La Ministre de la santé a fait de la défense de l’hôpital public, qu’elle a qualifié à sa prise de fonction « d’épine dorsale » de notre système de santé et en a fait l’axe principal de sa stratégie de santé à venir. En visite le 3 décembre 2013 aux Rencontres de l’hospitalisation privée à Marseille, elle n’a pu justifier l’existence du secteur privé hospitalier que par « sa présence historique dans notre système de santé ». En d’autres termes, le secteur privé est là mais on s’en passerait bien. La Ministre et les syndicats de la fonction publique ont considéré que la droite en dix ans avait profondément dégradé l’hôpital public, ce qui n’est pas entièrement faux même si ce n’était pas une politique délibérée comme les plus gauchistes se complaisent à penser. Il était donc temps qu’un pouvoir socialiste arrive pour sauver notre hôpital public.
En fait, les mesures prises par les deux dernières majorités socialistes tendent à sérieusement affaiblir l’hôpital public. Le rétablissement des comptes de l’hôpital public est un objectif majeur pour renforcer le secteur public et lui donner les moyens d’investir. Sachant que plus des deux tiers des coûts sont les salaires des agents hospitaliers, et que l’activité hospitalière est avant tout une activité de main d’œuvre, la bonne gestion des ressources humaines est stratégique pour faire réussir l’hôpital public.
Le projet de loi des finances 2014 prévoit la suppression du jour de carence au 1er janvier 2014 dans l’indemnisation de congé pour maladie non professionnelle (le délai de carence est de trois jours dans le privé). Ce jour de carence avait été rétabli depuis le 1er janvier 2012 par la précédente majorité. Une étude de la société Sofaxis, un courtier en assurance pour la fonction publique, vient de montrer que la restauration de ce jour de carence avait fait baisser l’absentéisme de courte durée de 41% en 2012 dans les hôpitaux et de 43% dans les collectivités territoriales. C’est la première baisse enregistrée depuis six ans et la fréquence des arrêts, toutes durées confondues, est retombée à son niveau de 2007 dans les hôpitaux. Selon Pierre Souchon de chez Sofaxis, « la tendance devrait se confirmer en 2013 mais pas en 2014 ». Si les syndicats, la CGT en tête, ont poussé pour cette suppression, la fédération hospitalière de France (FHF) s’est battue pour son maintien estimant que « la prise en charge des patients est mieux assurée grâce à des équipes plus stables et des économies significatives ont pu être dégagées ». C’est donc bien le bon équilibre de la ressource essentielle de l’hôpital public qui est en jeu.
Ce n’est pas la premières fois que le pouvoir socialiste tire une balle dans le pied de l’hôpital public. En octobre 2001, alors que les syndicats de médecins s’attendaient à disposer de 5 à 10 jours de RTT pour l’application des lois Aubry, la Ministre du Travail, Elizabeth Guigou leur en propose 20. « C’était trop beau pour être vrai » se rappelle François Aubart, le Président de la coordination médicale hospitalière. En intégrant la pause déjeuner dans leur temps de travail, les 66 000 agents des hôpitaux de Paris vont de facto passer de 39h à 32h30 par semaine. Pourquoi une telle générosité ? « Nous étions tétanisés à l’idée de voir les hôpitaux de Paris faire grève et contaminés les 800 000 salariés du secteur » se souvient un conseiller ministériel de l’époque. L’application des 35h à l’hôpital a été le cadeau empoisonné du gouvernement Jospin aux hôpitaux à la fin de la mandature. Les résultats des élections de 2002 ont montré l’impact de ce type de cadeau sur les choix de vote à l’élection présidentielle !
Réformer la gestion du temps de travail dans la fonction hospitalière publique est un chantier brulant auquel la droite n’a pas eu le courage de s’atteler. Elle s’est contentée de nouer des accords cadres et payer à crédit les RTT qui en résultaient. Xavier Bertrand a conclu un accord-cadre le 23 janvier 2012 avec les syndicats de médecins hospitaliers sur le règlement des RTT cumulées par les 40 000 médecins hospitaliers suite au passage aux 35 heures le 1er janvier 2002, pour un coût estimé entre 450 et 600 millions €. Cette même droite a pourtant mis en place le financement par la T2A (tarification à l’activité) et la convergence tarifaire pour 2018 avec le privé des tarifs publics. Autant dire que de demander à l’hôpital public – avec notamment la lourdeur du statut de la fonction publique hospitalière (dont les sages femmes manifestent pour en sortir tant le nivellement par le bas les insupportent) – d’être aussi compétitif que le secteur privé avec de tels boulets de moyens de gestion de ses ressources humaines est mission impossible, d’où le découragement du personnel hospitalier.
Marisol Touraine a beau prétendre jouer les justicières en stoppant la convergence tarifaire et en supprimant la journée de carence, elle ne fait qu’aggraver la situation de l’hôpital public.
Le système hospitalier français s’est développé ces quarante dernières années dans un contexte de concurrence entre le secteur privé à but lucratif , le secteur public et le secteur privé à but non lucratif. Comme dans l’enseignement, les Français sont très attachés à leur liberté de choix de leur lieu et secteur d’hospitalisation. Dans un environnement de restriction forte des dépenses publiques, il est indispensable de permettre à l’hôpital public de redevenir compétitif en lui permettant d’adapter sa force de travail aux besoins de son activité, ce que fait le secteur privé qui n’a pas le choix au risque de disparaître. La réponse adéquate est l’autonomie des hôpitaux, accompagnée d’une gestion décentralisée et participative de l’offre de soins à l’échelle régionale. Au lieu de cela, le gouvernement Ayrault entretient l’illusion de viabilité d’un service public centralisé et bureaucratique à l’ancienne. On maintient ouvert l’hôtel dieu, envers et contre toute logique médico-économique, on supprime la convergence tarifaire, on fausse l’allocation des fonds MIGAC (plus de 8 milliards€) pour les rendre accessible essentiellement à l’hôpital public…
La mise en scène générale de ce film pathétique sera la stratégie nationale de santé en 2014 qui verra l’installation de parcours de soins centré sur l’hôpital public (qu’on veut étendre avec des postes avancés en médecine de ville) alors que notre système de santé a urgemment besoin d’un investissement majeur en médecine ambulatoire. C’est l’intérêt de l’hôpital public de se concentrer sur ses activités d’excellence et non de maintenir artificiellement des centres à tout faire qui rappelleront davantage les hôpitaux des années des années 1950 que ceux du XXIème siècle. Grâce à nos gouvernements successifs depuis 20 ans, « l’épine dorsale » est en train de devenir « l’épine dans le pied » de notre système de santé.
Frédéric Bizard