Le vieillissement des populations est un des grands bouleversements sociétaux du XXIème siècle, qui impose d’adapter nombre de politiques publiques et notre modèle social en conséquence. Réduire le débat au seul financement de dépenses sociales supplémentaires serait passer à côté des opportunités et des défis à relever.
Comme pour notre système de santé, le diagnostic réel de la situation de notre système médico-social est largement ignoré ce qui nous fait entretenir par des expédients, pour la plupart financiers, l’inadéquation du système actuel. Le rapport Libault remis à la Ministre le 28 mars dernier, inventaire de 175 revendications de l’ensemble des parties prenantes, ne propose ni vision ni stratégie au pouvoir politique.
Convaincre sur les enjeux, le diagnostic et le besoin d’une réforme systémique
Si un cinquième de la population avait plus de 60 ans au début du siècle, cette part passera à près d’un tiers en 2040; sur la même période les plus de 85 ans dont 50% souffrent de démence verront leur nombre doubler à plus de 4 millions de personnes. Trois dimensions sont à considérer dans l’analyse : l’intensité de l’impact de la transition démographique sur notre protection sociale et notre société, l’incapacité de notre système médico-social en l’état à y faire face, l’exigence d’une réforme systémique de notre système de santé et médico-social pour y répondre.
Réussir la transition démographique nécessite un changement d’image de cette catégorie de la population, longtemps considérée avant tout en termes de coûts, et l’instauration de politique sociale active et non passive. On en est loin dans les approches politiques actuelles, ce qui freine l’envie d’investir dans un secteur qui en a massivement besoin. L’attractivité des métiers liés au vieillissement (dans le social, le médical, le paramédical) est au plus bas en partie due à cause de cette image dégradée du vieillissement en France.
La gouvernance médico-sociale en place centralise la gestion de l’offre de services et décentralise le financement des prestations alors que c’est l’inverse qu’il faudrait faire. Les agences régionales de santé (ARS), émanations déconcentrées de l’Etat en région, ont l’essentiel du pouvoir d’organisation de l’offre malgré une connaissance faible des réalités opérationnelles et une approche avant tout technocratique et comptable.
Le financement suit une tuyauterie complexe entre l’assurance maladie, la caisse nationale de solidarité et d’autonomie (CNSA), les ARS et les départements qui empêchent toute optimisation des ressources employées et évaluation des dépenses. Alors que la France dépense une part de PIB (1,7%) pour les soins de longue durée identique à la moyenne de l’OCDE, le secteur du domicile comme celui des Ehpad sont en manque de moyens pour remplir correctement leurs missions et attirer les ressources humaines nécessaires.
Engager un changement de cap stratégique
Dans le prolongement d’une réforme systémique du plan santé, la stratégie de gestion du risque de la dépendance doit inclure un plan massif d’investissement sur les 92% personnes de plus de 60 ans qui ne sont pas dépendants, afin de maitriser les dépenses futures de prestations liées à la perte d’autonomie.
Comme pour la santé, il faut passer d’une logique d’offre à une logique de demande, le système doit se piloter à partir de la demande des individus. Pour cela, il faut définir des territoires de santé, une gouvernance et des missions à partir de ces territoires. C’est en garantissant la liberté de choix des modes de prise en charge et l’égalité des chances dans l’accès à des prestations de qualité que le système développera des modèles innovants à haut niveau de satisfaction pour les citoyens.
Le bien-vieillir est une responsabilité individuelle dont la collectivité doit fournir tous les moyens nécessaires pour que chacun puisse remplir efficacement cette responsabilité. Par exemple, optimiser ses chances de rester à domicile au grand âge, préférence de la majorité des citoyens, doit être accessible à tous.
Une régulation publique plus efficace des EHPAD privés doit garantir leur accès à tous indépendamment des revenus, la qualité et l’évaluation des prestations et la transparence de l’information. L’intervention du privé est à organiser sous une forme de délégation de service public structurée en conséquence. Le secteur privé doit être source d’un rapport qualité/prix optimisé, d’innovations de services et de liberté de choix pour tous de son établissement.
L’assurance maladie jouant le rôle d’agence et de caisse, en reprenant sous sa tutelle la CNSA, par une délégation de l’Etat devrait être le principal pilote opérationnel du financement et de l’organisation du secteur. Le département resterait l’intégrateur de toutes les prestations sociales et le relai des territoires à partir desquels les besoins sont évalués et l’offre adaptée.
