Après une séance historique de 21h d’affilée de négociation, les parties se sont séparées en signant un relevé de conclusions très flou et loin des objectifs initiaux. Le texte voulu par la Ministre ayant été rejeté à l’unanimité par les médecins en milieu de séance, Marisol Touraine a cédé en contrepartie de la signature d’un accord. Plusieurs raisons expliquent cet échec retentissant pour la Ministre.
Une histoire montée de toute pièce
D’une promesse électorale d’améliorer l’accès aux soins, La Ministre en a fait une croisade contre les médecins libéraux, ceux-là même à qui elle voulait demander tous les efforts lors de la négociation. Pour cela, elle a écrit une fable, présentée officiellement en Conseil des Ministres le 11 juillet 2012 et répétée en boucle depuis, destinée à transformer le médecin libéral aux yeux du grand public en satan de l’accès aux soins.
Première contre-vérité : la cause majeure des difficultés d’accès aux soins serait les compléments d’honoraires des médecins. « Nous voulons sécuriser l’accès aux soins en encadrant les dépassements d’honoraires ». Les études de l’IRDES montrent clairement que les renonciations aux soins pour raisons financières n’existent qu’en optique et dans le dentaire, deux secteurs abandonnés par l’Assurance maladie au profit des complémentaires santé depuis 40 ans. Aucun recul du recours au généraliste ou au spécialiste n’est observable sur les dix dernières années. En revanche, les mesures souhaitées pour la médecine de ville et l’obsession hospitalière de la Ministre sont des menaces majeures pour l’accès aux soins.
Deuxième contre-vérité : les médecins libéraux seraient responsables des dérives des coûts de la santé. « Les Français en ont assez des dérives des coûts de la santé ». Le poste des honoraires médicaux est le poste qui a le moins progressé ces dix dernières années parmi les dépenses de santé et les dépenses de soins de ville en France sont les plus faibles des pays développés (23% contre 33% des dépenses totales en moyenne dans l’OCDE).
Troisième contre-vérité : le système actuel permettrait de tels abus qu’il devient urgent de mettre la profession médicale sous étroite surveillance. « Il faut des sanctions rapides et directes ». Sur les dernières années, l’Assurance maladie n’a adressé des demandes d’explication pour pratique tarifaire excessive qu’à 0,15% des médecins libéraux.
Une gestion politique désastreuse
Une fois montée cette histoire, les mois qui ont suivi ont été une déferlante de propos anti-médecins dont la vénalité, l’inconséquence et la non fiabilité seraient les causes de tous les maux de notre système de santé. Jusqu’à la veille de la dernière séance de négociation, la Ministre déclarait encore : « mon premier objectif , c’est la sanction… je veux des sanctions claires, rapides et efficaces » ! Elle a montré un bien étrange sens politique en tant que Ministre responsable de la santé de tous les Français mais aussi des professionnels de santé. Elle dispose pourtant dans le gouvernement d’un bon modèle de gestion politique d’une profession en désarroi. En plein chaos avec de multiples affaires sensibles dont la BAC Nord de Marseilles et le passage à tabac du jeune Chaïn la semaine dernière, Manuel Valls a fait preuve d’une gestion politique remarquable en dénonçant fermement les faits, en prenant les mesures adéquats et en réaffirmant sa confiance et sa reconnaissance pour l’ensemble de la profession de policier. En matière de sens politique, on voit se cotoyer le pire et le meilleur dans ce gouvernement depuis Juin. De plus, le silence assourdissant de la droite est soit le signe d’une ignorance du sujet après pourtant dix an de pouvoir ou celui de la perte de tout flair politique suite à sa défaite pour voler au secours d’une profession sous les mitrailles de la Ministre et en quête de soutien et reconnaissance.
Un texte pour sauver le soldat Touraine
La grande menace de La Ministre était de passer par la loi si les négociations échouaient. Les médecins avaient bien compris que la menace n’était pas crédible tant la Ministre avait fabriqué une histoire qui lui exploserait à la figure après le moindre débat démocratique inhérente à une loi. C’est ainsi que nous avons vu lundi dernier une Ministre paniquée lorsque les médecins ont quitté la table des négociations à la mi-journée, l’obligeant à appeler un par un les leaders syndicaux en leur indiquant qu’elle répondait à leus exigences sous réserve qu’un accord soit signé. Dans ces conditions, les médecins ont préféré signé un texte qui était devenu purement symbolique et politique, en échange de certaines de leurs revendications. A ce stade, le grand perdant de cette négociation est l’Assurance Maladie – donc le citoyen malade et bien portant – qui va voir ses déficits se creuser davantage avec la multiplication des actes, le paiement des cotisations sociales des médecins et les coûts administratifs de la gestion du nouveau contrat. La compromission de la Ministre avait déjà commencé avec les assureurs complémentaires trois jours avant en leur distribuant quelques cadeaux dont une bien surprenante suspension d’un an d’obligation de transparence de leurs comptes en matière de dépenses !
