Gouvernement Bayrou : mon ennemi c’est l’immobilisme !

Pour mobiliser son électorat avide de justice, François Hollande avait scandé en janvier 2012 que son ennemi était le monde de la finance. Pour le nouveau Premier Ministre, François Bayrou,  son ennemi est l’immobilisme.

Un des enjeux du début du mandat est de créer un élan politique autour des projets les plus prioritaires pour le pays, et les attentes des Français. L’expérience Barnier a montré que sans élan, aucun gouvernement n’est viable durablement.

Einstein nous rappela que « La vie c’est comme le vélo, il faut avancer pour ne pas perdre l’équilibre ».

 

Tirer les leçons de l’expérience Barnier

Michel Barnier est un homme d’expérience dont les réalisations politiques locales, régionales et européennes sont indéniables. Son échec si rapide à Matignon est une affaire de contexte mais aussi de stratégie politique.

Il a fait le pari du rétablissement rapide et inédit des comptes publiques, avec une ambition de 60Mrds€ du déficit dès 2025 (-2 points de PIB), avec 2/3 en baisse des dépenses et 1/3 de hausse des recettes.

Rappelons que notre déficit 2024 sera proche 6% de PIB, dont 4 points de déficit primaire et 2 points de charges de la dette. Cette dernière représente 113% de PIB en 2024 et dépassera 120% de PIB dès 2027 si le déficit n’est pas réduit sous les 3% d’ici là.

La commission européenne a accepté une trajectoire budgétaire qui ramène le déficit global sous les 3%, d’ici à 2029, soit un déficit primaire quasi nul dans 5 ans (cas d’une dizaine de pays européens aujourd’hui).

Ces prévisions budgétaires ne sont pas un projet politique mais des prévisions comptables qui restent difficiles à appréhender pour les Français.

L’État français n’ayant pas eu d’exercice à l’équilibre depuis 46 ans, tout politique qui vise un retour à l’équilibre budgétaire part avec une très faible crédibilité aux yeux de l’opinion publique. Sans annonce de réforme structurelle, la mission devient impossible.

Un budget doit incarner un projet politique et non l’inverse.

S’étant aperçu de cette vérité en cours de route (octobre), Michel Barnier s’est engagé à « changer le pays avec un plan de réforme à cinq ans », sans en donner de substance et trop tardivement.

Ni sa politique d’austérité pour rétablir les comptes à court terme, ni son projet de réforme n’ont été en mesure de créer une dynamique pour faire tenir un gouvernement de coalition durablement.  Le budget Barnier n’incarnant pas de substance politique, la majorité pour le soutenir était à juste titre introuvable.

L’erreur finale a été de faire dépendre sa survie politique du vote du budget (en utilisant le 49-3), ce dont il n’était pas obligé juridiquement.

Le budget rien que le budget ne fait pas une politique.

 

Créer une dynamique politique avant le budget

L’espace de vie théorique de 30 mois pour le futur gouvernement Bayrou devrait être pleinement utilisé comme espace-temps d’un projet politique ambitieux pour la France, qui redonne espoir aux citoyens dans la politique.

Sans quoi, les dés sont jetés pour 2027 (ou même plus tôt).

Outre les contraintes budgétaires, il faut intégrer les principales préoccupations des Français qui sont concentrées depuis plusieurs mois sur le pouvoir d’achat, la protection sociale et les comptes publics (1) (2).

Les autres thèmes restent bien sûr importants mais ne devraient pas encombrer le champ législatif dans les prochains mois, sauf à risquer un échec ou un retard dans le traitement des priorités.

Rappelons que les Français ont certes été en partie protégés pendant le Covid et le pic inflationniste, au prix d’une explosion de la dette, mais leur pouvoir d’achat a quand même baissé de 3% en 2022-2023. La hausse devrait être de 1,4% en 2024, ce qui n’est pas encore assez perceptible pour la population, et insuffisant pour les plus vulnérables.

La chute du gouvernement Barnier sur le budget social (Plfss 2025) est révélatrice aujourd’hui de la question centrale de la qualité, de la viabilité et de l’impact économique de notre protection sociale (sur le pouvoir d’achat et la compétitivité des entreprises).

Tout projet politique viable dans le contexte actuel ne peut se passer d’ une réforme structurelle de notre système de santé et la remise à plat des retraites.

La santé représente plus de 80% des déficits sociaux des 3 prochaines années, est la première préoccupation politique es Français (1) et va inexorablement se dégrader dans la qualité des services rendus sans réforme.

La réforme de l’État, avec sa débureaucratisation et la décentralisation d’une partie de ses missions, et la relance de la démocratie sociale sont probablement aussi des incontournables du projet politique dans le contexte actuel.

 

Incarner politiquement cette dynamique

On constate que les sujets incontournables ne sont pas des sujets exclusifs d’un camp politique. Ils sont transversaux et doivent reposer sur un consensus assez large.

L’Institut santé a démontré cette capacité de produire du consensus, avec un programme de refonte de notre système de santé, connu et applicable rapidement (3).

Une fois conçu le quoi de la politique, restera à définir le qui pour l’incarner.

Le gouvernement resserré devra représenter le socle politique des partis de l’arc républicain prêt à gouverner avec le pouvoir. Mais le gouvernement Barnier a montré que cette condition nécessaire n’était pas suffisante.

Il devra aussi intégrer des personnalités capables de donner une vraie dynamique politique sur les sujets prioritaires, pour lutter contre le principal ennemi qu’est l’immobilisme, sans quoi l’équilibre sera précaire et de court terme.

Talleyrand, qui a fait partie de 18 gouvernements dans 5 régimes politiques différents, et qui a sauvé la France au congrès de Vienne dans un contexte quasi désespéré en sait quelque chose.

D’ailleurs pour lui « en politique, il n’y a pas de convictions, il n’y a que des circonstances » !

 

Frédéric Bizard

 

(1) Sondage Ipsos pour le CESE sur les préoccupations des Français – Octobre 2024

 

 

                                                                                                          Le 14 décembre 2024

 

(3) L’Institut Santé est un centre de recherche transpartisan, indépendant et citoyen créé en 2018,  dédié à la constitution d’un programme de refondation consensuel du système de santé français.

 

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard, est un économiste spécialiste des questions de protection sociale et de santé. Il est professeur d'économie affilié à l'ESCP Europe et enseigne aussi à Paris Dauphine. Il est Président fondateur de l'Institut Santé.

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