Le chômage est probablement l’échec politique le mieux partagé par les deux bords politiques français. Quant aux partis des deux extrêmes qui n’ont jamais gouverné, ils ne risquent pas de faire mieux en rejetant la responsabilité du chômage endémique français sur l’euro, Berlin ou la Chine. Même les autres pays du Sud, cancres en la matière, ont fait mieux depuis 2013, la France étant le seul pays de la zone euro à avoir connu une hausse du chômage sur cette période.
Parmi toutes les solutions proposées par les candidats à l’élection Présidentielle, une n’est pas sur la table, la réforme du contrat de travail. C’est pourtant le premier levier à activer pour agir vite et efficacement.
La rigidité du CDI pénalise tous les actifs
La France est un des pays ayant le plus faible taux de conversion des CDD en CDI. L’explication est la surprotection et l’hyper rigidité des CDI. Agissant en repoussoir pour les nouvelles embauches, le CDI créé une dualité sur le marché du travail entre les insiders et les outsiders. Les jeunes et les peu qualifiés constituent la masse des outsiders mais en réalité tous les salariés sont perdants.
Le risque de sortir de la position d’insider génère une faible mobilité professionnelle et diminue le bien-être des salariés. Plutôt que de changer d’emploi lorsqu’un différend personnel ou une évolution de marché le justifie, les salariés à CDI sont incités à s’accrocher à leur poste le plus longtemps possible. Les études montrent que les relations au travail en France sont de moins bonne qualité que dans les autres pays.
Après les emplois aidés, le recours au contrat à durée déterminée (CDD) est la deuxième arme inefficace utilisée par les pouvoirs publics contre le chômage. Plus de 80 % des chômeurs qui retrouvent un emploi le font sous statut de CDD ou en intérim et cette réalité s’est aggravée ces dernières années (proportion inférieure à 75 % jusqu’en 2000). La rigidité de nos CDI génère un chômage de longue durée élevé (pour 44% des chômeurs en 2015 contre 37% en 2007), une moindre mobilité professionnelle et des procédures longues, coûteuses et incertaines de licenciements.
Cette fréquence élevée de contrats précaires est un cas typique de situation perdant-perdant. Un CDD n’est ni dans l’intérêt du salarié ni dans celui de l’employeur. Il apporte moins de protection et plus de difficulté à se projeter dans l’avenir pour le salarié. Il est plus coûteux pour l’employeur.
La situation de faiblesse des taux d’emploi chez les jeunes et les seniors place la France parmi les pays développés avec le plus fort taux de non-emploi dans la population active (36% en 2015 contre 26% en Allemagne et 25% en Suède). La France est le seul pays de l’OCDE où ce taux s’est dégradé de 2012 à 2015.
Pour une flexisécurité à la française qui protège les personnes et non les emplois
Il apparaît contre-intuitif aux yeux du grand public (et de beaucoup de leaders politiques) de flexibiliser davantage les licenciements pour créer plus d’emplois. Pourtant c’est bien le cas si on compare la situation française avec celle des pays qui ont appliqué ce concept, aussi bien en considérant la qualité que la quantité d’emplois.
Le contrat de travail doit permettre au salarié d’être protégé contre la perte d’un emploi devenu obsolète ou non rentable, et l’employeur a besoin de flexibilité pour gérer ses ressources humaines face à l’évolution technologique et les chocs sur la demande. Initié au Danemark dans les années 1990, le concept dit de « flexisécurité » associe des mesures favorables à la fois à la sécurisation des parcours professionnels pour les salariés et à une plus grande flexibilité pour l’employeur.
La flexisécurité opère un changement de stratégie radicale par rapport au logiciel utilisé en France pour la protection du travail. La question n’est plus de protéger l’emploi, i.e. le salarié en activité mais la personne, qu’elle soit en activité ou au chômage. Flexibilité et sécurité sont les deux faces d’une même pièce
Le fort engouement en France pour les contrats à durée déterminée ne profite ni aux employés ni aux employeurs. Pour inciter les employeurs à embaucher avec des contrats à durée indéterminée, il faut rechercher une forme de contrat plus souple que le CDI et gagnant-gagnant pour les deux parties. C’est le cas du contrat à droits progressifs (CDP) qui assure une protection croissante des salariés dans la durée.
Ce nouveau régime permet de licencier à moindre coût en début de contrat et de faire croître le coût du licenciement individuel selon l’ancienneté du salarié. C’est le moyen le plus efficace pour mettre fin à la dualité de notre marché du travail, si dommageable aux jeunes, aux personnes peu qualifiées et aux chômeurs. Avec le contrat à droits progressifs, le principe en cas de licenciement abusif devient l’indemnisation plafonnée, le droit à indemnisation étant croissant avec l’ancienneté. Ce CDP a vocation à se substituer au CDI et au CDD après une phase de transition (1).
L’exemple de l’Italie montre que même dans un pays du Sud, une telle réforme du contrat de travail est possible et bénéfique. Le marché du travail italien est, comme en France, marqué par une forte dualité du travail. Le « Jobs Act » de Mattéo Renzi en instaurant une telle réforme en mars 2015, a fait baisser le chômage de 12,2% à 11,5% de la population active en un an.
L’une est la condition du succès de l’autre. Si la réforme du contrat de travail n’est pas la seule évolution de notre droit à réaliser pour affronter efficacement notre chômage endémique, elle est une des plus sensibles au sein de l’opinion. Ne pas l’évoquer dans l’actuelle campagne présidentielle serait une garantie d’un quinquennat impuissant à affronter la préoccupation principale des Français.
Frédéric Bizard
(1) Pour plus de détails, voir le livre ici (pages 309 à 316)