Publié dans Les Échos le 5/04/2023
Depuis le 3 avril 2023, le plafonnement de la rémunération des médecins intérimaires dans les établissements de santé est fixé à 1390€ brut pour une garde de 24h. Cette marque d’autorité de l’Etat est le symptôme de la dégradation de la vie à l’hôpital depuis des années, de moins en moins attractive pour les soignants et de plus en plus dangereuse pour les patients.
C’est aussi l’échec du Ségur de l’hôpital de 2020 qui, malgré la hausse annuelle de plus 8 milliards d’euros des salaires de la fonction publique hospitalière, n’a pas revalorisé la pénibilité, qui était pourtant le poste prioritaire à traiter. Un cas d’école de mauvaise gestion d’une hausse historique des dépenses publiques en santé.
Nécessaire à petite échelle, l’intérim médical est un poison à grande échelle pour les établissements. Mais le choix de la facilité par la seule contrainte brutale plutôt que la réforme structurelle pour réduire l’intérêt de l’intérim fragilisera un peu plus une institution déjà à l’agonie. A court terme, les grands perdants risquent d’être les patients.
L’échec de l’État
En 2013, le rapport du député Véran s’indignait d’un « mercenariat de l’intérim médical » qui concernait 6 000 praticiens hospitaliers, pour un surcoût évalué à 500 millions d’euros. En Juillet 2020, le Ministre Véran s ’engageait au Ségur de la Santé à mettre fin à ce mercenariat, en « encadrant pour de bon » les rémunérations, ce qui ne sera pas fait.
De 2013 à 2023, la forte expansion de l’intérim médical illustre la perte de confiance des soignants dans un système dont ils ne sont plus que des pions. Le ministère estime aujourd’hui à 1,5 milliard € le surcoût de l’intérim, ce qui signifie que près de 12 000 médecins le pratiquent à l’hôpital, soit près d’un tiers de l’effectif réel.
L’esprit de mercenaire n’étant pas un trait de personnalité indispensable pour choisir la fonction publique, cette explosion de l’intérim n’est pas le fruit d’une soudaine cupidité d’un grand nombre de médecins. L’Etat fait diversion pour mieux masquer son propre échec.
En fait, la vision technocratico-comptable implantée dans la santé dans les années 1990 (ordonnances Juppé) est la source de la perte de confiance des soignants dans l’hôpital et dans le système. Cette vision repose sur deux principes erronés : la santé est avant tout une source de coûts à réduire et le pouvoir médical ne peut fonctionner que sous la tutelle stricte de l’administration (centrale).
La nature de la sanction envisagée en cas de dépassement du plafond dans la loi Rist de 2021, « le rejet du paiement des rémunérations irrégulières par le comptable public » évoque bien la défiance du Ministère vis-à-vis des soignants, mais aussi vis-à-vis de ses directions d’établissements qui ne seraient pas capables d’appliquer correctement la loi. On vante haut et fort l’autonomie des hôpitaux et en même temps on renforce le centralisme technocratique qui détruit toute autonomie.
Contraindre par l’arbitraire
Ce plafonnement est un bras de fer politique entre l’Etat et les médecins intérimaires qui font fonctionner de nombreuses maternités, services d’urgence ou blocs opératoires d’établissements de plus en plus gros. Plutôt que de les attirer vers un statut de titulaire en repensant le management de l’hôpital, leurs missions et leur rémunération dans une approche globale, l’État joue le rapport de force. Le sujet de fond est une question de pouvoir : qui est le chef ? Pour le pouvoir technocratico-comptable, il n’y en qu’un, et il faut le prouver, quoi qu’il en coûte.
Plafonner autoritairement le taux horaire d’une garde de 24h à moins de 50 euros (46€ net) à des médecins qui ont la vie de patients entre leurs mains, qui travaillent dans des conditions réelles de pénibilité et avec un statut précaire, est arbitraire. Cette valeur, inférieure au taux horaire d’un artisan indépendant en Ile de France, n’a que comme référence d’être non viable durablement pour l’intérimaire par rapport aux responsabilités et aux contraintes.
C’est le but d’ailleurs mais l’erreur est de penser que ce dernier n’aura d’autres choix que de redevenir médecin titulaire à l’hôpital public. C’est le diplôme qui permet de soigner et non le statut. Jeter à la vindicte populaire les milliers de médecins-remplaçants ne renforcera pas l’image de l’institution hospitalière et ne peut que générer une surcharge de travail pour les titulaires et un risque sanitaire pour les patients.
Que faire alors ?
Traiter les causes profondes
La solution à court terme passe par le partage éclairé des causes de la crise de l’hôpital entre toutes les parties prenantes et l’arrêt de cette bouc-émissarisation des soignants. Tout diagnostic reposant sur le principe de réalité, ce serait un premier pas d’apaisement et de rapprochement des parties sur des solutions efficaces à court terme.
L’État est-il en mesure de faire son auto-critique en santé ? C’est l’obstacle principal pour refondre notre système de santé dont le programme est connu.
Le choc de confiance ne viendra que si le partage du diagnostic est accompagné d’un engagement d’une refonte systémique effective, seule garantie pour changer les conditions d’exercice des soignants, les rémunérer à leur juste valeur et redonner un sens au collectif dans le système de santé.
La remédicalisation de la gouvernance hospitalière stoppera de fait le rapport de force mortifère entre les pouvoir médical et administratif, pour en faire un véritable tandem. Elle redonnera leur juste place aux soignants.
La gestion personnalisée et décentralisée des carrières professionnelles au niveau de chaque établissement permettra de prendre en compte les aspirations individuelles des soignants, et répondre favorablement à ceux qui veulent gagner plus. L’intérêt de l’intérim en sera drastiquement réduit.
L’État doit considérer la santé comme un investissement sur le long terme et pas un coût sur le court terme, en remplaçant la loi de financement annuelle par une loi d’orientation et de programmation pluriannuelle (comme pour les fonctions régaliennes).
Contraindre plutôt que rendre attractif ne fonctionne ni dans le public ni dans le privé pour changer les comportements et transformer les organisations. Inverser cette logique serait déjà un grand pas en avant dans notre politique de santé.