En Juin 2000, la France et l’Italie se partageaient les deux premières places mondiales du classement de l’OMS sur la performance des systèmes de santé dans le monde. Vingt ans plus tard, ces deux pays font partie de ceux qui vont payer le plus lourd tribut humain et économique de la pandémie en cours. Que s’est-il passé en vingt ans ?
Cette crise amplifie des défaillances systémiques que même nos héros en blouse blanche ne peuvent pas compenser.
D’abords nos atouts. La France dispose d’une des meilleures ressources de professionnels de santé du soin au monde. Eloignées à tort de l’administration du système et insuffisamment rémunérées dans son ensemble, elle traverse une crise sociale. En période de crise, elles restent notre atout primordial. Bien qu’en décroissance, la couverture territoriale hospitalière et médicale de ville reste une des plus étendues au monde, ce qui limitera les dégâts de cette crise. Enfin, le financement solidaire qui rembourse 100% des soins coûteux essentiels et issus des crises sanitaires est un troisième atout majeur.
Malgré ces atouts, la crise a révélé les défaillances structurelles de notre système de santé. Ces dernières se seraient imposées à tout autre gouvernement en place et le point, ici, n’est pas la critique de la gestion politique courante de cette crise.
Une santé publique atomisée et technocratique
D’abord, crise après crise, l’Etat français se montre un piètre opérateur de santé publique. Il dispose de multiples agences sanitaires non intégrées, constituant un dispositif étatique impuissant pour prévoir, anticiper et planifier. La France s’est délestée des ressources humaines (comme les épidémiologistes de terrain), matérielles et a peu investi dans les technologies de santé (big data, IA). Comme pour le soin, la gouvernance courante (hors crise) place la technostructure en décideur unique et l’expertise scientifique en recours. L’indispensable équilibre entre les deux n’existe pas.
La réponse française face à la crise est dictée par la pénurie issue des politiques comptables et court-termistes menées depuis vingt ans en santé. Elle nous a conduit à abandonner la stratégie gagnante à moindre coût pour endiguer efficacement l’épidémie – testing massif, traçage rigoureux, isolement strict – au profit d’une stratégie défensive à coûts maximums (le confinement général).
Une logique curative débordée quand la logique préventive manque
Ensuite, la France n’a ni stratégie ni réelle politique en santé, i.e. une réflexion politique et sociétale sur l’organisation des activités visant à promouvoir, réparer et entretenir la santé des Français. Le décideur politique n’intègre toujours pas en France les dimensions sociale, culturelle, diplomatique, économique et philosophique de la santé, au profit d’une approche curative et scientifique glorifiée. Cette crise, révèle l’impuissance de la réparation du risque si la prévention est faible. C’est une règle au XXIème siècle.
Elle confirme que la France dispose d’un système de soins mais pas d’un système de santé. Une des différences entre les deux est le pilotage du système à partir de l’offre de soins pour le premier et à partir de la demande de santé pour le second. Le Ministère et ses agences régionales de santé (ARS) administrent les trois secteurs de soins mais sont éloignées des territoires et de la société au sens large. La crise actuelle montre l’impuissance des ARS à répondre aux multiples demandes des acteurs de santé et des citoyens. Elles sont en échec.
Les forces vives territoriales que sont les collectivités locales, les associations de patients et les caisses primaires d’assurance maladies sont grandement sous-utilisées dans une telle crise.
Tous les secteurs de notre système de santé ont été paupérisés
La gestion budgétaire de la santé a généré une approche purement comptable des ressources sanitaires ce qui représente trois erreurs.
D’abord, on néglige les investissements stratégiques de long terme en santé (recherche, prévention, stocks stratégiques), on sacrifie l’avenir pour le présent et toute capacité de réaction efficace dans des circonstances exceptionnelles. Nous en avons payé le prix fort !
Ensuite, on gère au rabot les ressources courantes du soin plutôt que de rechercher des gains de productivité, notamment en priorisant la montée en compétences et en rémunération des personnes, et l’innovation. La gestion comptable des dix derniers budgets de santé (Ondam) a paupérisé tout notre dispositif de santé public et privé, pas seulement l’hôpital.
Enfin et surtout, tout ceci conduit à percevoir en France la santé avant tout comme un coût (des soins) et non comme un investissement d’une grande rentabilité sociale et économique. Un euro investi en prévention rapporte à terme entre 5 et 10 euros pour l’économie. Nos millions d’euros économisés sur les stocks stratégiques sanitaires vont coûter des centaines de milliards d’euros au pays. La santé représente le secteur le plus stratégique du XXIème siècle sur le plan économique et géopolitique. La santé est l’opportunité pour la France et l’Europe de rééquilibrer le rapport de force avec les USA et la Chine. Sois nous saisissons cette opportunité, soit nous déclinerons durablement !
Nos propos n’ont rien d’opportunistes en pleine pandémie, puisqu’ils sont tirés du programme de refondation globale de notre système de santé de l’Institut Santé publié en novembre 2019 (1). L’ouvrage contient une lettre ouverte au Président de la République qui se termine par « il est urgent d’intégrer la refondation de notre système de santé dans l’agenda politique ».
A travers son aphorisme, « ce qui ne tue pas rend plus fort », Nietzsche évoque une logique d’autodépassement face à l’adversité. Il va falloir que le Politique de tout parti en France s’élève pour ne pas se contenter de mesures électoralistes pour remédier aux grandes lacunes de notre système de santé que la crise sanitaire a confirmé !
Frédéric Bizard
(1) « Et alors la réforme globale de la santé, c’est pour quand ? », Editions fauves, 2019, Ouvrage collectif de l’Institut Santé, disponible ici
Tribune publiée dans Les Echos le 20 mai 2020