Frédéric Bizard

Faut-il plus de médecins en France ?

Le Ministre de la Santé, Xavier Bertrand, a annoncé en décembre dernier le relèvement du numérus clausus de 7 700 à 8 000 concernant les étudiants admis en deuxième année de médecine en été 2012. Ce chiffre de 8000 se décompose en 7500 (au lieu de 7400) étudiants issus de la première année commune aux études de santé (PACES) et en 500 (au lieu de 300)  étudiants venus d’autres filières (ingénieurs grandes écoles) et pouvant démarrer les études de médecine en deuxième année. A l’occasion  de la réunion du syndicat des médecins libéraux réunis à Toulouse, le ministre a déclaré « je vais augmenter à nouveau le numerus clausus pour qu’il n’y ait pas de pénurie de médecins dans dix ans ». Est-ce bien sérieux ? Qui peut croire que cette action va régler le problème de désertification médicale de certains territoires et de certaines spécialités médicales ?

Parmi les pays développées de l’OCDE, seules la Hongrie et la Pologne font moins bien que la France sur le plan des inégalités sociales vis-à- vis de la santé (cf. annexe 1). La désertification médicale territoriale et sectorielle en est une des causes. La France présente une différence de densité médicale entre la ville et la campagne parmi les plus élevées du monde avec un ratio de 3.75 contre moins de 2.5 pour le Canada, les Etats-Unis et l’Australie (cf. annexe 2). Certains secteurs comme la pédiatrie sont sinistrés. Avec le taux de natalité le plus élevé d’Europe, notre pays compte 1 pédiatre pour 6000 enfants, soit trois fois moins que la moyenne européenne. Si on ajoute à cela la part largement majoritaire des médecins spécialistes en secteur 2 (à honoraires libres) dans les grandes villes, on mesure l’ampleur des difficultés d’accès aux soins d’une partie de plus en plus importante de la population française.

Cette désertification médicale est le résultat de la gestion comptable et technocratique qui domine la gouvernance sanitaire depuis 30 ans. La France a connu une vingtaine de réformes du système de santé depuis les années 80 soit une tous les dix huit mois. A chaque réforme le même credo, réduire les dépenses de santé ; souvent l’approche comptable était enrobée d’un discours  médical comme en 2004 mais sans substance véritable. Pour réduire les dépenses de santé, les hauts fonctionnaires du Ministère et les économistes influents ont décidé dans les années 80 que la réduction du nombre de médecins allait permettre de contenir les dépenses de santé ; moins on a de prescripteurs, moins on génère de prescriptions. C’est enfantin ! Sauf que l’économie de la santé comprend comme toute économie une offre et une demande et qu’en matière de santé la demande est infinie face à une offre finie. Nos chers experts et technocrates avaient aussi oublié le vieillissement de la population, la féminisation de la profession et la réduction du temps de travail !   En trois décennies, côté offre, les professionnels de santé (médecins spécialistes de secteur II par exemple) qui pouvaient choisir et limiter leur patientèle ont largement profité de la situation alors que ceux qui ne le pouvaient pas (médecins généralistes de secteur 1 par exemple) ont vu leurs conditions de travail se dégradées progressivement. La situation est devenue très hétérogène au sein de la communauté médicale. Côté demande, cela s’est traduit par une inégalité croissante d’accès aux soins et un renoncement  aux soins en forte hausse pour les plus défavorisés (estimé à 15-20% de la population en 2011).

Elle est aussi le résultat de la dépolitisation dans la gouvernance de la santé depuis plusieurs décennies. Les politiques ont laissé le pouvoir de décision dans les mains des technocrates, assistés des experts du milieu et influencés par les pressions corporatistes. Sans gouvernance politique, la défense de l’intérêt général – la santé des individus et l’égalité d’accès à des soins de qualité –  passe en second plan. La  France n’a jamais compté autant de médecins dans son histoire (210 000 en 2010 contre 60 000 en 1970) mais la réduction drastique du numerus clausus dans les années 90 (point bas à 3500 en 1992-93) a freiné la progression de la croissance du nombre de médecins par rapport aux autres pays développés (cf. annexe 3). Cette tendance va s’accentuer dans les années à venir ; de 3.3 médecins pour 1000 habitants, la France devrait en compter 2.8 à 2.9 en 2025 soit le niveau de 1985 alors que les besoins de santé ont considérablement augmenté. La France connaîtra bien une pénurie du nombre de médecins au cours de la prochaine décennie. L’augmentation du numérus clausus est nécessaire mais loin de régler la situation actuelle et future.

Le sujet central derrière celui de la démographie médicale est celui de la régulation de l’installation des jeunes médecins que les syndicats ont toujours transformé en casus belli, avec succès jusque là auprès des Politiques. Rappelons que chaque année d’étude de médecine coûte 12 000 euros à la collectivité, que les revenus des médecins sont pris en charge majoritairement par la collectivité. La situation actuelle est intenable pour une partie croissante de la population sur un plan social et une menace nationale sur un plan sanitaire. Elle engendre de fortes tensions au sein de la communauté médicale et un rejet de l’activité libérale, choisit par moins de 10% des jeunes médecins à la sortie de l’internat aujourd’hui. Il est temps que le Politique reprenne la main en définissant les grandes lignes d’une régulation de l’installation des jeunes médecins (en recherchant un compromis avec les représentants syndicaux des syndicats de médecins de préférence) et en tenant une cartographie de l’accès à distance raisonnable de l’offre de soins sur tout le territoire. Il est temps d’agir, c’est l’intérêt de TOUS.

Frédéric Bizard

 

Annexe1 : Inégalité en santé (OCDE, 2006)
Source: OECD Health Data 2009; Human Mortality Database (HMD)

Annexe 2: Densité médicale en région rurale et urbaine

Source : AIHW (2008c); ICIS (2005); DREES (2008); NCHS (2007).

Annexe 3 : Evolution de la démographie médicale


1990

2000

2010

France

3

3.3

3.3

Allemagne

2.8

3.3

3.6

Angleterre

1.6

2

2.7

Suède

2.6

3.1

3.7

USA

2

2.3

2.4

Unités: nombre de médecins pour 1000 habitants
Source: OCDE
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