Publiée dans L’Express le 22/2/2024
La mesure phare en santé du candidat Macron en 2017 était le zéro reste à charge. Les Français ne devaient plus payer leurs lunettes, leurs prothèses dentaires et leur aide auditive. En 2018, sa ministre de la Santé mettait en place la mesure et déclarait après son départ que c’était de loin la mesure dont elle était la plus fière.
La gouvernement vient de publier le 17 février 2024 un décret qui prévoit de doubler le montant des franchises des médicaments, des transports sanitaires et la participation financière aux consultations médicales, justifiant cette mesure par un principe de responsabilisation des citoyens.
Le Français ne doit plus rien payer pour ses lunettes mais doit participer au financement de ses soins médicaux, pour prendre conscience que la santé à un coût ! La coupe est donc pleine en matière d’incohérence politique et de complexification technique du système de financement.
Dommage car en matière de financement, la lisibilité pour l’assuré est une condition essentielle de son efficacité et de son équité. Sachant aussi que c’est l’assuré qui finance 100% des soins.
Une usine à gaz bureaucratique
Comme toute mesure dénuée de sens en politique, le recouvrement des franchises médicales est une usine à gaz bureaucratique. Chaque citoyen peut constater que ses dépenses de santé, petites ou grandes, se font surtout via le tiers payant, i.e. sans financement direct. Le citoyen, riche ou pauvre, ne devait plus rien payer pour ses soins.
Pour recouvrer les franchises médicales, l’Assurance maladie doit donc soit les déduire du remboursement d’un acte pour lequel l’assuré paie en direct (un acte de kinésithérapie par exemple), soit demander à l’assuré de lui payer par virement les sommes dues (i.e. le trop remboursé). Le rendement de ces franchises est donc incertain.
Le financement de la santé en France comporte aujourd’hui un remboursement par la sécu, un par les mutuelles, une participation financière et une franchise non remboursables, un ticket modérateur remboursable, un reste à charge sur certains actes…
En 20 ans, les Politiques ont bricolé le financement de la santé au point de le rendre illisible et coûteux administrativement, donc inefficace dans la maitrise des dépenses. Peu importe, le gouvernement fonce, tête baissée.
Outre l’imbroglio administratif et le coût associé à cette usine à gaz, son « effet responsabilisant » est quasi nul car le tiers payant reste intégral pour la plupart des soins. Ainsi, cette nouvelle ponction comptable revient à faire les poches des Français, dans une réelle opacité (y compris politique la mesure n’ayant pas été votée à l’Assemblée).
Le diktat de Bercy face à l’impuissance de Ségur
Cette mesure s’inscrit dans un contexte de dérive inédite (hors crise majeure) de la trajectoire financière de la sécurité sociale d’ici à 2027. Après un déficit de 9 Mrds€ en 2023 entièrement porté par la santé, le déficit cumulé de 2024 à 2027 devrait atteindre 60Mrds€, dont les deux tiers sont dus à la santé.
Face à l’impuissance du Ministère de la Santé de proposer des réformes structurelles, Bercy prend la main et utilise les outils en place, peu importe leur cohérence pour le système, ce n’est pas son sujet.
Rappelons que les participations financières (1 € sur la consultation) et les franchises médicales (50c sur le médicament et 2€ sur le transport sanitaire) ont été instaurées en 2005 et 2008 respectivement. Le décret du 17 février 2024 prévoit le doublement de ces sommes, pour un gain annuel attendu de 800M€.
Les Français ont bien compris que le cocktail des finances dégradées et de l’impuissance politique à réformer la santé les condamnaient à voir augmenter ces sommes à une récurrence accrue dans les prochaines années. Jusqu’à quand vont-ils accepter de subir ?
20 ans d’incohérence politique profonde et persistante
Officiellement, la justification de ces mesures serait donc la responsabilisation des citoyens dans leur consommations de soins. Cette mesure s’inscrit certes en parfaite contradiction du discours du premier quinquennat, mais sans aucune remise en cause du zéro reste à charge. S’il est légitime de changer d’avis car on constate son erreur, la moindre des choses est de corriger cette erreur.
La mesure emblématique du programme de 2017 a généré scandales financiers et sanitaires à répétition (centres dentaires financiarisés entre autres) … une forte croissance des dépenses des secteurs concernés… et une réelle déresponsabilisation dans la consommation de ces secteurs.
Heureusement, Afflelou en tire pleinement profit. Son tchin tchin audio – « Pour 1€ de plus, vous repartez avec une deuxième paire d’aide auditive » inonde les ondes. Nous voilà rassurés.
