingt ans d’étatisation, les ennemis de toute intervention du marché, largement dominants dans l’administration de la santé, ont gagné la partie. L’allocation des ressources dans les soins est aujourd’hui gérée à partir d’un système de planification administrative centralisée qui a sclérosé le système et rend impossible toute adaptation de ce dernier au changement radical de l’environnement.
Les tarifs des médecins baissent quand la concurrence s’accroît
L’étude montre qu’en secteur 1 (sans liberté tarifaire), le volume de soins fournis ne dépend que des caractéristiques individuelles du praticien (situation familiale, revenus non professionnels …), et qu’en secteur 2 (avec liberté tarifaire), les mécanismes de concurrence sont systématiquement présents. En cas de hausse de la densité médicale locale, le volume de soins fournis par un spécialiste de secteur 2 augmente alors que le prix pratiqué diminue, soit un double impact positif pour l’accès aux soins. Ainsi, l’installation d’un confrère de secteur 2 dans la même commune conduira un médecin spécialiste de secteur 2 à baisser son tarif de 3,5% en moyenne…
De plus, l’étude indique que les tarifs du secteur 2 augmentent avec la richesse de la population locale, conformément à un des critères du principe de tact et mesure inscrit dans le code de déontologie. Si on ajoute à cette donnée que la part des soins effectués aux tarifs sécu des médecins de secteur 2 est de plus de 40% en 2018, on voit que la patientèle la plus fortunée participe au financement de l’accès aux soins des moins aisés dans le secteur 2. Enfin, l’étude confirme l’hypothèse selon laquelle les médecins libéraux, tous secteurs tarifaires confondus, auraient pour objectif un « revenu cible » global et moduleraient leur volume d’activité de manière à l’atteindre.
Cette étude a été réalisée sur trois spécialités : les gynécologues, les ophtalmologues dont 85% des praticiens nouvellement installés sur la période étudiée (2011-2014) sont en secteur 2 et les pédiatres dont cette part est de 53%. Si un médecin spécialiste sur deux est aujourd’hui en secteur 2, ce dernier est aujourd’hui incontournable pour rendre viable une installation pour la majorité de médecins spécialistes, du fait du faible niveau des tarifs opposables de sécurité sociale. Enfin, la période étudiée se termine en 2014, soit juste avant que la régulation administrative des tarifs du secteur 2 ait été instaurée.
La concurrence, pas une panacée mais un instrument indispensable
Cette étude renforce les preuves de l’impact positif de la concurrence sur la distribution des services de santé, favorisant leur accès dans le cas étudié. Selon la théorie économique, la concurrence est un instrument efficace pour organiser les décisions d’utilisation des ressources, dont le premier objectif est d’augmenter l’efficience (value for money). En santé, une meilleure efficience doit contribuer à l’atteinte d’autres objectifs comme l’accès pour tous à des services coût-efficaces et de qualité, répondant aux besoins médicaux, sans générer de difficulté financière. La croyance en la seule concurrence ou en la seule régulation étatique est cependant illusoire pour atteindre ces objectifs.
Les conditions de succès de la concurrence passent entre autres par une information adéquate sur la qualité et les tarifs pratiqués, une capacité à comparer les services, l’existence d’un nombre suffisant d’offreurs et de demandeurs de soins. Les services de santé étant marqués par une asymétrie d’information entre le médecin et le patient, la valeur de l’information est critique pour que la concurrence garantisse une hausse de l’efficience et limite l’effet de la demande induite par l’offre.
L’Etat a progressivement éteint les feux de la concurrence
Initiée à la fin du siècle dernier, la suppression progressive de la concurrence au profit d’une organisation étatique toute puissante s’est progressivement étendue sur deux décennies à l’ensemble des soins. D’une répartition des ressources délocalisée, laissant une grande liberté (et responsabilité) de décision aux professionnels de santé, notre système de santé a évolué vers une économie planifiée centralisée.
