Le droit à la santé est un droit stipulé dans les textes fondateurs de notre République, notamment le préambule de la constitution de 1946 : « la Nation garantie à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux travailleurs, la protection de la santé… »,dans la Constitution de 1958 et dans la Charte de l’environnement de 2004, « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de sa santé ». C’est un rôle essentiel de l’Etat d’assurer non seulement la protection de la santé de ses citoyens mais une recherche du plus haut niveau de santé possible pour sa population. Il est aussi parfaitement reconnu dans le droit international.
Pour qu’un droit ait toute sa force, il doit être associé à des devoirs. Droits et devoirs forment les deux faces d’une même politique sociale. Sans devoirs associés, les droits deviennent arbitraires. Il faut bien reconnaître que la santé échappe à ce constat, ou le droit à la santé n’a pas été associé à une série de devoirs. Si chaque individu dispose du droit d’accès à des soins de la meilleure qualité possible, il a le devoir de tout mettre en œuvre pour ne pas altérer sa santé et celle des autres. Une personne qui ne prend pas soin de sa santé peut devenir injustement une charge pour la société, pour sa famille et pour les autres, du fait de sa négligence personnelle.
Le tabac et l’obésité sont des exemples révélateurs, tant ils sont dangereux pour la santé. Le fumeur met non seulement sa vie en danger mais aussi celle des autres, du fait du tabagisme dit passif qui serait responsable de 54 000 morts aux USA chaque année. L’obésité est une pandémie qui nuit déjà et nuira gravement encore à la collectivité. Près de 30% de la population est en surpoids, soit près de 20 millions de personnes et plus de 6 millions de personnes sont obèses. Le surpoids est un facteur de risque majeur de certains cancers, des maladies cardio-vasculaires et du diabète de type II. Ainsi les coûts sociaux économiques pour la collectivité de ces deux facteurs de risques sont colossaux et sont une menace à la pérennité financière de notre système de santé actuel et à la conservation d’un niveau sanitaire élevé de la population.
Comment instaurer des devoirs en santé, comment responsabiliser sans stigmatiser les individus qui se sentent souvent démunis face à leurs facteurs de risques ou à leur pathologie ? Ce débat pourtant essentiel pour faire évoluer notre rapport à la santé est considérer comme tabou en France et suicidaire par les politiques qui y ont malheureusement renoncé. C’est pourtant l’inaction qui est suicidaire tant elle va engendrer une fracture sanitaire profonde entre les citoyens. Alors que la société a le devoir de tout mettre en œuvre pour apporter un niveau optimal de santé à tous, les individus ont le devoir envers la société de prendre soin de leur santé. Cela doit se faire sous forme principalement incitative, sans altérer les libertés de base individuelles.
La première réponse pour instaurer des devoirs en santé passe par l’éducation à la santé de la population. La médecine du futur sera une affaire d’éducation prévoyait le Professeur Jean Bernard. En effet, face à l’explosion des maladies d’évolution lente, sur lesquelles les traitements ont relativement peu d’actions curatives, l’enseignement des principes fondamentaux de la médecine préventive devient un moyen incontournable de santé publique. C’est aussi un élément essentiel pour donner un maximum de capacités aux gens pour les inciter à appliquer leur devoir de ne pas altérer leur santé par leurs comportements et modes de vie. Comme l’a défini l’économiste Amartya Sen, Prix Nobel d’économie, responsabiliser les individus nécessite de donner un maximum de capacités pour agir, ce qui passe par une politique de santé publique tournée vers l’éducation à la santé pour tous. Il est pour cela essentiel de développer l’éducation santé en milieu scolaire – en faisant de la prévention santé une épreuve au baccalauréat – la santé au travail, en milieu associatif et sportif, bref dans la vie de tous les jours des citoyens.
Ensuite, on doit trouver des solutions pour inciter, responsabiliser les patients qui sont à la charge de la collectivité. En France, les affections de longue durée (ALD) représentent – pour 8.6 millions de patients en 2010, soit 14% des assurés – près des deux tiers des dépenses publiques de santé et plus de 80% de la croissance de ces dépenses. Une responsabilisation accrue de ces patients en ALD passent par la mise en place d’un pacte civique de santé qui contiendrait les éléments essentiels à connaître en relation avec sa pathologie et le mode de vie adéquat pour mieux la vivre et mieux la gérer. Ce pacte civique de santé serait signé par toutes les personnes qui bénéficient du système ALD. Cela reste un engagement moral mais important dans la prise de conscience du rôle central de ses comportements sur son état de santé et ses devoirs envers la société en matière sanitaire. Le respect par le patient d’un parcours de soins intégré et coordonné dans prise en charge des pathologies les plus couteuses, telles que le diabète, doit être instauré dans notre système de santé afin d’améliorer la qualité de la prise en charge et la productivité de soins.
L’instauration de devoirs en matière de santé nécessite un changement de mentalités de tous les acteurs envers les questions de santé. Elle implique aussi de vrais choix de société qui doivent être débattus publiquement et tranchés par le peuple.
Frédéric Bizard