Les dernières révélations sur l’embauche de sa compagne, alors étudiante, par les Mutuelles du Bretagne viennent alourdir une affaire Ferrand qui illustre les dérives devenues courantes au sein d’une caste politico-mutualiste qui a conduit au déclin actuel du mutualisme en santé. Ce déclin n’est pas étranger à celui de notre système de santé dans ses composantes solidaires et sociales.
Mutatis mutandis, la refondation du mutualisme en santé est une des conditions du renouveau de notre système de santé sur ses bases historiques de solidarité, de liberté et d’égalité.
État des lieux des 3 défaillances du mouvement mutualiste français
La première défaillance, pour ne pas dire échec du monde mutualiste, est interne au mouvement. Rappelons que l’expansion de la Mutualité à la fin du XIXème siècle a été portée par la pensée « solidariste » de Léon Bourgeois dont les bases sont issues de la théorie de la « dette sociale ». Chaque homme doit payer sa « dette sociale », la solidarité est un droit mais aussi un devoir. De cette époque date la vocation historique du secteur mutualiste – un accès pour tous à des soins et des services de qualité – et des valeurs fondatrices – solidarité, démocratie, liberté et responsabilité.
Un bilan objectif de la situation actuelle montre que vocation et valeurs ont été largement négligées. 89% des contrats individuels des mutuelles disposent de tarifs dépendant de l’âge, la gouvernance mutualiste (celles de grande taille surtout) est affaire de clan et de népotisme dont Ferrand est un exemple parmi bien d’autres, l’opacité a remplacé la responsabilité dans la gestion et l’aliénation s’est substituée à la liberté. Le mouvement mutualiste n’a pas que perdu son âme. Ses parts de marché n’ont céssé de s’éroder dans la protection complémentaire en santé, passant de 60% à 53% ces dix dernières années.
Sa deuxième défaillance est systémique. Le mode de financement privé dominant a basculé d’une approche mutualiste (partage du risque) vers une approche purement assurantielle (sélection du risque). Segmentation du marché en fonction des risques, démutualisation du financement des consultations médicales (nouveaux contrats responsables), remboursement différencié en fonction du choix de son professionnel de santé, primes basées sur le comportement des assurés… Le système de financement s’est progressivement éloigné ces 15 dernières années du mutualisme, avec l’approbation de la Mutualité française comme l’illustre l’ovation réservée au couple Hollande-Touraine au Congrès de la Mutualité de 2012.
La troisième défaillance du mutualisme en santé est politique. Historiquement largement soutenu par l’ensemble de la classe politique, l’élection présidentielle de 2017 a révélé le champ de ruines politique du mutualisme. C’était le concours Lépine de celui qui trouverait l’idée la plus originale pour finir de casser ce qu’il reste. Révolution de palais passée inaperçue, la gauche ne jure plus que par la nationalisation du système de santé, excluant de fait le mutualisme privé qui a pourtant construit un pan entier de l’histoire et de l’idéologie de notre protection sociale. Une analogie frappante existe entre la descente aux enfers de la gauche et celle des mutuelles en France.
L’esprit et l’éthique mutualiste piliers d’un système de santé refondé
Si les valeurs fondatrices du mutualisme sont à conserver, il reste à leur donner du sens dans le nouveau monde, dans le système de santé du XXIème siècle. La solidarité ne peut se limiter à garantir le financement des soins mais doit s’étendre à des prestations hors soins pour les plus défavorisés pour optimiser leur capital santé (éducation, e-santé). La démocratie mutualiste est à revisiter à l’aune de la moralisation de la vie politique en limitant le cumul et le nombre de mandats, en interdisant toute fonction élective politique aux administrateurs et salariés des mutuelles. La liberté au cœur du concept mutualiste doit se traduire au sens Sennien d’une véritable capacité d’agir du sociétaire pour le choix de son contrat et de ses dirigeants. Le mutualisme est l’expression du citoyen responsable, acteur de son destin. Quant à la responsabilité, elle doit s’exprimer à la fois chez les adhérents qui sont sensés être acteur de la gestion de leur santé et dans l’Institution par la transparence et la rigueur de sa gestion.
Suite à la refonte de l’idéal mutualiste, l’architecture du système de financement pourra être restructurée. La solidarité intergénérationnelle sera rétablie par une affiliation individuelle obligatoire sur l’ensemble de la population (fin des contrats collectifs). La solidarité entre bien portants et malades sera garantie par le renforcement de l’arsenal législatif et la surveillance des opérateurs quant à l’utilisation des données de santé personnelles. C’est à ce niveau qu’interviendra une agence indépendante de régulation et de contrôle, une instance en charge de veiller à la non sélection des risques. Elle débusquera les opérateurs qui se drapent dans la blanche hermine du Mutualisme en abusant le citoyen, dans un mélange des genres et une porosité regrettable entre les acteurs. Enfin, la gestion du risque en santé par les opérateurs privés ne portera que sur le citoyen/patient et non sur le soignant, par des prestations de services hors soins évoqués supra, afin de ne pas entraver la liberté des choix de son traitement et l’égalité face aux soins (fin du remboursement différencié).
Face à la maitrise comptable au rabot des dépenses de santé exercée par l’administration, qui se fait en déresponsabilisant le citoyen (patient et soignant) et en dégradant la qualité en santé (non priorité aux innovations), les Mutuelles devraient faire contrepoids en se faisant les hérauts de la liberté, de l’innovation et de la responsabilité des citoyens sociétaires. Ce scénario peut paraître irréaliste au regard de la situation actuelle, Il faut savoir qu’il a fait ses preuves historiquement sur le terrain, par une mobilisation des adhérents responsabilisés comme ambassadeurs de leur mutuelle et relais auprès des professionnels de santé.
Comme pour l’hospitalo-centrisme de l’organisation des soins et l’étatisation de la gouvernance de notre système de santé, c’est un mouvement de balancier à inverser rapidement que le mouvement mutualiste doit réaliser s’il veut survivre. Si l’espoir est permis au regard du dialogue plus ouvert des nouveaux dirigeants, la politique mutualiste actuelle est loin des enjeux. La restructuration à mener est profonde et l’arrêt des compromissions urgente.
Frédéric Bizard
Richard Hasselmann, Ancien directeur général de Mutuelles, Président de Libr’acteurs