Les décideurs médicaux de terrain ont été remplacés par une armée de planificateurs chargés d’équilibrer les ressources avec les besoins au sein d’une vaste organisation d’agences, de commissions, de conseils dans laquelle le citoyen soignant et soigné dispose de strapontins. La gestion purement comptable des soins qui domine aujourd’hui provient de ce phénomène.
Les gardes rouges de l’étatisation à tous crins ont cru protéger l’hôpital public en excluant les cliniques en 2016 (loi Touraine) du service public hospitalier pour lui garantir une forme de rente. Avant cela en 2009 (Loi Bachelot), ils avaient mis la main sur la direction des hôpitaux. Il en est ressorti une fossilisation de l’hôpital public, creusant le tombeau de l’institution qu’ils prétendaient sauver. Dans le privé, l’exercice libéral de ville est aussi passé sous la coupe des gardes rouges avec comme objectif de les transformer en fonctionnaire de droit privé. Dans ce mouvement, les cliniques n’appartiendront bientôt plus qu’à deux grands groupes internationaux, dont les positions sont déjà souvent dominantes voire monopolistiques dans certains territoires.
Qu’ont fait les politiques pendant ce temps là ? Ils ont habillé cette évolution radicale de notre système de santé avec des éléments de langage autour de la solidarité et de la justice sociale pour que le bon peuple dorme paisiblement. Le discours sur le reste à charge zéro en est le dernier chapitre. L’esprit entrepreneurial, l’initiative et la responsabilité individuelle, le goût du risque et de l’innovation se sont éclipsés au profit d’un système dominé par la planification centralisée. C’est la raison principale qui explique l’exploit des Pouvoirs Publics d’avoir massacré l’attractivité des postes et des carrières médicales en si peu de temps en France.
Les premières victimes ont été comme souvent dans les révolutions les « proches du système », les soignants, qu’il fallait mettre au pas et déposséder de leurs pouvoirs. Les prochaines victimes seront tous les citoyens qui ne vivront plus dans un système de santé où la liberté de choix et l’égalité des chances seront possibles.
La concurrence n’est pas la panacée mais sans son souffle, le vent de la liberté et de l’innovation s’estompe.
Comme disait Machiavel, « le choix en politique est rarement entre le bien et le mal mais entre le pire et le moindre mal » !
Frédéric Bizard
(1) Etude de la Drees, Janvier 2020, numéro 1137- « Médecins en secteur 2 : les dépassements d’honoraires diminuent quand la concurrence s’accroît », disponible ici
Vous oubliez un élément de contexte essentiel : une grande partie des dépenses de santé est financée par les ressources de l’Assurance Maladie, lesquelles ne sont autres que les cotisations sociales donc de l’argent public… donc votre présupposé de liberté du marché est totalement erroné
Vous confondez la possibilité d’une concurrence et une liberté de marché, emboîtant le pas de ceux qui pensent que, du fait qu’il s’agit « d’argent public » la SEULE possibilité de régulation est la planification centralisée volumétrique centrée sur les équilibres financiers à court terme.
Le fait que ce type de régulation, à l’œuvre en France depuis près de 40 ans, échoue magistralement dans l’ensemble des composants du système de soins, ne vous interrroge-t-il pas ? L’abîme dans lequel plonge l’hôpital public, mais aussi les soins ambulatoires de consultation fait-il un bilan si enviable qu’on doive continuer à utiliser les mêmes recettes encore et encore ?
Bonjour,
Merci pour votre commentaire. Il me semble assez clair que je déplore tout autant que vous cette régulation administrative centralisée! Quand à la concurrence, c’est bien un mécanisme de marché qu’il faut intégrer, ce qui ne signifie pas laisser le marché agir seul évidemment.
Bravo, vous démontrez bien que l’échec cataclysmique des politiques publiques de santé a bien une origine conceptuelle, la planification centralisée envahissante, alors même que le Gosplan de la Santé, devant cet échec evident, ne cesse d’en demander l’amplification et la généralisation.
Exemple effrayant de persistance dans l’erreur que rien ni personne ne peut enrayer, car le mal est inclus dans l’État Parfait post napoléonien, dont les français ne peuvent se déprendre, et qu’aucun politique ne se propose d’autopsier.