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Loi Bachelot: le risque d’achever l’hôpital public

Août 2008

Face à l’urgence de la situation et après l’échec de la réforme de 2004 qui devait rétablir l’équilibre des comptes en 2007, la Ministre de la Santé Roselyne Bachelot prépare sa loi «Hôpital Patient santé Territoire » pour fin 2008. Il est prévu qu’elle reprenne largement les propositions  contenues dans le rapport Larcher remis en avril 2008 afin de sortir le secteur public  hospitalier de la crise.

Cette crise du secteur public est multiforme : crise économique, déficit  des hôpitaux publics de 760 millions € en 2007 (dont la moitié par les CHU), crise sociologique – un personnel hospitalier démotivé, et une perte d’attractivité de l’hôpital  public pour les professions médicales, crise de qualité – problème de la sécurité des soins, plus de 5000 morts par an dues aux maladies nosocomiales.

Les mesures visant à régionaliser l’organisation des soins, en permettant de mettre en commun les moyens des petits et grands hôpitaux, est une bonne orientation. Mais si la loi Bachelot pour l’hôpital ne faisait que reprendre le contenu du rapport Larcher, elle risquerait sérieusement de condamner l’hôpital public à terme  pour au moins trois raisons.

D’abord, ce rapport entérine la généralisation de la tarification à l’activité – dite T2A –  qui est un coup de poignard dans le dos de l’hôpital public. Les  établissements  sont dorénavant rémunérés en fonction du diagnostic et des actes effectués pour chaque malade lors d’une hospitalisation. La  T2A se nourrit de la même veine que le paiement à l’acte en médecine de ville, que l’on sait désuet dans l’ère  de  la médecine globale – prédictive, préventive et curative – du XXIeme siècle. Ce principe favorise la surconsommation de soins médicaux (et donc les déficits), n’incite pas à rétablir rapidement le patient et freine le développement des comportements préventifs. On veut faire générer à l’hôpital des gains de productivité au forceps en incitant les services à multiplier les actes. Or, la T2A  désavantage nettement l’hôpital public qui gère les pathologies lourdes, assure une activité de recherche et d’enseignement et, en tant que service public, ne peut sélectionner ses patients (plus âgés, plus complexes, avec plus de difficultés sociales et d’handicaps). La T2A  réduit aussi la possibilité pour un clinicien de faire de la recherche et de l’enseignement, possibilité qui est  une source d’attractivité majeure du secteur  public. Cela s’ajoute à la lutte incessante du ministère contre la pratique privée à l’hôpital – pourtant une source potentielle de revenus significative pour l’hôpital (c’est le cas en Allemagne et en Angleterre) – qui a fini de convaincre nombre de praticiens hospitaliers d’aller dans le privé.

La T2A  va déshumaniser les hôpitaux et en faire des usines à soins.

Ensuite, ce rapport ne propose aucune solution à la mise en place radicale des 35h à l’hôpital, véritable désastre économique et social. Les conditions de travail se sont dégradées, l’Etat vient de payer  plus de 700 millions € en heures supplémentaires, en attendant le prochain chèque. Le constat généralisé de l’échec des 35h à l’hôpital est pourtant  une base fertile pour réfléchir avec les partenaires sociaux à leur réforme. La masse salariale représentant plus de 70% des charges de fonctionnement dans le public, ne pas modifier ce dispositif, sans compter le refus de réduire le personnel administratif,  revient à condamner l’hôpital public à une faible productivité et à un déficit chronique. C’est d’autant moins viable que les règles d’administration de l’hôpital public, comparativement au secteur privé, sont lourdes et tatillonnes, imposant des délais considérables pour les décisions importantes et des surcoûts associés à ces délais. Par exemple, la  reconstruction  de la maternité de Port-Royal de Paris actuellement en cours a été décidée en 1990. Pendant trop longtemps, la seule justification à la conservation d’un petit hôpital a été le maintien des emplois sans que le maire (président du conseil d’administration) ne se soucie du déficit financier ni de la fuite des médecins ne voulant plus travailler en petites équipes. La technostructure sanitaire s’obstine à gérer l’hôpital comme une administration et non comme une entreprise de soins.

Enfin, la question de l’absence de transparence du système de santé qui empêche le patient d’avoir un rôle actif dans la chaîne de soins n’est pas abordé dans le rapport. L’existence de données sur les résultats des services de soins permettrait au patient de choisir objectivement le service hospitalier adéquat et obligerait ce dernier à optimiser sa performance. Cette absence de transparence est un risque de voir disparaître un jour l’hôpital public face au secteur privé, celui-ci étant plus enclin à inclure les besoins du patient dans son organisation. Sur un plan pratique, le marché financier est un (presque) bon modèle sur la façon de créer ce type de transparence. La SEC aux USA et l’AMF en France sont les garants de cette transparence et de la qualité des informations. Cela pourrait être le rôle de la Haute Autorité de Santé par exemple.

Avec les 35h et la T2A, on donne pour objectif aux hôpitaux publics (70% sont en déficit) de devenir rentables, d’avoir encore plus le rôle de service public et de prendre en charge de nouveaux types de soins en lien avec la dépendance. Comme dans toute organisation, les individus qui la composent – médecins, soignants et administratifs – sont lucides et rationnels; leur fixer des objectifs qu’ils jugent impossible à tenir avec la stratégie et les moyens mis en place est une assurance de démotivation, de lassitude et donc d’échec.

Cet échec présumé d’une loi visant à sauver l’hôpital public – maillon essentiel d’un système de santé performant – serait l’échec emblématique de la politique de civilisation voulue par le Président de la République et, partant, une régression de notre civilisation moderne.

 

Frédéric  BIZARD

Professeur Emile  PAPIERNIK
Ancien Chef de service de Gynécologie-Obstétrique à l’Hôpital Cochin Port-Royal Assistance Publique Hôpitaux de Paris
Professeur Emérite Université Paris 5 Descartes

Publié dans le Figaro du 23 août 2008 & Le Monde du 16 septembre 2008

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