La troisième conférence de presse du Président Hollande, tenue le 14 janvier dernier, a été suivie d’un étonnant concert de propos approbateurs voire même de louanges de la majorité des médias et des personnalités politiques. Les commentateurs politiques ont globalement le soir de la conférence été convaincus par la prestation du Président, parlant de « tournant », de « révolution », de « mesures courageuses », de « grande maîtrise »… bref la France allait enfin entrer dans une ère de réforme structurelle qui allait sortir le pays de la morosité et de la crise. Quelle stupeur je ressentais en me couchant ce soir là, me disant que je n’avais pas dû écouter la même conférence que ces personnes.
Que les politiques de droite soient sur la défensive – après 10 ans de pouvoir passés à gérer les situations sans préparer le pays à son avenir et avec un programme à l’état vierge – se comprend même si on peut le déplorer. Que la gauche au gouvernement soutienne le président est logique. Mais le soutien général des médias est véritablement le signe d’une crise profonde dans le secteur et en tout cas d’une déconnexion par rapport aux réalités vécues par les Français.
J’étais impatient de disposer du ressenti des Français suite à la conférence de presse, me disant intérieurement que si les Français étaient (ou suivaient) l’avis des médias, j’avais soit tout faux dans mon analyse soit le Président avait réussi un tour de prestidigitation de premier plan. Le verdict est sans appel: selon le sondage BVA pour BFMTV sorti le lendemain, 72% des Français ont trouvé le Président pas «convaincant», 70% pas « rassurant» et 67% pas «crédible». Ma voilà conforté dans mon sentiment que le peuple français est bien plus lucide et éclairé sur la situation réelle de notre pays que l’élite politico-médiatique le pense et l’est elle-même.
Un discours et une tactique politiques habiles
Hollande a incontestablement fait preuve d’habileté et de sens politique. En assumant pleinement le discours d’une politique de l’offre, il se met potentiellement dans le sillage des réformateurs socio-démocrates (Clinton, Blair, Schröder entre autres) qui ont avec succès redressé leur économie. Il apparaît courageux puisque la droite au pouvoir n’a jamais affirmé clairement une ligne économique favorable à l’offre. Il se montre fin tacticien quand il prévoit un vote à l’automne, impliquant un vote de confiance au gouvernement, sur des engagements visant à réduire le coût du travail. La droite ringardisée sera dans l’embarras pour voter contre, les tenants de la gauche du PS n’oseront pas risquer de ne plus faire partis du gouvernement. C’est donc un succès garanti. Sur la forme, on maintient la flamme de l’espérance sur une politique réformatrice et on met en difficulté l’opposition ; c’est plutôt bien joué. Sur le fond, c’est une autre affaire.
Des actions floues et pas à la hauteur des enjeux
Le cœur du dispositif du Président est un pacte de responsabilité qui revient à baisser les charges sociales, en retirant des salaires le financement des prestations familiales (5,4% en charge patronale sur les salaires pour un montant de 25 milliards euros), en contrepartie d’un engagement d’embauches pérennes. Un transfert clair vers une autre source de financement rendrait crédible et efficace une telle mesure. Le Président a choisi l’ambigüité et le remplacement des cotisations familiales par des réductions de dépenses non identifiées. Les entreprises choisiront en 2016 si elles optent pour la suppression des cotisations famille, le crédit impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) ou un mix des deux. Le CICE représentant une baisse de 6% des charges sociales en 2016, autant dire que le Président propose aux entreprises un jeu de bonneteau dont la vague de création d’emplois ne risque pas de dépeupler massivement Pole emploi.
Concernant les dépenses de l’Etat et des collectivités locales, là aussi, on laisse l’espoir vivre en disant que des économies devront être réalisées sans aucun engagement précis, ce qui laisse toutes les options ouvertes.
Le plus déprimant a certainement été ses propos sur les dépenses sociales. Il a d’abord affirmé que la sécurité sociale était le bien commun des Français qui n’avaient pas d’autres biens, ce qui est faire peu d’égard aux millions de Français qui ont d’autres biens et qui la financent majoritairement (qui la sécu comprenant une logique de solidarité verticale). Les mesures annoncées sont de « lutter contre les excès et abus (prescriptions et actes inutiles), développer les génériques et alléger la pression sur les hôpitaux ». Les médecins peuvent se sentir visés, ils ont été désignés comme les principaux responsables des déséquilibres de nos comptes sociaux. Cela promet pour la stratégie nationale de santé à venir. Notre niveau de dépenses sociales est le plus élevé au monde (32% du PIB contre 25% en moyenne dans l’Union européenne, soit 150 milliards d’euros de plus), notre modèle social est fonctionne sur les mêmes bases et avec les mêmes outils que 1945 malgré le changement de paradigme sociétal (démographique, technologique, sociologique) et le Président évoque la lutte contre les abus et excès comme plan de bataille pour sauver notre modèle social. La question qui se pose est de savoir si c’est un problème de diagnostic ou de volonté politique d’affronter les réformes.
Des moyens d’actions et un agenda totalement inappropriés
Les grands chantres des comités Théodule (la haute administration surtout) ont passé un formidable moment pendant cette conférence, le Président a instauré et mobilisé en quelques minutes quatre comités : un comité stratégique de la dépense, un observatoire des contreparties, un conseil de l’attractivité et un conseil de la simplification. Clémenceau disait déjà il y a un siècle que la création de comités était le meilleur moyen pour enterrer un problème. Ces comités sont doublement révélateurs d’une incapacité à agir, du fait de l’impréparation aux réformes nécessaires, et d’une absence de volonté d’agir. L’agenda proposé vient nous confirmer cela puisque le Président annonce un plan d’actions s’étalant de 2015 à 2017 et une majorité de mesures effectives en 2017, autant de temps qui permettra de trouver toutes les justification pour ne pas rien faire, sauf à y être contraint par une crise profonde dans le pays. Sans compter que 2014, année électorale, est passée aux oubliettes des réformes.
Des annonces en contradiction et peu crédibles au vue de la politique menée depuis deux ans.
Une des premières mesures de Hollande à son arrivée au pouvoir a été de supprimer la TVA sociale votée sous Sarkozy, qui prévoyait de transférer la charge des prestations familiales sur la TVA. Ce n’est pourtant pas une aversion pour la TVA qui a poussé Hollande à cette décision puisqu’ il vient de l’augmenter pour réduire (une goutte d’eau dans un océan) les déficits. Tous nos voisins (Royaume-Uni, Allemagne, pays scandinaves) ont réalisé ces dernières années l’incontournable et logique transfert des charges sociales du travail vers la consommation, sauf la France par pur calcul politicien. Comment penser que le Président Hollande va se transformer en réformateur après avoir fui ses responsabilités pour garantir aux Français un système de retraites pérenne et s’être contenté d’une hausse des charges sociales jusqu’en 2020.
Les Français sont lucides sur la situation de leur pays et de leur personnel politique (60% ne leur font pas confiance pour gouverner selon le dernier baromêtre Cevipof). Il serait salutaire que les médias le soient également si on veut mettre les politiques face à leur responsabilité mais aussi s’ils veulent que les Français continuent à les acheter. Plus de 70% des Français s’intéressent à l’actualité mais seulement 23% font confiance aux médias pour la traiter (selon l’observatoire de déontologie). Réveillez-vous les médias, c’est le moment de montrer que vous êtes encore indispensables au bon fonctionnement d’une démocratie !
Frédéric Bizard