Un grand plan d’investissement dans le bien vieillir changera la donne
Pour ne pas subir la transition numérique et écologique et en faire une opportunité d’emplois et de développement économique, le gouvernement a très justement lancé en 2018 un plan d’investissement dans les compétences (PIC) (1). Pour ne pas subir la transition démographique, le gouvernement devrait inscrire comme priorité dans la loi du grand âge prévu fin 2019 un grand plan d’investissement dans le bien vieillir (PIV).
Avec des fonds publics et privés, ce PIV irriguerait tous les secteurs clés du vieillissement comme le logement, les transports, la robotique, la domotique, les gérontechnologies, le social et la recherche. Piloté par une agence France vieillissement (sur les mêmes bases que France Compétences pour le PIC), le PIV sera un des leviers de la transformation de l’image du vieillissement et surtout de son intégration pleine et entière dans toutes les politiques publiques concernées. Ce PIV est d’autant plus urgent que le pic de la hausse de la prévalence de la dépendance se produira à partir de 2030, avec l’arrivée des baby-boomers au grand âge.
Le financement actuel de la dépendance est socialisé à près de 80% par l’assurance maladie, l’Etat et les départements à hauteur de 1,1 % du PIB. Les dépenses publiques vont augmenter de l’ordre de 1 milliard d’euros par an jusqu’en 2030 et de 1,5 milliard d’euros par an de 2030 à 2040, pour une dépense publique de la dépendance qui sera de près de 1,7% de PIB en 2040. Près de 50% de cette dépense supplémentaire proviendra des soins donc de l’assurance maladie qui a sa propre dynamique de financement (CSG et cotisations), pour faire face à la hausse des besoins.
Les besoins supplémentaires aux services à la personne dépendante et à l’hébergement pourraient être financés dans le cadre de la refondation de l’architecture de financement des dépenses de santé qui dégageraient de nouvelles ressources. Une nouvelle architecture avec un financeur unique des dépenses de santé feraient des organismes privés des financeurs supplémentaires pour un panier de prestations défini par les Pouvoirs Publics sur un modèle mutualiste solidaire reposant sur une affiliation uniquement individuelle.
L’économie de l’ordre de 6 milliards d’euros pour les entreprises suite à la suppression de contrats collectifs pourrait être en partie utilisée au financement des dépenses supplémentaires. Rappelons que pour 70,3 milliards € de cotisations collectées sur les risques sociaux en 2016, les assureurs privés n’en ont redistribué que 51,2 milliards€. De plus, les réserves surabondantes (au-delà des réserves légales prudentielles) des assureurs privés en santé, supérieures à 50 milliards d’euros, pourraient être mises à contribution pour financer les besoins de financement.
L’enjeu du financement des dix prochaines années est de faire gagner le scénario de la compression de la morbidité (ie des gains d’années de vie en bonne santé) qui se traduira par une stabilité des dépenses de santé sur le long terme. Investir sur le bien vieillir est tout aussi stratégique que de financer la prise en charge des personnes dépendantes. Les externalités économiques et sociales d’une population vieillissant en bonne santé seront considérables.
Si la naissance est « le lieu de l’inégalité, l’égalité prend sa revanche à l’approche de la mort » disait Jean d’Ormesson.
Faisons-en sorte que cette égalité soit réellement améliorée pas seulement à l’aube de sa propre fin par cette nouvelle approche sur le bien-vieillir et que l’on sorte de cette image noire entretenue par Châteaubriant et sa vision du vieillissement comme un « naufrage ».
Que les fatalistes se rassurent, la mort finira toujours par l’emporter !
Frédéric Bizard
(1) Le PIC est un vaste plan d’investissement (avec des fonds publics et privés) dans les compétences (PIC) de 15 milliards € sur 5 ans visant à contribuer à la transformation des compétences et à répondre aux besoins des métiers en tension.
PS: les interventions de Frédéric Bizard dans les médias sur ce sujet
Le 28 mars 2019 sur RTL, invité d’Yves Calvi, ici
Le 28 mars 2019, invité de Pascal Perri sur LCI, ici
Le 28 mars 2019, invité du carrefour de l’info sur CNews, ici