Une révélation de l’usure de notre système de santé
Cette négociation conventionnelle est révélatrice de l’archaisme de la gouvernance de notre système de santé. D’abord le système conventionnel est au bout du rouleau avec une mascarade de négociation qui aboutit à un marchandage de boutiquiers décorrélé des problèmes réels de l’accès aux soins. Après 40 ans de logique conventionnelle, force est de constater que la dizaine de conventions signées ont été soient improductives soient ignorées par les acteurs du système. C’est aujourd’hui un moyen pour le politique de se défausser de ses responsabilités en matière de santé et de laisser agir les corps intermédiaires de plus en déconnectés des réalités du terrain et inféodés au système. L’assurance maladie ne fait qu’obéir aux commandes politiques, à ses dépens financiers depuis trente ans. Ensuite un système de conventionnement sectoriel des médecins libéraux qui est à bout de souffle. Cette négociation a confirmé l’incapacité de l’Asssurance Maladie de combler sa faible prise en charge et le refus des complémentaires d’assurer une bonne couverture des actes médicaux de ville. Il sera inélucable de supprimer la sectorisation tarifaire et d’implanter une liberté tarifaire juste et efficace qui garantisse à tous un égal accès aux meilleurs soins. Il faut pour cela mieux la réguler, ce que ne fait pas ce texte.
Notre système de santé, qui a besoin d’une grande réforme structurelle, ne survivra pas durablement à de tels petits accords politiciens obtenus à la Pyrrhus. La relation médecin-patient, véritable baromètre de l’état de santé du système et basée sur la confiance réciproque de chacun, sort profondément dégradée de la stigmatisation de smédecins menée par la Ministre. C’est probablement le principal résulat et enseignement de cet événement conventionnel.
Frédéric Bizard
d’accord avec vous
Réflexion d’un chirurgien retraité face à la polémique actuelle. Le schéma joint montre l’évolution depuis que j’ai arrêté en 1992 Dépassements d’honoraires : pourquoi, comment, combien.
Pourquoi : Il suffit d’observer la courbe de l’évolution de la vie, de la valeur de C de la consultation du généraliste qui ont évolué de concert et celle des actes chirurgicaux, pour comprendre que le décrochage est criant, devenant insupportable compte tenu de l’explosion des charges professionnelles, coût des aides opératoires, des secrétaires, et surtout des assurances pour les spécialités dites à risque, chirurgie, surtout du rachis, obstétrique, anesthésie.
L’augmentation du nombre de plaintes et surtout l’importance des indemnités octroyées par les tribunaux, malgré ou à cause de l’existence du…
a rendu inévitable l’adhésion au secteur 2, permettant l’augmentation de compléments d’honoraires ,adaptés au fur et à mesure de la croissance du gap entre honoraires et coût de la pratique. (cf la courbe).
Comment : en expliquant aux patients les honoraires, bloqués depuis 22 ans par l’assurance-maladie ne correspond plus à une réalité économique viable. En se renseignant sur leur couverture d’assurance complémentaire ou mutualiste afin d’adapter le reste à payer à la capacité contributive de chaque patient, quitte à abandonner toute idée de dépassement, si les revenus du futur opéré sont modestes
C’est là que les rapports avec le médecin traitant sont essentiels pour informer le chirurgien des difficultés sociales éventuelles du patient qu’ils lui ont adressé. 30 à 40 % des patients étant peu solvables, c’est évidemment les autres qui doivent contribuer plus à l’équilibre financier de la pratique chirurgicale, surtout si on souhaite que le chirurgien puisse continuer à se perfectionner dans des congrès ou dans des services étrangers pour rester à la pointe de sa spécialité.
« L’abattage » que certains gestionnaires de l’assurance-maladie accusent certains praticiens n’est bien évidemment pas un facteur de qualité dans des métiers ou l’erreur des conséquences psychologiques, sociales et financières souvent dramatiques. Le chirurgien ,comme le menuisier, doit être le plus parfait possible dans son indication opératoire et dans la réalisation de l’acte, car il ne coupe « qu’une fois ».
Combien : avec tact et mesure. L’assurance-maladie, comme l’État, comme les mutuelles voudrait plafonner les dépassements et même « punir » les dépassements abusifs. Ils ont repéré 228 cas sur des centaines de milliers…de plus il s’agit souvent de tarifs du secteur privé hospitalier que la gauche s’était autrefois promis d’abolir.
Sur les 20 milliards d’honoraires il y a environ, 2 milliards de dépassements d’honoraires, dont probablement un dixième pour les actes chirurgicaux, qu’il faut rapprocher, des 30 milliards de chiffres d’affaires des mutuelles, en croissance de 3,7 % en 2011. La France Mutualiste, par exemple, fait 336 millions d’euros de chiffre d’affaires avec un résultat bénéficiaire de 31 millions,. Leurs dépenses sont beaucoup plus du remboursement des tickets modérateurs des C,CS ,B,Z…et surtout des médicaments (pas les plus importants car ils sont en général pris en charge à 100 %) mais les médicaments d’utilité douteuse voire discutable.
Rappelons que l’ONDAM est de 172 milliards d’euros,qu’ il y a 103 000 généralistes et 106 000 spécialistes, dont 12000 chirurgiens , 67 % étant secteur2, .
En conclusion, rappelons d’abord que les dépassements d’honoraires ne coûtent rien à l’assurance-maladie qui ne les rembourse pas et que le problème soulevé est plus une question politique, les politiques souhaitant « offrir » à tous l’accès aux médecins les plus qualifiés, sans bourse délier, sans se préoccuper de leur disparition programmée par démotivation et baisse des vocation dans certaines spécialités, au grand bénéfice de spécialistes issus de l’immigration de formation hétérogène.