Cette incohérence politique est profonde puisqu’elle revient à imposer un reste à charge sur des soins lourds et pas sur des soins courants : un vrai contre modèle économique en santé.
Cette incohérence politique est persistante puisqu’elle remonte aux années 2000 avec l’instauration du tiers payant, du contrat de 2004 des mutuelles devenu la référence (obligeant au remboursement des tickets modérateurs) et 2010 avec l’obligation des contrats collectifs pour les actifs en 2013.
Les soignants et les soignés trinquent
Cette incohérence politique profonde et persistante se paie au prix fort pour les assurés comme pour les soignants.
Pour les premiers, elle a augmenté le coût d’accès aux soins du fait des frais de gestion exorbitants des assureurs privés et a diminué la qualité des soins, comme le montre celle des centres dentaires ayant émergé à la suite du zéro reste à charge.
Pour les seconds, en incitant à la surconsommation des soins, elle a incité les Pouvoirs Publics à contenir au maximum les tarifs des soins à un niveau inférieur à l’inflation et donc à la paupérisation des soignants.
Un autre mal est l’impact sur l’opinion publique par rapport au financement de la santé. Elle a laissé penser aux Français que notre système de santé devenait comme le britannique un système de santé gratuit (« no bill »).
Mais les Britanniques ont un système public de santé (le NHS) financé uniquement par l’impôt et régulé par les files d’attente. Nous avons un système mixte public et privé financé par une assurance publique et régulé par des tickets modérateurs entre autres, ce que Laroque appelait l’éducation à la solidarité. La solidarité a un coût qui s’appelle la responsabilité.
Depuis 20 ans, chaque gouvernement s’est efforcé de gommer cette participation financière par le truchement coûteux et inégalitaire des assureurs privés, et l’instauration du tiers payant. La France est aujourd’hui championne du monde du reste à charge final le plus faible (7% des dépenses globales) mais dont le coût réel d’accès aux soins est un des plus coûteux et la charge de plus en plus inégalitaire.
Un fardeau pour les retraités de la classe moyenne
Un point non négligeable est de savoir si ces franchises médicales sont équitables, si elles représentent une ponction budgétaire douloureuse ou pas pour les assurés. Le Président de la République y a répondu par la négative, disant que c’étaient des petites sommes.
L’effort repose sur la classe moyenne (les plus modestes en sont exonérés) et en particulier les retraités de la classe moyenne, qui consomment le plus de soins. Même avec le plafond de 50 €, la hausse se chiffrera en dizaines d’euros pour beaucoup d’entre eux.
Et alors diront certains !
Oui mais cette somme s’ajoute aux 4 milliards d’euros de hausse des tarifs des complémentaires santé en 2024 (+ 10%), dont les principales victimes sont … aussi les retraités de la classe moyenne.
Toute chose étant égale par ailleurs, l’addition du coût supplémentaire d’accès aux soins va donc être salée en 2024, de l’ordre de 5Mrds€, i.e. 100€ par adulte en moyenne mais avec une répartition très inégalitaire de ce surcoût. Ce sera plusieurs centaines d’euros pour les retraités.
Les franchises médicales sont une brèche dans le cœur du réacteur solidaire de notre modèle de financement, en remettant en cause le 100% pour les pathologies graves.
Comme cette hausse montre que Bercy va utiliser de façon récurrente ce levier pour baisser les dépenses publiques, les Français peuvent penser qu’ils ne seront plus à l’abri financièrement en cas de pathologies graves dans un futur pas si lointain. C’est donc bien un réel affaiblissement de notre protection sociale, qu’il faudra assumer politiquement.
D’autres diront après cet argumentaire qu’ils faut bien équilibrer les comptes de l‘assurance maladie, que l’argent magique n’existe pas en santé non plus, et ils ont bien raison. Mais ce colmatage du financement changera peu le déficit de l’assurance maladie et aggrave la complexité du système.
Il est le signe de l’abandon pour ce quinquennat des réformes structurelles qui sont les seules à même de retrouver une perspective financière saine et vertueuse en santé.
Une réforme structurelle du financement de la santé qui ferait évoluer le système de deux financeurs (sécu + mutuelles) à un seul financeur (sécu ou mutuelles selon les prestations) ferait économiser 20 Mrds€ dont 50% pour les finances publiques chaque année.
Bercy obtiendrait ses 10 Mrds€ d’économies recherchées tout en améliorant la lisibilité, l’équité, et l’efficacité du financement de la santé en France.
« Dans un monde qui bouge il vaut mieux penser le changement que changer le pansement » disait Francis Blanche, à juste titre.