Le quoi qu’il en coûte a éludé temporairement la question de l’efficience des dépenses de santé en France. Pourtant, après des déficits abyssaux en 2020 et 2021 liés en partie au Covid, l’assurance maladie ne retrouvera pas le chemin de l’équilibre budgétaire d’ici à 2025 sans mesures restructurantes.
L’économie du médicament dispose d’une marge de progrès importante en termes d’efficience des dépenses. Un produit pharmaceutique se caractérise par un cycle de vie constituée de plusieurs phases dont l’intensité concurrentielle est croissante et les prix décroissants. Le retard conséquent de la France dans le développement des génériques et des biosimilaires, dits produits matures, est un fardeau, pour l’efficience des dépenses de santé et pour un accès équitable aux soins, que l’on peut rapidement alléger.
Un retard français pénalisant et injustifiable
La France est un des pays de l’OCDE qui tire le moins bien parti des génériques pour renforcer l’efficience des dépenses pharmaceutiques, avec une part de marché en volume de 30% en 2019 contre 53% en moyenne dans l’OCDE et 83% en Allemagne. Ainsi, la part des génériques dans la consommation des médicaments en France est 1,8 fois inférieure à la moyenne de l’OCDE et 2,8 fois à celle en l’Allemagne.
Le facteur limitant principal au développement des génériques est la faible taille du répertoire, qui fait que le groupe des génériques (princeps + génériques) a vu sa part de marché en valeur baisser de 30% à 26% de 2012 à 2020. La problématique n’est plus aujourd’hui le taux de pénétration des génériques qui est de 84% en 2020 mais cet effet de champ défavorable.
Avec plus d’un milliard de boites vendus par an, les génériques remboursables génèrent une économie pour l’assurance maladie de 2,5 à 3 Mrds € par an. C’est la conséquence de prix fixés à leur lancement en baisse de 60% du prix du princeps (médicament d’origine). Ainsi, le prix moyen d’un générique en ville est aujourd’hui de 4,4 € contre 12,7€ pour un princeps, soit deux-tiers plus faible.
Alors que la majorité des innovations sont dorénavant des produits issus des biotechnologies, le marché des produits matures dits biosimilaires sur ce marché est aussi largement sous-exploité. Si le taux de pénétration est élevé à l’hôpital, il est inférieur à 25% en ville. C’est un enjeu économique majeur puisque les biomédicaments, dont le marché est supérieur à 7Mrds€, ont généralement des prix élevés.
Les modèles de croissance des génériques/biosimilaires et des innovations sont inéluctablement liés. Ce sont les deux faces d’une même pièce. En conséquence, toute action qui vise à freiner leur développement par du lobbying politique et/ou des contentieux juridiques sur les brevets pénalise tout autant le financement des innovations thérapeutiques.
Optimiser le cycle de vie des produits
En freinant l’optimisation du cycle de vie des médicaments chimiques comme biologiques, le marché freine l’arrivée de la concurrence de produits matures aux dépens de la capacité de l’assurance maladie à valoriser les innovations à leur juste valeur et dans un délai optimal. C’est aussi une désincitation à accélérer l’innovation.
Ainsi, le comparatif de la France avec l’Allemagne est éloquent. En France, alors que le marché des génériques est 2,8 fois plus faible en part de marché, l’accès au marché des nouvelles molécules est 4 fois plus long, les prix des produits sont 9% plus faibles et 4 fois moins de biomédicaments mis sur le marché viennent de France. C’est du perdant-perdant pour tous les acteurs en France, en priorité pour les citoyens patients.
C’est d’autant plus grave que l’industrie fait face à horizon 5 ans à un double défi avec l’arrivée massive de biomédicaments innovants coûteux et la chute dans le domaine public de nombreux brevets à ventes élevées. Pour les premiers, les montants sont estimés à 4 Mrds€ en 2025, pour les seconds à 3 Mrds€ à cette échéance.
De plus, alors que les produits matures sont des leviers forts de l’efficience des dépenses de médicaments, les régulateurs ont fragilisé ce marché en y appliquant des baisses de prix récurrentes (-3,5% par an depuis 10 ans) sur des montants déjà faibles, faisant sortir du marché nombre d’acteurs industriels.
Or, l’élargissement du répertoire des génériques est plus rentable pour l’assurance maladie que la baisse des prix. Chaque point d’élargissement du répertoire des génériques a un rendement net de 83 millions€ pour l’assurance maladie, générant un potentiel d’économies global de 2Mrds€ dans les 5 ans.
Le développement des génériques et biosimilaires est bien un levier de court terme incontournable à activer dès le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS 2023), si on veut rendre financièrement soutenable la formidable vague d’innovations biotechnologiques en cours d’une part, et renforcer le marché pharmaceutique en France d’autre part.
La part remboursée par l’assurance maladie des dépenses de médicaments de ville s’est sensiblement accrue depuis 2010, passant de 68% à 74% des dépenses pharmaceutiques. Le fort développement des pathologies chroniques va continuer à nourrir cette tendance. Il est donc primordial d’activer en urgence les leviers d’efficience de ce marché.
Des leviers activables dès le PLFSS 2023
Le premier niveau d’actions se trouve chez les professionnels de santé. Il faut autoriser la substitution par les pharmaciens de tous les biomédicaments dont les brevets sont arrivés à échéance et intéresser financièrement médecins et pharmaciens, bien plus que ce qui est fait par un partage des gains financiers générés. La formation des professionnels de santé et la communication auprès du grand public sont aussi à renforcer.
Le deuxième niveau concerne la régulation par les pouvoirs publics. Il faut simplifier la réglementation, notamment en fusionnant les trois répertoires (génériques, hybrides et biosimilaires) pour améliorer la lisibilité des produits substituables. L’élargissement rapide du répertoire aux nouveaux produits matures est une priorité. La clause de sauvegarde dont l’esprit est de taxer les laboratoires fortement contributeurs à la croissance des dépenses ne doit pas concerner le secteur des produits matures, source de gains financiers de plusieurs milliards d’euros.
Enfin, la politique industrielle du secteur pharmaceutique doit reconnaître toute sa place aux produits matures, en orientant les subventions aussi vers ce secteur. C’est notamment le cas du plan innovation santé 2030 destiné à renforcer la bioproduction qui doit aussi concerner les produits matures.
A l’ère de la révolution biotechnologique, le marché pharmaceutique français doit accélérer sa mutation vers une gestion du cycle de vie des produits qui priorise l’accès au marché rapide aussi bien des innovations que des produits matures, en activant les leviers dont l’efficacité est largement reconnue pour le développement du volume de ces derniers.
Il en va de notre capacité à renforcer notre tissu industriel pharmaceutique, notre souveraineté sanitaire et à garantir un accès équitable de tous aux innovations thérapeutiques qui vont prospérer.
Ne faisons pas de ce formidable progrès médical en cours un problème mais une pleine opportunité pour tous et pour la France. Cela passe par le développement optimal des produits matures !
Frédéric Bizard